Interview de Antoine Brunet : Président d'AB Marchés

Antoine Brunet

Président d'AB Marchés

Les pays occidentaux ne peuvent plus faire comme si la Chine n'avait pas un adopté un comportement d'adversaire à leur égard

Publié le 30 Août 2010

Vous estimez que la Chine fait de son mieux pour que les Etats-Unis, l'Europe et le Japon restent dans une stagnation prolongée. Pourquoi ?
Les pays du G7 sont peut être sortis de la récession mais restent en crise. La reprise est très faible et très fragile alors même que des armes exceptionnelles ont été déployées à grande échelle. Les taux directeurs sont maintenus à 0 depuis 20 mois. Par ailleurs, les plans de relance budgétaires massifs ont été instaurés. Pour la deuxième année consécutive, les Etats-Unis et le Royaume-Uni afficheront un déficit budgétaire proche de 10% de leur PIB.

Cette crise est une crise du G7. En dehors de ce groupe, la plupart des pays vont bien sauf le Mexique où a surgi le chaos politique en conséquence d'une économie ruinée après qu'en 2001, les filiales américaines aient quitté le pays pour la Chine, dix fois plus compétitive.

Et cette crise rime avec la Chine. Les derniers chiffres du PIB américain montrent une dégradation brutale et totalement inattendue du commerce extérieur. La consommation américaine est restée honorable, mais cette consommation s'est plus adressée aux exportations chinoises qu'à la production américaine. Le PIB américain au deuxième trimestre devrait en définitive ressortir très faible. Nous attendons un taux de croissance d'environ 1,0% pour le chiffre révisé.

De quelle manière s'est traduite la politique délibérée de guerre économique menée par la Chine par rapport aux pays occidentaux ? Entre 2002 et 2007, la Chine contribue, fortement mais implicitement seulement, au murissement de la crise. L'entrée de la Chine à l'OMC provoque un déficit extérieur majeur à la zone G7 considérée globalement. Le G7 n'aurait pas connu la reprise à compter de 2003 s'il n'avait pas alors sollicité à une échelle, exceptionnelle et excessive, le secteur immobilier aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Espagne, en Irlande et même en France pour compenser l'impact négatif de ce déficit extérieur et croissant. Quand l'immobilier se renversa brutalement parce qu'on y avait saturé durablement la demande, la récession a surgi.

Ce qui est nouveau, c'est que depuis 2007, on voit la Chine faire des croches pieds successifs pour maintenir délibérément la crise dans la zone G7.
Elle a tout d'abord relancé en mars 2008 la question de la solvabilité de la signature de Freddy Mac et Fanny Mae. La Chine a exigé des autorités américaines une solution immédiate à cette question, les détournant de leurs tâches prioritaires (la gestion de la crise immobilière et de la crise bancaire qui étaient sur le point de s'accentuer gravement).

Le deuxième croche-pied a consisté dans l'interruption sans explication en juillet 2008, en pleine tourmente, de l'appréciation du yuan alors même que la poursuite ou mieux l'accentuation de cette appréciation aurait constitué la meilleure des roues de secours pour les occidentaux.

Le troisième coup bas a été porté par la Chine en 2009 face à la politique de quantitative easing menée par les Etats-Unis. La Chine leur a "savonné la planche" en prétendant que la politique américaine était une politique laxiste, que les obligations souveraines américaines étaient devenues un placement très aventureux et que le dollar ne méritait plus sa place de monnaie de réserve internationale. Parallèlement, pour enfoncer le clou, Pékin a fait un coup de promotion de l'or en annonçant très soudainement un achat récent de 450 tonnes d'or. Le fort mouvement de baisse du dollar contre euro fit monter très fort le prix du baril en dollar et de l'essence à la pompe aux Etats-Unis.
C'est à la suite de cette campagne que Bernanke a indiqué en novembre 2009 qu'il abandonnerait en mars 2010 la politique du quantitative easing, ce à quoi il s'est tenu.

Il n'est pas impossible que les Etats-Unis, du fait notamment d'un ralentissement non anticipé de leur croissance, décide de revenir à cette politique. Mais ils réfléchiront beaucoup avant toute décision car ils savent qu'ils s'exposent à une nouvelle campagne de dénigrement du dollar par les autorités chinoises.

La sortie de crise des pays occidentaux passera par la résolution de la question du yuan...
La Chine s'est conduite de manière totalement arrogante lors du dernier sommet du G 20 à Toronto. En annonçant un retour à une flexibilisation prochaine du yuan juste avant que le sommet ne se tienne, elle a réussi à éviter que le yuan soit discuté au G20 alors que se dessinait une coalition contre elle entre les pays du G7, le Brésil, l'Inde et la Corée.
La promesse ne s'est cependant pas concrétisée. Aucune appréciation du yuan n'a eu lieu.. En dépit du communiqué solennel, nous avons toujours une stabilité du cours du yuan par rapport au dollar, autour de 6.80.

En matière de relation internationale, cela fait longtemps qu'une grande puissance économique n'avait pas fait un coup fourré aussi important à une autre grande puissance économique.

Comment voyez-vous la suite des évènements ?
La Chine met tout en œuvre actuellement pour tuer à la fois le dollar et l'euro comme monnaie de réserve.
Suite aux évènements de 2009, le dollar a été affecté de manière significative et a perdu beaucoup de son lustre.
S'agissant de l'euro, lorsqu'il a été demandé en mars 2010 à la Chine pour quelle raison elle ne venait pas au secours de la Grèce, elle a répondu qu'il ne serait pas raisonnable d'acheter une dette souveraine qui est cinq fois pire que la dette américaine à laquelle elle est déjà très réticente. Ce n'est que lorsque les pays européens ont annoncé qu'ils prendraient des mesures extrêmes de restriction budgétaire, que nous avons vu la Chine venir ostentatoirement acheter des bonos espagnols.

Mais entre les mois de mars et juin il y aura eu cette crise extrêmement intense de la dette publique européenne et le sentiment a surgi chez plusieurs Etats tiers que l'euro ne méritait plus non plus son statut de monnaie de réserve.

Pour mieux tuer les deux monnaies de réserve occidentales, il faut promouvoir des substituts qui sont l'or à court terme et le yuan à long terme.
Pékin vient de prendre des mesures pour encourager les résidents chinois à détenir de l'or. Cela maintiendra encore mieux le métal jaune entre les rails fortement haussiers depuis 2001 qui contribuent nettement à son succès.
Pour la première fois, la Chine vient d'autoriser les banques occidentales à acheter des obligations chinoises et a par ailleurs donné le feu vert à une émission d'obligations en yuan faite par l'entreprise Mc Donald. Toutes ces initiatives visent à promouvoir l'or (à court terme) et le yuan (à plus long terme) pour mieux faire disparaitre le statut privilégié du dollar et de l'euro.

Il faut garder à l'esprit quels enjeux sont liés aux monnaies de réserve. Si les Etats-Unis ne sont plus en mesure de financer leur déficit extérieur par émission de dollars, cela affaiblira leur taux de croissance potentielle et surtout cela finira par les obliger à réduire le budget du Pentagone. Deux conséquences qui intéressent beaucoup la Chine.

Propos recueillis par Imen Hazgui