Interview de Raphael Gallardo : Stratégiste au sein d'AXA IM

Raphael Gallardo

Stratégiste au sein d'AXA IM

L'ère de coopération internationale pour lutter contre la crise est clairement terminée

Publié le 12 Octobre 2010

Selon vous, les conditions macroéconomiques mondiales sont aujourd'hui favorables à une pression à la baisse des monnaies…
Cela est très clair pour les Etats-Unis, le Japon et la Suisse. Cela est plus ambigu pour le Royaume-Uni qui rencontre un problème d'inflation.
Dans ces pays, la demande domestique est plombée par un excès de dette privée et de dette publique. Pour conserver une croissance vigoureuse, ces économies n'ont d'autres choix que de favoriser les exportations vers les pays émergents. N'étant pas très bien positionnés sur l'échelle de valeur contrairement à l'Allemagne, leur capacité d'exportation dépend alors beaucoup du niveau des taux de changes.
Au-delà de cette considération, la pression politique se fait encore plus ressentir aux Etats-Unis du fait que la société est plongée dans un désarroi profond. Le niveau actuel du chômage et du sous emploi (les personnes découragées et les personnes qui travaillent au temps partiel) est très important. Nous sommes à 17% de la population active, un niveau insoutenable pour les Etats-Unis, dont le contrat social repose sur le plein emploi.

Nous avons vu certains pays émergents également intervenir ou afficher leur volonté d'intervenir sur le marché des changes…
Les pays émergents connaissent un afflux massif de capitaux venant de l'extérieur. Les investisseurs étrangers se précipitent vers les actions émergentes en raison de la croissance économique affichée par ces pays et vers la dette émergente en monnaie locale en raison du faible niveau des taux d'intérêts dans le monde occidental.

Cet afflux de liquidités tend à exercer une pression haussière sur les devises des pays émergents. Or ces pays ont conscience que laisser entrer ces capitaux aujourd'hui serait prendre un risque que demain ils ne ressortent encore plus vite qu'ils ne sont rentrés en créant des dommages collatéraux significatifs sur leur économie.
Beaucoup de ces pays ont en vécu l'amère expérience il y a de cela deux ans en 2008. Les sorties ont été rapides et ont provoqué beaucoup de faillites d'entreprises qui soit avaient été incitées à s'endetter en devise, soit avaient contracté auprès de banques internationales des emprunts libellés en monnaie locale, mais dont le montant ou le coût dépendait du niveau du dollar.

Pour résister au mouvement d'appréciation de leur monnaie, les pays émergents ont décidé de réagir en intervenant sur le marché des changes. Ce faisant, les banques centrales accumulent des réserves de change qu'elle replacent au moins en partie sur les courbes des taux européenne, américaine, voire japonaise.

Ne pensez-vous pas que la véritable anomalie réside dans la sous évaluation du yuan et que la réévaluation de la devise chinoise permettra de mettre fin aux déséquilibres mondiaux ?

La réévaluation du yuan ne résoudrait pas le problème du déficit commercial des Etats-Unis. Cela ferait souffrir les entreprises américaines qui exportent des produits chinois aux Etats-Unis. Par ailleurs, ce qui ne sera pas produit en Chine ne sera pas produit aux Etats-Unis du fait simplement de la réévaluation du yuan.
La production bougera de la Chine vers un pays moins cher, l'Indonésie ou les Philippines. Ainsi les Etats-Unis auront un déficit moins élevé avec la Chine mais plus élevés avec ces pays tiers où la main d'œuvre sera moins couteuse.

Le véritable problème est donc que nous n'avons pas d'institutions mondiales pour piloter la création monétaire à l'échelle mondiale…
La politique monétaire mondiale est un bateau ivre de nouveau. Il n'y a toujours pas de capitaine. Les banques centrales ont toutes un mandat purement national. Elles ne regardent pas plus loin que leur économie domestique.
Il est peut être rationnel du point de vue américano-américain pour la Fed de poursuivre le quantitative easing. Mais d'un point de vue collectif, ce comportement est dangereux.

