Interview de Denis Berthomier : Administrateur général de l’établissement public du musée et du domaine national de Versailles

Denis Berthomier

Administrateur général de l’établissement public du musée et du domaine national de Versailles

La première politique de valorisation immatérielle à Versailles est de l'ouvrir au public et de le faire visiter

Publié le 30 Juillet 2009

Retrouvez en cliquant ici l'article Quels enjeux de l'Immatériel dans la sphère publique ?

Le domaine national de Versailles et du Trianon est depuis 1995 un Établissement public à caractère administratif. L’obligation pour l'établissement de financer son fonctionnement par des ressources propres a-t-elle été une incitation à la recherche des «gisements de valeurs» qu’il pouvait receler ?
Versailles était avant 1995 un service de la direction des musées de France du ministère de la culture. La transformation en Etablissement public a bien-sûr aidé au financement par ressources propres. Versailles ne reçoit pas de subvention de fonctionnement matérialisée par un versement, il est donc plus dépendant que d'autres établissements de ses ressources propres et des fluctuations du tourisme. Les ressources propres, principalement les recettes de billetterie, équivalentes à celles du Louvre avec deux fois moins de visiteurs, s'élèvent à plus de 40 millions d'euros par an, ce qui est bien supérieur aux autres musées comparables.

En ce qui concerne la recherche de gisements de valeur, Versailles est très en avance dans le domaine du mécénat. La politique de mécénat a en effet démarré avec Rockfeller dans les années 1920, venu au Château au moment du Traité de Versailles. La location d'espace, également pratiquée depuis très longtemps, rapporte un montant non négligeable à hauteur de 10% des recettes de billetterie. Les produits de concessions commerciales sont également importants : cafés, boutiques RNM (Réunion des Musées Nationaux), moyens de locomotion à l'intérieur du domaine...

De nouveaux projets, telles l'installation de boutiques Ladurée et Angélina, sont en cours. La concession présente l'avantage de permettre d'étendre la gamme de services aux visiteurs dans des domaines qui ne constituent pas notre cœur de métier. Il y a enfin, l'activité de tournage de films. Le domaine est très sollicité, il n'y a pas une année sans que Versailles n'apparaisse dans un film, un documentaire, un téléfilm.

Que recouvre selon vous la notion de patrimoine immatériel ? Considérez-vous que Versailles possède un patrimoine immatériel ? De quelle nature ? Notamment, Versailles est-il une marque ?
A Versailles, pratiquement tout est patrimoine immatériel. Versailles a été construit pour la mise en scène du pouvoir. Dès l'origine, ces bâtiments ont été une base physique pour renvoyer une image. C'est la galerie des glaces. Versailles, c'est de l'image. 

Comme les autres musées, nous avons longtemps été coincés car la RMN était propriétaire de notre marque. Lors du changement de statut en 1995, la marque n'avait pas été transférée au nouvel Etablissement et jusqu'en 2008, résidu de l'ancien statut, nous ne pouvions en disposer. Un accord a abouti l'an dernier avec la RMN, autour d’un transfert gratuit de la marque, en échange de la concession par Versailles de certains segments de marque à la RMN. Versailles possède maintenant, de fait, une plus grande autonomie vis à vis de la RMN. Après la rétrocession, nous avons amplifié notre travail de valorisation de la marque et de recherche de partenaires pour la développer.

Deux marques en fait sont déposées : Château de Versailles et, plus récemment, Domaine de Versailles, avec deux logos proches mais distincts au niveau des couleurs. Le dépôt de cette nouvelle marque est intervenu suite à des demandes pour l'installation de ruches dans le parc de Versailles, ce qui a été fait au Petit Trianon. Versailles produit donc du miel qu'il a fallu commercialiser et pour lequel il faudra trouver un distributeur. Il s'agit d’une anecdote, mais le miel, au-delà de la convergence entre protection de l'environnement et histoire, œuvre pour le développement de la marque et du patrimoine immatériel du domaine.

Versailles a bien évidemment un discours sur le développement durable : il possède un parc, il est une entreprise de construction qui se rénove constamment, il est un gros utilisateur d'énergie. Surtout, le domaine est habité dès sa fondation par la question hydraulique : le système d'origine créé sous Louis XIV est encore en fonctionnement et nécessite une attention constante sur la consommation d’eau.

