Interview de F. Palle-Guillabert : Délégué Général de l'ASF (Association Française des Sociétés Financières)

F. Palle-Guillabert

Délégué Général de l'ASF (Association Française des Sociétés Financières)

Le débat sur le niveau de l’usure ne saurait être sorti de son contexte européen

Publié le 17 Avril 2009

Quel regard portez-vous sur le débat qui tourne autour de la réforme du crédit à la consommation à l’heure actuelle ?  Nous pouvons déceler une certaine remise en cause du crédit revolving par certains. Qu’en pensez-vous ?
La crise a notamment révélé la nécessité, pour les ménages, de bien maîtriser leurs crédits. Il y a de très nombreux exemples de ménages américains malendettés, par des prêteurs non régulés et qui n’ont pas procédé à des études de solvabilité. En France un tel comportement serait impossible car les prêteurs, tous soumis aux mêmes obligations, sont tenus de faire une étude de la capacité de remboursement de l’emprunteur sur la base des revenus du ménage.

La crise nous conduit néanmoins à faire un état des lieux de nos pratiques pour les perfectionner. C’est un point positif qui devrait permettre de développer un crédit plus responsable. Nous y travaillons beaucoup à l’ASF, en liaison avec les associations de consommateurs et les pouvoirs publics.

A ce débat vient s’ajouter, en France mais aussi dans les pays de l’Union, la nécessité de transposer une directive sur le crédit aux consommateurs qui va créer un grand marché européen harmonisé. Les consommateurs devraient pouvoir plus facilement faire jouer la concurrence entre des prêteurs situés dans des pays différents, et contracter des crédits à la consommation en transfrontière.
Le crédit renouvelable est particulièrement critiqué en France en raison de son taux, autour de 20 %. C’est un produit moderne, souple et fonctionnel, mais dont le coût est élevé, pour des raisons de gestion et de risques. Il est souscrit sur le lieu de vente, pour financer un besoin de consommation. En ce sens il répond à une demande des ménages, et c’est d’ailleurs un produit grand public puisqu’environ 20 millions de crédits renouvelables sont actifs.   

On tient les établissements spécialisés pour responsables de tous les maux... De quelle manière considérez-vous le fait qu’en moyenne les ménages qui ont un crédit revolving ont cinq comptes de crédit revolving qui sont ouverts ?
Les établissements de crédit spécialisés dans le crédit à la consommation financent une clientèle qui n’est pas celle des agences bancaires. En étant présents sur le lieu de vente, ils répondent à une demande qui s’exprime différemment, avec un produit qui est donc aussi différent du crédit bancaire classique.
Le crédit renouvelable est une enveloppe de crédit dans laquelle le client peut faire des tirages successifs, y compris de faibles montants, dans la limite d’un plafond autorisé. C’est donc un crédit particulièrement utilisé pour des achats dans les grands magasins, ou par correspondance, et souvent associé à des cartes de fidélité.

Pour ce qui concerne le nombre de comptes ouverts, il faut bien distinguer entre les crédits ouverts, et ceux effectivement actifs, qui en représentent environ la moitié.  Il n’est pas anormal qu’un ménage ait plusieurs cartes de grands magasins. En revanche le ménage qui détient et utilise effectivement quatre ou cinq crédits renouvelables est sans doute entré dans une zone à risque. Car le crédit à la consommation ne doit pas être assimilé à un complément de revenu, destiné à financer des charges courantes.
S’il ne faut pas « diaboliser » le crédit, très utile pour financer les projets des ménages, celui-ci doit aussi rester raisonnable : c’est une question de juste équilibre.

Il est proposé comme solution la baisse du taux de l’usure pratiqué sur le crédit revolving. Qu’en pensez-vous ? Certains évoquent un seuil de 14% pour le crédit revolving…
Le débat sur le niveau de l’usure ne saurait être sorti de son contexte européen. Certains pays, très libéraux, n’ont pas de règlementation sur l’usure et les taux d’intérêt peuvent atteindre des niveaux très élevés, de l’ordre de 35 % au Royaume Uni par exemple. En effet dans les pays anglo saxons, il est admis que le taux d’intérêt rémunère le risque, et que le risque a un prix.  Dans d’autres pays comme l’Italie, avec des systèmes juridiques proches du nôtre, les taux d’usure vont jusqu’à 25 %.
En France, un taux d’usure à 20 %  est déjà considéré comme très cher et mal accepté socialement.

Il appartient au Gouvernement de trouver le point d’équilibre entre l’accès au crédit et le niveau de taux plafond souhaitable. Ce qui est certain est que si l’on baisse le taux d’usure de 20 % à 14 % sur le crédit renouvelable, on va exclure du crédit une certaine frange de clientèle qui ne pourra plus ainsi financer ses projets et risque de se tourner vers des expédients voire des marchés gris non régulés. C’est une question que doivent se poser aussi les associations de consommateurs.

