Interview de Agnès  Benassy-Quéré : Directrice du Centre d'Etudes Prospectives et d'Informations Internationales (CEPII)

Agnès Benassy-Quéré

Directrice du Centre d'Etudes Prospectives et d'Informations Internationales (CEPII)

L'environnement actuel est plus hostile qu'en plein cœur de la crise financière

Publié le 13 Janvier 2011

Quels sont les principaux risques que vous entrevoyez pour 2011 ?
Le principal risque que je perçois serait que seuls les pays en déficit procèdent à des ajustements importants parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement. Si les pays en excédent comme la Chine, la Russie, les pays du Golf, l’Allemagne, ne font pas plus d’effort, alors il est à craindre une croissance mondiale affaiblie.

Les politiques économiques et monétaires qui sont menées de part et d’autre de l’Atlantique sont totalement contradictoires. Pensez vous que nous avons les politiques adéquates en Europe ? Pour certains membres du CEPII, on a tort de prôner la rigueur sur le vieux continent.
Je pense que oui. Il faut bien garder à l’esprit que le problème de l’Europe actuellement est la crise des dettes souveraines.
Il n’est pas pertinent de vouloir faire adopter à la zone euro les mêmes orientations que celles qui sont suivies aux Etats-Unis. Le système financier européen n’est pas le même que le système financier américain. Le poids des banques dans l’économie est plus important en Europe.
La politique de quantitative easing pratiquée par la Fed n’aurait pas les mêmes effets en Europe si elle était suivie par la BCE.

Le déficit affiché par les Etats-Unis n’est pas moins considérable. Pour autant, la reconduite d’un paquet fiscal important a été décidé par le Président Obama…
Les avis sont très partagés parmi les économistes s’agissant de l’efficacité d’une part de la politique poursuivie par la Fed et d’autre part de ce paquet fiscal décidé par Obama.
Les autorités américaines ont fait le choix de relancer leur économie à court terme. Mais ils vont devoir payer la facture à plus long terme, donc pratiquer des ajustements budgétaires drastiques, dans un pays qui déteste les impôts. On estime que le déficit prévu pour 2012 en pourcentage du PIB devrait être le double de celui de la zone euro.

De quelle manière appréhendez-vous le prochain sommet du G20 ?

Il va absolument falloir trouver un accord sur le problème des déséquilibres internationaux. C’est un engagement qui remonte au sommet de Pittsburg. Il a été convenu au sommet de Séoul de définir des lignes directrices. La crise a temporairement réduit, mais non éliminé ces déséquilibres qui risquent d'augmenter à nouveau avec la reprise.

Au-delà, la question de la réforme du système monétaire international sera également discutée. Il est à espérer qu’une amorce de réponse sera apportée même si nous ne devons pas en toute vraisemblance, compte tenu de la complexité de la question, nous attendre à une solution miracle.

Ne pensez-vous pas que l’absence de coordination internationale dans la conduite des politiques économiques et monétaires constitue une épine importante à laquelle doit faire face Nicolas Sarkozy ?
Les membres du G20 représentent des pays qui sont souverains. C’est un leurre de penser que nous pourrions définir la politique économique et monétaire de chacun au niveau du G20.
En outre, une différenciation dans la conduite des politiques économiques et monétaires n’est pas incompatible avec une coordination au niveau international, compte tenu des divergences de conjonctures.

Nous observons tout de même davantage d’initiatives de coordination qu’auparavant, à travers le "cadre pour une croissance durable, soutenable et équilibrée" décidé au G20 de Pittsburgh et le processus d’évaluation mutuelle des pays. On peut émettre des critiques, dire que tout cela est décoratif et que les pressions exercées ne serviront pas à grand-chose, c'est tout de même une tentative à ne pas négliger.

L’environnement ne vous paraît donc pas plus hostile qu’en plein cœur de la crise financière quand pratiquement tous les pays avaient intérêt à œuvrer en commun pour aboutir à des solutions rapides ? N’a-t-on pas en d’autres termes raté une fenêtre d’opportunité ?

L’environnement est effectivement moins favorable dans la mesure où les pays émergents n’ont pas tellement d'incitations à coopérer, compte tenu de leur reprise économique rapide. Il y a un vrai risque de fracture entre pays du G7 et pays émergents du G20. Je crois que la France en a conscience et qu’elle s’efforce de nouer le dialogue avec la Chine de manière constructive.

A été organisé lundi 10 janvier une table ronde par le CEPII sous la présidence de Masahiro Kawai, doyen et directeur général de l’Institut de la Banque Asiatique de Développement intitulé le G20, un agenda en marche. Que retenez-vous de ce panel ?

La table ronde réunissait des économistes et responsables d'horizons très divers. Pourtant, il existe une certaine convergence de vues au niveau de l'analyse économique : si le G20 ne fait pas mieux, ce n'est pas parce que les économistes ne sont pas d'accord, mais plutôt parce qu'il est difficile de demander à un gouvernement d'oeuvrer pour le bien public indépendamment de ses intérêts nationaux. Le défi essentiel, c'est de montrer à chaque gouvernement ce que la coopération peut lui apporter au niveau national.

Propos recueillis par Imen Hazgui