Interview de Marc  de Scitivaux : Economiste, Directeur des Cahiers Verts de l'Economie

Marc de Scitivaux

Economiste, Directeur des Cahiers Verts de l'Economie

Il n'y a pas de guerre des monnaies mais une anomalie profonde : le yuan

Publié le 14 Octobre 2010

Pour certains nous vivons actuellement un contexte tendu de «guerre des changes». Qu'en pensez-vous ?
La notion de «guerre des changes» ou de «guerre des monnaies» est une fausse notion. Elle n'existe pas.
Il n'y a qu'un seul problème dans le monde, le fait que le yuan ne soit pas à son juste prix.

L'idée qu'il y ait une manipulation des monnaies est une idée ridicule pour les monnaies qui circulent librement dans les marchés : le dollar, le yen, l'euro, la livre sterling, le franc suisse. Les autorités de ces pays n'ont que des moyens très limités d'influer sur le cours de leur devise. Tous les jours, plusieurs milliers de milliards de dollars sont échangés sur le marché des changes. Les achats des banques centrales sur ce marché représentent à peine 5 à 10% des mouvements de capitaux.

Ainsi, le yen est monté de 40% depuis 36 mois. La Banque centrale du Japon n'a eu aucun moyen de l'empêcher. Nos amis suisses s'efforcent d'influer sur l'évolution de leur monnaie depuis un certain temps, et n'y arrivent pas.

Dans les trois grandes zones, les taux d'intérêts se promenant entre 0 et 1%, aucun investisseur n'est tenté de déplacer ses capitaux pour avoir un rendement supérieur de 0,25 points sur un an, alors que les monnaies évoluent de 2 à 3% par mois.

Il y a cependant dans le monde un déséquilibre important lié au fait que la seconde économie du monde, et le second exportateur mondial, la Chine a un contrôle des changes qui lui permet de conserver une monnaie profondément sous évaluée en dépit de l'apparition d'excédents extérieurs.

Selon vous l'erreur est originelle ?
Jamais la Chine n'aurait du rentrer au sein de l'OMC sans avoir en contrepartie abandonné son contrôle des changes.
La monnaie d'un coté et les comptes extérieurs sont les revers d'une même médaille. Dans le cas où l'on bloque de manière artificielle la valeur de la monnaie, alors le rééquilibrage automatique des comptes extérieurs n'est pas possible.

Quel regard portez-vous sur la forte hausse de l'euro ?

Il existe dans le monde deux monnaies de réserve, autrement dit des monnaies considérées comme des monnaies conservables, échangeables facilement. Ces monnaies ont pour caractéristiques commune d'exister en quantité importante en terme de volume, et sont émis par des émetteurs qui offrent une certaine sécurité. Ce sont l'euro et le dollar.

Il suffit que les opérateurs aient à un moment donné une petite méfiance ou réticence à détenir le dollar pour que la seule monnaie alternative s'apprécie. C'est ce qui se passe en ce moment. L'économie américaine affiche un essoufflement plus prononcé que l'économie européenne prise dans son ensemble.
L'Allemagne qui représente 35% du PIB européen donne par sa bonne résistance conjoncturelle et son excédent commercial important une forte crédibilité à la monnaie unique.

L'appréciation de l'euro est d'autant plus importante en raison de la dévaluation du yuan...
L'euro est clairement la victime du contrôle des changes de la Chine. Le blocage du cours du yuan a pour conséquence le fait que l'euro se retrouve le seul récipiendaire des opérateurs qui souhaitent diversifier leur réserve de change.
S'il n'y avait pas de contrôle des changes et si la monnaie chinoise était libre, une partie des capitaux en recherche d'autres investissements que le dollar iraient dans la monnaie chinoise en raison de la sécurité que présente la Chine par ses excédents commerciaux significatifs.

Pour certains il y aurait une connivence entre les Etats-Unis et la Chine pour maintenir le dollar à un niveau faible. Qu'en pensez-vous ?
C'est une idée reçue. Cela est dû à une méconnaissance inouïe des mécanismes économiques et financiers. L'ignorance conduit tout de suite à la théorie du complot.