De quelle manière accueillez-vous l’idée d’instaurer un crédit social ?
Il appartient aux pouvoirs publics de répondre à cette question  en précisant quels seraient les emprunteurs concernés, quels types de crédits seraient ainsi financés, et qui prendrait en charge le risque. L’ASF ne peut qu’accueillir avec bienveillance l’idée d’aider de façon temporaire des ménages en difficulté, avec des crédits hors marché.

Pensez-vous que mettre en place un fichier positif constituerait une bonne solution ?
C’est une proposition qui revient de façon récurrente dans le débat public, et qui a été avancée successivement pour soutenir le crédit à la consommation et lutter contre le surendettement.
Elle consiste à créer un fichier avec les 20 millions de Français endettés en crédit immobilier et/ou en crédit à la consommation, afin de tenter de repérer le crédit trop sollicité par un ménage déjà très endetté, et donc de prévenir le surendettement.
Les vraies questions qui se posent sont celles de la disproportion du fichier, qui concernera tous les emprunteurs alors que 2 % d’entre eux seulement vont connaître des difficultés de remboursement, et son coût, qui sera vraisemblablement supporté au final par le client.

Une large partie des associations de consommateurs est défavorable au fichier positif. La CNIL est réservée, compte tenu du caractère très intrusif et de l’ampleur d’un tel fichier, de l’incertitude sur sa finalité, et d’un bilan coût/avantages défavorable. L’ASF manifeste diverses réticences qui rejoignent les critiques ci-dessus.
L’alternative passe par une amélioration de la réactivité du Fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP). Tous les acteurs du crédit travaillent à la modernisation de ce fichier, en liaison avec la Banque de France qui est chargée de sa gestion.

Le vrai enjeu réside pour certains dans la relation avec le client… Pourquoi alors ne pas imposer cette relation directe réglementairement ?
Personne n’a intérêt à ce qu’un crédit se passe mal, ni l’établissement prêteur pour lequel chaque emprunteur est un client, ni le consommateur.
Le projet de loi de Madame Lagarde comporte à cet égard des mesures visant à renforcer la responsabilité des acteurs. C’est le cas en particulier de la création d’une fiche d’information, remplie par le prêteur et l’emprunteur, et qui comporte des informations relatives à l’endettement et aux revenus permettant d’apprécier la solvabilité de l’emprunteur.  Elle créée une obligation de dialogue, et a pour objet aussi d’améliorer l’entrée dans le crédit du consommateur, qui doit s’effectuer en toute connaissance de cause.

Enfin je rappelle qu’il y a un médiateur à l’ASF, chargé de répondre en toute indépendance aux litiges pouvant survenir entre un client et l’établissement spécialisé auprès duquel il est endetté, et qu’il ne faut pas hésiter à le saisir.

Finalement que pensez-vous du fait que la réforme du gouvernement n’est au final qu’une transposition a minima de la directive européenne ?
La réforme envisagée par le Gouvernement comprend des éléments de sur-transposition de la directive. C’est vrai en particulier pour la publicité, car les dispositions de la directive sont de pleine harmonisation en la matière, ce qui veut dire que  les Etats membres ne peuvent ajouter de mesures purement nationales au texte communautaire.
Mais le projet comprend aussi des mesures de sous transposition, car certains régimes juridiques « allégés » prévus par la directive ne sont pas repris dans le projet du Gouvernement.
Ce qui est certain, c’est que les négociations européennes –qui ont quand même duré six ans-, ont permis de prendre conscience du niveau de protection du consommateur français, qui est un des plus élevés d’Europe.

La récession a eu des conséquences importantes sur la demande du crédit, et notamment du crédit à la consommation… Vous attendez vous à une contraction plus importante de cette demande ?
Au mois de février dernier, la production de nouveaux crédits à la consommation par les établissements spécialisés adhérents à l’ASF enregistre un recul de 16,9 %, soit le cinquième mois consécutif de baisse. De même la consommation des ménages, qui est un moteur de croissance, faiblit avec une rechute de 2 % ce même mois.

La France me parait toutefois disposer d’atouts que sont un fort taux d’épargne des ménages (de l’ordre de 15 %), et un niveau d’endettement moyen par habitant de 2 229 €, comparable à celui atteint par les allemands (2 725 €) mais raisonnable si on le compare à celui des citoyens britanniques (5 375 €) ou américains (5 807 €). Grâce à cette situation financière relativement saine des ménages, la France devrait pouvoir amortir la crise, et peut être même en sortir plus vite.

Propos recueillis par Imen Hazgui