Interview de Mathieu Plane : Economiste à l'OFCE (Science Po)

Mathieu Plane

Economiste à l'OFCE (Science Po)

Ce n'est pas le moment de demander à l'Irlande de revoir sa fiscalité

Publié le 22 Novembre 2010

Pour la deuxième fois en moins d’un an, un pays de la zone euro doit être sauvé par l’UE et le FMI. Que vous inspire le cas irlandais ?
Le cas de l’Irlande est plus grave que celui de la Grèce. En effet, au-delà de la dette publique (qui devrait avoisiner 100% du PIB cette année, ndlr) se cache un problème beaucoup plus inquiétant, celui du secteur bancaire dont les actifs représentent 600% du PIB et qui, par ses pertes, fait peser une menace sur l’ensemble du système financier européen. Si on ne recapitalise pas les banques irlandaises, il y a un risque de défauts en chaîne. Les premières victimes seraient les banques britanniques et allemandes, puis par ricochet les banques françaises. Le plan d’aides annoncé hier est avant tout destiné à éviter un tel scénario et je pense qu’il sera mis en œuvre plus rapidement que celui de la Grèce.

L’aide européenne va s’accompagner d’une cure d’austérité sans précédent pour l’Irlande. Est-ce la bonne formule selon vous ?
Dublin et l’Union européenne se sont mis d’accord sur un plan d’économies de 15 milliards d'euros d'ici 2014, soit 10% du PIB irlandais. C’est gigantesque. Or, l’Irlande a connu la pire récession de la zone euro en 2009 et devrait rester en récession cette année avec un taux de chômage record de 14%. Le modèle irlandais était basé sur une bulle, immobilière et financière, qui a éclaté pendant la crise. La question est désormais : où trouver de la croissance ? Je ne suis pas sûr que le pays puisse se sortir de l’ornière en taillant dans ses dépenses publiques et n’augmentant pas ou très peu ses impôts. Cela va au contraire entraîner une hausse du chômage et de la précarité.

Certains dirigeants européens, notamment en France et en Allemagne, veulent mettre fin à la fiscalité très avantageuse de l’Irlande en ce qui concerne l’installation d’entreprises. Qu’en pensez-vous ?

Dublin pratique ce dumping fiscal depuis son entrée dans la zone euro, sans que personne ne songe à lui demander des comptes. Ce n’est pas le moment de le faire aujourd’hui, alors que le pays est aux abois et a besoin d’un prêt de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Si Dublin remonte le taux de l’impôt sur les sociétés, cela se traduira par des délocalisations. Il n’en reste pas moins qu’une convergence fiscale est nécessaire au sein de la zone euro si l’on veut éviter d’autres crises comme celles que nous sommes en train de vivre.

Propos recueillis par François Schott