Interview de Jean-Marc Lucas : Economiste au sein de la banque BNP Paribas

Jean-Marc Lucas

Economiste au sein de la banque BNP Paribas

Etats-Unis : la décision de prolonger les avantages fiscaux n'est pas un simple prétexte pour Moody's pour tirer la sonnette d'alarme

Publié le 08 Décembre 2010

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Que vous inspire la décision du Président Obama de maintenir les avantages fiscaux pour les ménages américains ?

Nous sommes véritablement face à un compromis, où personne n’a exactement ce qu’il voulait. Le Président Obama a dû céder sur les baisses d’impôt pour les ménages les plus aisés (taux réduit de l’imposition sur les revenus, les plus values, les dividendes et les droits de succession). A contrario, le camp républicain a donné son accord pour un maintien des allocations de chômage de longue durée. Au final, on se retrouve dans une situation où le soutien budgétaire est un peu plus prononcé que ce qui était prévu.

Cette annonce n’était-elle pas attendue dès lors qu’Obama avait perdu les élections de mi-mandat ?
Nous nous attendions effectivement, suite à la défaite démocrate, à une prolongation des avantages fiscaux pour les plus fortunés, mais pas nécessairement à tous les autres volets annoncés. Le compromis aurait pu être plus limité et porter uniquement sur le taux réduit de l’impôt sur les revenus.

Peut-on dire que la décision de maintenir les avantages fiscaux a une logique politique mais pas une logique économique ?
En règle générale, plus on a un revenu élevé, plus on consomme une part limitée du revenu supplémentaire que l’on a. Autrement dit, la propension à consommer est plus faible chez les ménages aisés. Obama aurait souhaité maintenir les baisses d’impôt pour 97% de la population, en laissant de coté les 2% ou 3 % qui gagnent plus de 250 000 dollars par an.

Pensez-vous que les craintes de Moody’s, qui a donné une alerte sur la possible dégradation de la notation triple A des Etats-Unis, soient fondées ?
Ces avantages fiscaux doivent être maintenus jusqu’en 2012. La grande question est de savoir ce qui se passera par la suite. C’est ce qui explique les craintes de Moody’s. Si ces avantages étaient pérennisés à terme, ils constitueraient une charge sérieuse pour les finances publiques du pays, déjà détériorées. Les élections présidentielles de 2012 pourraient compliquer la donne.

Ceci étant, la dégradation des finances publiques ne date pas d’aujourd’hui. Par conséquent, ne peut-on pas considérer que la décision de prolonger ces avantages fiscaux n’est qu’un prétexte pour l’agence de notation de tirer la sonnette d’alarme ?
Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un simple prétexte. Sur la décennie 2010-2019, les calculs effectués par le Joint Committee on Taxation, qui regroupe des parlementaires, suggèrent que l’extension des allègements accordés par l’administration Bush représenteraient un coût d’environ 2100 milliards de dollars au total. Ce n’est peut être pas le point le plus capital pour les finances publiques américaines des prochaines années, le principal problème étant sans doute le financement du système de santé, mais ce montant reste tout de même significatif.

Pensez-vous que l’abaissement de la notation aura lieu ?
Il est difficile de se prononcer à ce sujet. Cela dépendra beaucoup de ce qui sera fait dans le futur. Pour le moment, l’annonce de Moody’s est surtout destinée à mettre en lumière la nécessité pour les Etats-Unis de prendre des mesures correctrices dans les prochaines années pour limiter le dérapage du déficit (en ne pérennisant en particulier pas ces allègements fiscaux temporaires). L’agence de notation prend d’ailleurs la précaution de dire que la notation ne paraît pas en danger dans les 18-24 mois.

Entre temps, pensez-vous que les autres agences de notation vont suivre ce biais négatif? 
Il me semble que les agences sont sur une ligne similaire, même si elles communiquent différemment.

Propos recueillis par Imen Hazgui