Sur la page Internet du Château de Versailles, on trouve une rubrique «Entreprises» qui propose de devenir mécène du château et d’y organiser des événements et des tournages. D’une manière générale, quel est le plan d’actions pour valoriser les gisements de valeur attachés à Versailles ?
Au niveau du mécénat, la politique lancée est une politique «tous azimuts», des particuliers aux entreprises. 2008 a été une année exceptionnelle, avec plus de 13 millions d'euros engrangés. L'opération de parrainage d'une statue du parc par des particuliers a si bien marché que l'on va étendre l'opération à l'adoption de bancs de pierre du parc ainsi que des banquettes Louis-Philippe à l'intérieur du château. Le mécénat est, pour les particuliers et pour les entreprises, une activité valorisante. Nous soignons nos mécènes au moyen des contreparties que nous leur offrons : accès privilégiés au château et au domaine, soirées privées, opérations de relations publiques etc. Versailles a toujours été précurseur dans ce domaine.

Bien-sûr, les mécènes les plus importants ne viennent souvent pas d'eux mêmes. Le travail de prospection est particulièrement important.

Vous êtes-vous inspiré de pratiques d’autres établissements, en France ou à l’étranger ? Pensez-vous qu’une mise en commun de bonnes pratiques avec d’autres établissements publics voire des partenariats puisse être profitable ?
Nous sommes bien-sûr amenés à comparer, à échanger avec nos collègues. Sur certains sujets, nous nous sommes inspirés du Louvre, surtout depuis la Loi de Modernisation Financière (LMF) et notamment la technique du fond de dotation, expérimentée par le Louvre à Abu Dhabi, que nous souhaitons également mettre en oeuvre. Rappelons que Versailles est le seul établissement public culturel à présenter des comptes certifiés, ce qui est une garantie pour les investisseurs.

La mise en valeur des actifs immatériels du Domaine de Versailles nécessite-t-elle l’appel à des appuis extérieurs (experts, agences…) De quels outils pensez-vous avoir besoin pour aller plus loin dans cette mise en valeur ?
Nous disposons d'une veille juridique. Dès que le mot Versailles est utilisé, nous sommes susceptibles de faire valoir nos droits. Si le produit présente un niveau de qualité suffisante, nous pouvons proposer  un partenariat. Il serait possible d'augmenter en interne les équipes juridiques. Mais pour la veille sur les marques, par exemple, nous avons recours à des intermédiaires pour gérer la partie juridique.

Quels sont les risques décelés ou latents des projets de valorisation immatérielle ? Quelles mesures sont prises pour palier ces risques ?
Un des grands risques est de tomber sur un partenaire dont on ne connait pas tout, dont l'image pourrait évoluer dans un mauvais sens au cours du temps. Nous accueillons annuellement des associations caritatives à titre gratuit. Que se passerait-il pour l'image de Versailles si, du jour au lendemain, la Cour des comptes faisait un rapport accablant sur ces associations? De même, certaines entreprises peuvent voir leur exposition médiatique évoluer. Il faut être vigilants, savoir prendre des risques sans exposer inutilement la réputation du château.

Comment se manifeste, dans vos actions de valorisation du patrimoine immatériel du domaine, votre vocation de service public ?
Le financement de l’ouverture au public d’un monument historique public ne peut être assuré que par le visiteur ou  par le contribuable. Versailles est un élément insigne du patrimoine français, européen et mondial.. Le législateur a décidé que Versailles devait être essentiellement financé par ses ressources propres, c'est à dire par sa billetterie. Je serais le premier à me réjouir de l'octroi de subventions pour réduire le prix du billet, mais à l'heure actuelle, pour remplir les objectifs de travaux et proposer une programmation culturelle de qualité, il faut développer nos ressources propres.

Le coût est plus élevé pour le visiteur, mais cela peut également avoir un sens dans la lutte contre la sur-exploitation du domaine. Je pense que la gratuité n'est pas souhaitable, car elle mène inévitablement à une sur-exploitation de l'espace. Ouvrir le château gratuitement serait, aujourd’hui, irresponsable : irresponsable pour le patrimoine que nous devons transmettre aux générations futures et irresponsable financièrement.  La première politique de valorisation de l'immatériel à Versailles est bien d’ouvrir le château et de le faire visiter. Si Versailles a été construit, c'est pour attirer les regards du monde. C'est son objet premier.

Interview réalisée par les étudiants de la Tribune Sciences de l’Immatériel
Sous la direction de Marie-Ange Andrieux – Deloitte – Directeur de la Tribune Sciences Po de l’Immatériel