Plutôt qu'une guerre des monnaies, il est plus à craindre une guerre commerciale?

La réunion du FMI a montré ce week-end que l'ère de coopération internationale pour lutter contre la crise était clairement terminée.
Nous voyons apparaitre des contrôles de change. Les thaïlandais, les indonésiens, les brésiliens ont déjà commencé à réagir en mettant des barrières à l'entrée des capitaux.
Si la gouvernance monétaire mondiale reste un jeu non-coopératif comme c'est le cas aujourd'hui, la tentation protectionniste qui se dessine dans les pays développés, finira par se concrétiser.

Le protectionnisme a donc vocation à se renforcer ?
Nous sommes parvenus à résister à cette tentation en 2008-2009.
Aux Etats-Unis, la situation est en train de se dégrader. Cela fait près de 10 ans que les lois qui sont censées imposer des sanctions aux importations chinoises circulent au Congrès américain. C'est la première fois, qu'il y a eu un vote à la Chambre des représentants. Il se pourrait qu'il y ait un vote au Sénat. Cependant je pense que derrière il y aura un véto présidentiel.
Nous sommes à un mois des élections de mi-mandat. Il est très possible que nous ayons de multiples postures électoralistes d'ici là. Cependant, on espère que le pragmatisme sera de retour après les élections.
Les républicains ne pourront plus tenir le discours populiste selon lequel si le chômage est à plus de 10%, c'est la faute à Obama qui a augmenté le déficit à 10%. Ce qui ne veut absolument rien dire.

Pensez-vous que les mesures jusqu'ici adoptées pour contrôler les entrées et sorties de capitaux pourront éviter les conséquences dévastatrices de la spéculation qui cherche refuge sur les marchés émergents ?
Pour le moment, ces mesures ne découragent personne. Il faudra sans doute taper plus fort.
Les brésiliens ont imposé une taxe à 4%. Etant donné que les taux courts brésiliens sont quasiment à 10% et que la Fed va faire tomber les taux américains vers les 2%, la taxe de 4% n'est pas prohibitive. Il faudrait monter jusqu'à 6-7%.
D'autres mesures sont donc à prévoir qui auront comme effet d'intensifier la volatilité sur les marchés émergents.

Le monde va être de nouveau envahi d'un excès de liquidités qui va nourrir les déséquilibres mondiaux et la formation de bulles d'actifs. Dans quels compartiments ces bulles devraient- elles se constituer ?
Pour qu'un excès de liquidité aille s'investir sur une classe d'actif, il faut qu'il y ait une belle histoire à raconter. Parmi les compartiments les plus probables, nous trouvons les matières premières, les pays émergents (en particulier les thèmes des infrastructures, de l'immobilier), des innovations technologiques (nanotechnologie, biotechnologie, green tech).

A-t-on raison de dire que l'euro est le dindon de la farce, le bouc émissaire, la victime de ce jeu de dévaluation ?
A court terme la BCE se refuse d'intervenir sur le change même verbalement bien que l'appréciation de l'euro depuis cet été correspond à un durcissement des conditions monétaires en zone euro de 50 points de base, autrement dit comme si la banque centrale avait monté deux fois les taux.
A court terme, nous sommes un peu le pigeon.
Ceci étant dans notre malheur, nous devrions être rattrapés par les difficultés structurelles à la périphérie de l'Union monétaire, qui feront en sorte que l'euro ne sera plus le dindon de la farce, parce que tout simplement la farce sera moins appétissante.

Cependant, l'euro a des sources de fragilité qui vont revenir ?
Nous pensons que la crise des finances publiques dans les pays périphériques à la zone euro n'est pas terminée que ce soit en Grèce, en Irlande ou au Portugal. Qui plus est, la situation en Espagne et en Italie demeure fragile. La France sera plus examinée en 2011 dans les perspectives des prochaines élections présidentielles.
Ainsi nous ne devrions pas atteindre un niveau de parité dangereux pour la croissance européenne. Nous ne devrions pas dépasser les 1,45.

Propos recueillis par Imen Hazgui

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