Interview de Jean-Guy Carrier : Secrétaire général de la Chambre de commerce internationale (ICC)

Jean-Guy Carrier

Secrétaire général de la Chambre de commerce internationale (ICC)

Piratage et contrefaçon : nous sommes face à une situation alarmante et alarmiste

Publié le 02 Février 2011

Quel regard portez-vous sur le piratage et la contrefaçon à l’heure actuelle? Le mouvement s’est il amplifié ? Quelles sont les principales caractéristiques de ce mouvement ?
Nous sommes face à une situation alarmante et alarmiste. En ce sens que tout d’abord nous faisons face à une augmentation de la fréquence des contrefaçons et que par ailleurs nous avons beaucoup plus de types de produits qui sont contrefaits. Effectivement, au-delà de la contrefaçon de produits traditionnels comme les Cdrom, les logiciels ou encore les vêtements, nous voyons apparaitre la contrefaçon de médicaments, ou de produits alimentaires. Ces produits sont notamment largement accessibles par le web en particulier dans les pays en voie de développement où les mécanismes de détection de ces produits ne sont pas au point.
Cette contrefaçon touche également des produits plus sophistiqués tels les freins de voiture qui peuvent s’avérer défectueux et donner lieu à des accidents.

Comment expliquez-vous cette nouvelle tendance ?

Par plusieurs facteurs. Le commerce de produits piratés ou contrefaits est en plein essor. Les moyens de contrôle sont alors insuffisants que ce soient ceux prévus dans le cadre des législations nationales ou dans le cadre de règlements internationaux.
Le développement des pays émergents et l’élargissement de la classe moyenne vivant dans ces pays constitue un autre élément d’explication. Nous avons de plus en plus de cyberconsommateurs. Près de 600 millions de chinois ont accès aux sites internet internationaux. Ils n’étaient qu’une centaine de millions il y a quelques années.
Progressivement une certaine habitude a été acquise de vivre dans les milieux où la contrefaçon est monnaie courante. Il est devenu presque banal de voir et d’utiliser ce genre de produits sans s’interroger sur leur source et sur leur qualité.

Au cours de votre carrière, vous avez mené différents programmes de recherche notamment pour l’Organisation mondiale du commerce. Avez-vous eu l’occasion de vous intéresser de près à la question de la lutte contre la contrefaçon et le piratage ? Sous quel angle précisément ?
Dans le cadre du Traité international sur la propriété intellectuelle de l’OMC, les règles sur la production et la vente des médicaments ont été assouplies dans les pays les plus pauvres. L’optique était de rendre plus accessible ces médicaments destinés à traites des maladies aussi graves que le sida en abaissant leur prix. Ce service rendu a finit par avoir des effets pervers avec l’arrivée de produits contrefaits qui n’étaient généralement rien d’autres que des placebos nocifs.
Nous avons tenté de mesurer l’ampleur de ce commerce qui constitue une manne de revenus considérable pour les réseaux criminels organisés.

De quelle manière la Chambre de commerce internationale, dont vous être le secrétaire général, œuvre-t-elle dans le sens de la lutte contre piratage et la contrefaçon ? Quels sont les outils qui sont à votre disposition ?

Il est impératif que les gouvernements soient plus vigilants, aient davantage conscience, soient plus soucieux de cette orientation du piratage et de la contrefaçon vers des types de produits beaucoup plus dangereux pour la population.
Il est rassurant de constater que de plus en plus d’agences nationales de sécurité se penchent sur le sujet.

Nous travaillons au sein de la Chambre de commerce internationale à une coalition avec ces agences et autres organisations internationales comme l’OMPI sensibles à ce souci pour protéger la propriété intellectuelle et mettre en place des législations et les dispositifs de surveillance adéquats.
Nous jouons en cela un rôle de mobilisation et d’information.

Nous nous efforçons également d’alerter la population sur les dangers sous jacents à ce phénomène. Là-dessus, nous avons la sensation qu’il y a eu une sorte d’évolution des mentalités. Nous sommes passés d’une situation où un grand nombre de la population se faisait complice de ce mouvement en acquérant sans scrupule des produits contrefaits à une situation où l’hésitation et la préoccupation d’aller vers ces produits est plus importante dès lors qu’ils peuvent mettre leur vie en danger.

Vous participez au 6ème Congrès mondial sur la lutte contre la contrefaçon et le piratage qui se déroule à Paris les 2 et 3 février. Qu’attendez-vous de ce Congrès ? Des enseignements ont-ils été tirés selon vous des 5 Congrès qui ont précédé ? Quelles en ont été les traductions concrètes ?
La pleine prise de conscience du problème suppose une campagne de longue durée. Nous sommes face à une machine considérable. Plusieurs années d’efforts seront indispensables. C’est ce à quoi servent ces congrès.

Je ne pense pas que l’énergie mise dans l’organisation de ce type de manifestations soit vaine. En témoigne le fait que de plus en plus d’instances publiques reconnaissent le sérieux du problème et le danger que ce problème représente.

Vous semble-til réaliste ou utopique, notamment du fait de la mondialisation dans laquelle nous nous inscrivons, d’éradiquer toute forme de piratage et de contrefaçon ?

Nous n’arriverons pas à convaincre toutes les instances publiques d’éliminer ce commerce, et de sensibiliser leur population.
Nous ne pourrons jamais éradiquer totalement le phénomène. Nous ne pourrons que tenter d’en atténuer l’emprise et les effets néfastes sur les consommateurs et sur les économies nationales.

Propos recueillis par Imen Hazgui