Les chinois ont pour des raisons internes intérêt à avoir une monnaie sous évaluée. Le poids des exportateurs dans le système politique chinois est considérable. Même si le gouvernement central chinois a envie et a l'intention de rebasculer son moteur de croissance sur la consommation intérieure, il ne peut pas le faire d'un seul coup. Cette consommation intérieure suppose dans le partage de la valeur ajoutée des entreprises chinoises, une part plus importante pour les salaires qui ferait perdre aux entreprises chinoises de la compétitivité extérieure.

Ce sont donc les perspectives d'un manque à gagner des sociétés exportatrices chinoises et les liens mafieux qui existent entre ces sociétés exportatrices et des pouvoirs locaux qui expliquent pourquoi il est difficile pour les autorités de Pékin, même s'ils le souhaitaient de laisser le taux de change s'apprécier normalement.

Quel perspective d'évolution envisagez-vous pour le la devise chinoise ?
La réévaluation du yuan se fera, mais elle se fera lentement. Nous avons un exemple célèbre que l'on a tendance à oublier, c'est celui du Japon. Ce que l'on dit sur la Chine aujourd'hui, on le disait sur le Japon en 1970. Le yen a triplé contre toutes les monnaies entre 1970 et 1990. Cela a pris 20 ans.
Que les chinois s'efforcent de réévaluer leur monnaie le plus lentement possible, cela est une certitude. A présent, nul ne peut dire si cela prendra 5 ans, 10 ans ou 20 ans. Cela ne dépendra pas de considérations économiques mais des équilibres politiques à l'intérieur de la Chine.

Toutes les personnes qui déclareraient avoir un avis sur le sujet feraient preuve de leur méconnaissance du mécanisme sous jacent. Cela signifierait qu'ils auraient un avis très clair sur qui sera le vainqueur à l'intérieur du pouvoir politique chinois.

Nicolas Sarkozy déclare vouloir réformer le système monétaire international. Qu'en pensez-vous ?
L'idée de réformer le système monétaire international ne fait pas sens parce qu'il n'y a pas de système monétaire international a proprement parler. C'est totalement ringard comme idée.
Angela Merkle a déjà dit qu'elle ne soutenait absolument pas la position française sur la réforme du système international.

Le seul acteur à même de pouvoir dénouer cette situation est donc la Chine...
C'est une évidence. Nous n'avons pas une trop grande flexibilité sur le marché des changes. Au contraire nous avons une flexibilité trop étroite.

La Chine bloque l'ajustement de son taux de change compte tenu de ses excédents.
Si demain le yuan peut librement être fixé par les marchés, nous n'entendrons plus parler de la nécessité de rétablir les équilibres mondiaux.
Si la Chine acceptait la réévaluation de sa monnaie, il y aurait moins d'excédents chinois, moins de placements chinois dans les obligations d'Etat américains, moins d'endettement américain, moins de croissance américaine due à l'endettement, moins de déficit extérieur américain.

La dernière bulle que nous avons connue en 2007-2008 était justement due au fait que la Chine ayant des excédents commerciaux importants a réorienté les dollars qu'elle avait en les prêtant ce qui a baissé les taux d'intérêts dans le monde poussant les gens à s'endetter.
C'est la raison pour laquelle aucun problème n'a été résolu depuis l'apparition de la crise en 2007.

Les mêmes causes produiront les mêmes effets. Tant que le yuan sera profondément sous évalué, nous aurons forcément des excédents financiers qui devront se déverser quelque part.
C'est ce qui explique que les taux d'intérêt américains soient si bas. Ce niveau faible ne pousse pas les Etats à devenir de sérieux élèves rapidement.

Quelle pourrait être les conséquences de la surévaluation de l'euro ?
Tout d'abord, l'euro peut rester longtemps surévalué. Le yen est resté surévalué entre 7 et 8 ans alors que le pays était en déflation.
Si l'euro devait être durablement surévalué, le problème se poserait à l'intérieur de la zone euro. La plupart des pays à l'exception de l'Allemagne et des Pays Bas, ne peuvent pas supporter une monnaie chère trop longtemps. Les tensions intrinsèques seraient de plus en plus importantes. Le taux de chômage augmenterait et toute idée de procéder à des réformes seraient abandonnées.
Le risque d'un euro fort est celui d'un éclatement de la zone euro

Propos recueillis par Imen Hazgui
Expert rencontré lors de la Convention Patrimonia qui s'est tenue le jeudi 30 septembre et le vendredi 1er octobre 2010