Interview de Antoine Sautenet : Chercheur associé au sein de l'Institut français des relations internationales

Antoine Sautenet

Chercheur associé au sein de l'Institut français des relations internationales

L'Union européenne désarmée face à la Chine et à l'Inde

Publié le 16 Septembre 2010

Un conseil européen devrait avoir lieu aujourd'hui sur la manière dont l'Union européenne doit réfléchir sur sa relation avec ses partenaires stratégiques, en particulier la Chine et l'Inde. Quel est l'objet de ce Conseil ?
L'Union européenne a commencé à négocier un accord de libre échange avec l'Inde en 2007 et un accord de partenariat et de coopération avec la Chine en 2005. Le point commun de ces accords réside dans la difficulté de leur finalisation. A la fois la Chine et l'Inde ne souhaitent pas aller au-delà des engagements contractés au sein de l'OMC et ne veulent pas inclure de dispositions sociales et environnementales.

Pour le moment l'Union européenne est dans une situation où elle a du mal à affirmer ses priorités face à ces grands émergents. Elle ne sait pas comment se placer sur le terrain parce que l'équilibre des négociations n'est pas en faveur de l'Union européenne.

Ainsi l'Union européenne s'efforce de rechercher des stratégies alternatives sachant que parallèlement les négociations au sein de l'OMC sont également bloquées notamment du fait que les Etats-Unis ont réamorcé l'idée d'une différenciation entre les pays en développement. Les américains considèrent que la crise économique a accéléré l'émergence des grands pays asiatiques de manière durable, impliquant de fait une nécessaire extension de l'accès à ces marchés aux Etats-Unis et aux autres pays industrialisés.

Au demeurant, la montée en puissance de ces pays émergents n'est pas seulement économique, mais tend également à devenir politique. Cela se traduit dans le cadre du G20, mais également par un certain nombre de réformes d'institutions internationales.

Quels sont selon vous semble les principaux points qui posent problème dans le cadre des négociations en cours ?
Paradoxalement, l'UE a réussi à avancer sur les chapitres politiques avec la Chine, y compris sur une clause liées aux droits de l'homme, sous réserve des demandes que pourraient faire la Chine sur le volet politique, notamment une clause sur Taiwan.

En revanche sur le plan économique, les principaux sujets qui posent problème sont les droits de propriété intellectuelle, l'investissement, les marchés publics, les exportations de matières premières.
La Chine a adopté un arsenal législatif complet en matière de propriété intellectuelle. Elle est membre de l'ADPIC dans le cadre de l'OMC, et de pratiquement l'ensemble des traités multilatéraux en la matière (droit des brevets, etc.) mais ne met pas en œuvre fondamentalement ses engagements.
L'UE a du mal à faire accepter à la Chine des obligations en termes de respect de droits de propriété intellectuelle des entreprises européennes sur son territoire.

Par ailleurs, les conditions d'investissement sont relativement difficiles en Chine. Les milieux d'affaires se plaignent des restrictions à l'investissement, dans le domaine des assurances par exemple.

Dans le domaine des marchés publics, alors que l'UE se caractérise par une certaine ouverture-récemment les autoroutes en Pologne ont été gagnées par une entreprise chinoise-en revanche les entreprises européennes ont beaucoup plus de mal à gagner des marchés de commandes publiques en Chine, car le pays n'est pas membre d'un accord plurilatéral sur les marchés publics de l'OMC. Ainsi le climat d'affaires est relativement hostile pour les entreprises européennes dans l'Empire du milieu.

S'agissant des matières premières, la Chine qui produit ou dispose d'un certain nombre de matières premières, en particulier des métaux rares a décidé de restreindre l'exportation de ses matières premières vis à vis des Etats Unis et de l'Europe. Cela fait l'objet d'un contentieux au sein de l'OMC.

Qu'en est-il de la question du yuan ?
La question du yuan est difficile à gérer sur le plan bilatéral. La Chine a fait un pas en en faisant flotter sa monnaie, mais qui s'est peu apprécié. Globalement, la Chine ne veut pas mettre cette question à l'agenda des rendez-vous internationaux. Autant la Chine s'efforce de se présenter comme la voix des pays en développement, autant elle parle très peu de ses problèmes internes.

Est-ce les mêmes difficultés qui se posent avec l'Inde ?

D'une autre façon. En matière de restriction des exportations de matières premières, le problème se pose de manière moins importante. Cependant la question de l'investissement direct étranger est significative en Inde, de même que celle des droits de propriété intellectuelle du fait de la position particulière de l'Inde sur le segment des médicaments génériques.

Récemment des médicaments génériques ont été saisis par l'administration douanière des Pays-Bas, et l'Inde a considéré qu'il s'agissait d'une rétention non conforme aux droits de l'OMC. Cela créé un conflit entre l'UE et l'Inde.

Quels sont les atouts dont dispose l'UE pour peser dans la balance pour les négociations bilatérales ?
Honnêtement peu de chose. L'UE pourrait offrir en contrepartie à la Chine le statut d'économie de marché pour les droits anti dumping. Lorsqu' il y a un phénomène de dumping de la part d'un pays qui est dépourvu de ce statut d'économie de marché, l'UE peut en principe appliquer des sanctions financières plus fortes aux entreprises originaires de ce pays. Cependant, lorsque la Chine avait adhéré à l'OMC en 2001, il a été prévu que ce statut d'économie de marché lui serait automatiquement accordé en 2016. Ainsi plus l'UE tarde dans ses négociations et plus la valeur ajoutée dans le "deal" de cette contrepartie diminue.

Sur le plan politique, le seul argument qui pourrait jouer avec la Chine concernerait l'embargo sur les armes mis en place après les évènements de Tian'anmen. Cependant, nous n'avons pas de consensus sur ce point. D'autant qu'il y a une pression américaine pour maintenir cette embargo. Cette concession éventuelle est très difficile à faire.

Par conséquent votre sentiment est plutôt pessimiste sur l'issue des négociations de ces accords ?
Oui et non. Je pense que l'UE doit se montrer plus offensive, plus active, voire plus sévère et arrêter de penser que ces puissances émergentes sont essentiellement des pays en développement. Cela suppose une évolution dans la manière de penser. Il faudrait par exemple mettre en place parallèlement à la poursuite des négociations bilatérales une stricte réciprocité en matière de marchés publics. Si la Chine décide de fermer ses marchés publics dans un domaine donné, l'Union européenne doit pouvoir aussi fermer ses marchés publics. L'UE doit être en mesure prendre davantage en considération les intérêts des entreprises européennes.

A-t-on des éléments d'informations sur l'orientation de la position de l'UE dans le cadre de ce Conseil ?
Nous avons assez peu de renseignements pour le moment. La difficulté lorsque l'on réfléchit sur le positionnement entre l'UE et les pays émergents, c'est que nous n'avons pas de positionnement unique. Les Etats membres n'ont pas la même perception de qui est un partenaire stratégique et de quelles doivent être les options opérationnelles avec chaque partenaire stratégique.
Malgré les efforts du Traité de Lisbonne, il est encore difficile pour l'UE d'être un acteur visible sur la scène internationale d'autant que Catherine H, commissaire en charge de la politique étrangère est critiquée pour son manque de réactivité. L'UE doit pouvoir allier puissance commerciale et affirmation politique, et ne pas seulement privilégier la dimension économique.

Propos recueillis par Imen Hazgui