Interview de Henri Sterdyniak : Directeur du Département économie de la mondialisation de l'Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE)

Henri Sterdyniak

Directeur du Département économie de la mondialisation de l'Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE)

Le chômage sera élevé, la consommation stagnera, il n'y aura pas de reprise de l'investissement, on aura donc davantage un scénario à la japonaise

Publié le 16 Août 2010

Les Etats-Unis se dirigent-ils vers une nouvelle récession ?
On voit actuellement que l'on peut écarter le scénario optimiste d'une forte reprise aux Etats-Unis. Ceux-ci ont connu une très large dépression : on peut évaluer la perte de production en 2010, due à la crise, à près de 8%, ce qui se traduit automatiquement par un taux de chômage élevé. La reprise est faible à la sortie d'une telle récession ; elle ne sera pas suffisamment violente pour permettre une forte baisse du taux de chômage, et un retour des taux d'utilisation des capacités de production vers la normale.

Quel est le scénario le plus probable ?
Dans ces conditions, le scénario le plus probable est celui d'une croissance extrêmement molle qui se traduirait par le fait que le chômage resterait à des niveaux relativement élevés et que l'investissement productif ne connaîtrait pas une forte flambée. Cela amène donc à un troisième scénario envisageable, celui d'une rechute brutale, mais qui n'est pas encore visible. Compte-tenu du bas niveau actuel des composantes les plus volatils de la demande, un nouvelle baisse n'est pas le plus probable. Les Etats-Unis devraient rester sur une croissance médiocre pendant encore au moins une année qui se traduirait, comme nous l'observons actuellement, par le maintien des taux d'intérêt extrêmement bas et qui devrait amener logiquement à une certaine faiblesse du dollar par rapport à l'euro.

Un scénario inflationniste sur les 5 à 10 ans qui viennent est-il réaliste ?
Ce scénario est complètement absurde. Nous sommes au contraire dans un scénario déflationniste : le taux de chômage extrêmement élevé va faire pression sur les salaire ; en raison des marges de capacité de production inemployée, les entreprises ont plutôt tendance à baisser leurs prix, la concurrence de pays comme la Chine qui perdure, puisque cette dernière ne réévalue pas sa monnaie. Au total, nous avons des forces déflationnistes lourdes tant au niveau des marchés des biens que du travail, si bien que les prix et les salaires auront tendance à diminuer pour les uns et à stagner pour les autres. Il n'y a donc absolument aucune tendance prévisible à l'inflation. Les marchés anticipent d'ailleurs à 10 ans une inflation de 1,8% par an.
Il existe deux arguments pour conforter le scénario inflationniste, mais qui me semblent complètement faux : le premier qui consiste à dire que, comme il y a une dette publique importante, ce serait très utile qu'il y ait une forte inflation permettant donc de liquider les dettes, mais même si on estime que cette inflation est souhaitable, on ne voit pas bien comment on pourrait la provoquer, puisque la politique économique est déjà poussée au maximum ; le second argument consiste à dire que dans la mesure où la Fed a une politique monétaire expansionniste, ça va entraîner de l'inflation, mais comme cette politique est seulement là pour compenser le fait que les entreprises n'investissent pas et que les ménages ont réduit leurs achats de logement et ont plutôt tendance à avoir des taux d'épargne relativement élevés pour les Etats-Unis, il n'y a aucune raison que ça se traduise par de l'inflation.

Quelles marges de manœuvre reste-t-il aux banques centrales ?

Aucune, tout a été fait. Les Etats-Unis ont besoin d'un dollar extrêmement faible. Le problème c'est que la Chine ne veut pas apprécier sa monnaie, et la zone Euro aimerait avoir une monnaie faible, de même que les anglais avec la Livre. Cet instrument-là disparaît donc.
Par ailleurs, la croissance américaine était basée sur une bulle financière et une bulle immobilière, or ces dernières se sont effondrées, donc les ménages américains se retrouvent relativement pauvres et ont besoin d'épargner, ce qui génère une pression à la baisse sur la demande. Dès lors, la solution serait que les marchés redeviennent brutalement optimistes et fassent naître une nouvelle bulle financière et. Du coup, les ménages américains se sentiraient plus riches et pourraient consommer. Le problème c'est que ça ne se commande pas et que les marchés voient bien que la situation n'est pas brillante, il n'y a donc pas de montée suffisante de la Bourse.
La troisième solution consisterait à dire qu'il faut distribuer plus de salaires à la masse des travailleurs américains pour qu'ils consomment et on pourrait ainsi repartir avec une croissance saine qui serait basée non pas sur une bulle financière, mais sur la consommation des ménages. Le problème, c'est que le chômage fait plutôt pression à la baisse sur les salaires et que dans une économie mondialisée, aucun pays ne souhaite se lancer dans une politique qui lui ferait perdre de la compétitivité et les pays qui devraient mener cette politique ce sont plutôt l'Allemagne ou la Chine que les Etats-Unis. Au final, les Etats-Unis apparaissent complètement coincés sans de marges de manœuvre. Le seul espoir qui reste, c'est soit le retour de la bulle financière, ce qui nécessiterait un certain aveuglement des marchés, soit une nouvelle révolution technologique qui ferait que les entreprises investiraient massivement.

La Fed a-t-elle bien réagi en reprenant sa politique non-conventionnelle ?
Le but de la Fed est de contribuer à rassurer les marchés sur le fait que les taux d'intérêt seront durablement faibles et que la Fed sera toujours là pour s'assurer qu'il n'y aura pas de crise de liquidité pour quelque organisme que ce soit. Donc, dans l'ensemble, c'est très positif. Cela dit, ce serait encore mieux si les entreprises et les ménages en profitaient pour s'endetter, mais après la crise de l'endettement que nous avons connu, il parait très difficile de les inciter à le faire…

Une remontée de la Bourse vous semble-t-elle envisageable ?
La bourse a sans doute anticipé un peu trop vite le retour de la croissance et la fin de la crise. Elle en prend conscience maintenant, il est donc assez normal qu'elle rechute, et il lui faudra peut-être six mois pour digérer le fait que la croissance n'est pas assurée. En même temps, nous ne sommes pas dans un scénario où les autorités ont perdu tout contrôle de l'évolution économique, il faut donc que la Bourse enregistre le scénario de croissance molle dans lequel nous sommes. Elle ne devrait donc pas repartir avant six mois.

Propos recueillis par Nicolas Sandanassamy

Nicolas Sandanassamy