Interview de Cyriaque  Dailland : Analyste gérant au sein de Convictions AM

Cyriaque Dailland

Analyste gérant au sein de Convictions AM

La faillite de la Californie ne peut pas avoir lieu

Publié le 23 Février 2011

Selon Raymond W. McDaniel, le CEO de l'agence de notation Moody's interrogé par le Financial Times ce 20 février , des défauts sont à attendre du coté des obligations émises par les collectivités locales aux Etats-Unis. Cette annonce conforte les résultats d'une enquête réalisée par Reuters dimanche 13 février.
Pourriez-vous dans un premier temps nous rappeler ce que recouvre le marché des obligations municipales?

Le marché des obligations municipales regroupe toutes les obligations émises par une entité gouvernementale autre que l’Etat fédéral. Cela peut être un Etat fédéré, un comté, une agence locale, un district, une société publique locale (hôpital, stade).

Qu’en est-il de la sensibilité de ces obligations ?
Les maturités peuvent aller de un an à 10 ans ou 30 ans.

Les encours ont eu tendance à exploser ?
En 1995, le marché représentait 1000 milliards de dollars. Aujourd’hui le marché s’élève à 3000 milliards de dollars.

Un intérêt de ces instruments réside dans le fait qu’ils sont assortis d’avantages fiscaux Il n’y a que quelques obligations municipales qui sont dépourvues de ces avantages fiscaux, ce sont les « taxable municipal bonds ». Ils représentent à peine 150 milliards de dollars.

Les obligations municipales sont par ailleurs faciles d’accès car émis avec un faible montant nominal. L’investissement minimum pour investir en direct est de 5000 dollars. Il est également possible d’investir dans les obligations municipales via des ETF. Près de 30 000 obligations municipales sont cotées.

Qui sont les investisseurs de ces instruments ?
Les ménages représentent 36% des investisseurs. Les fonds mutuels représentent 17%, les fonds monétaires 14%, les assureurs 13%, les banques commerciales 8%.

Historiquement, on a très rarement eu de défaut sur les obligations municipales ?

On distingue deux grandes catégories d’obligations muncipales : les « general obligations bonds », et les « revenu bonds ». Les «général obligations bonds» sont des titres de dette émis pour financer des dépenses plus urgentes, par exemple un déficit. Ces obligations sont garanties sur le pouvoir fiscal de l’émetteur. Autrement dit lorsqu’un investisseur achète un general obligations bond, il achète une obligation basée sur la capacité à collecter de l’impôt par l’émetteur. Si une mairie fait faillite, l’investisseur peut intenter une action en justice pour exiger un relèvement des impôts pour obtenir réparation.
Les «revenu bonds» servent principalement au financement des infrastructures. Ils sont garantis sur les futurs revenus générés par ces infrastructures. Si l’entreprise qui a émis une obligation pour construire un stade fait faillite, il est possible de récupérer une partie des flux générés par le stade.

Quel était le taux de défaut historique ?
D'après Moody’s, pour une obligation municipale investment grade, le taux de défaut historique cumulé est de 0,07%. Pour une obligation corporate investment grade, le taux est de 2,09%.
Pour une obligation municipale high yield le taux de défaut historique cumulé est de 4,29%. Pour une obligation corporate high yield, le taux est de 31,37%.

Les obligations municipales ont davantage eu le vent en poupe avec l’émission des «building american bonds» ?

Dans le cadre du vaste plan de relance de 787 milliards de dollars cloturé en février 2009, l’administration Obama a décidé de donner la possibilité d’émettre ces instruments spécifiques. Les « building american bonds» sont des obligations qui prévoient la prise en charge d’une partie du financement directement par le gouvernement fédéral via des subventions. L’idée étant que sur un coupon de 5%, l’Etat s’engage à payer 35% de ce coupon.

Ce dispositif a permis aux émetteurs des obligations municipales d’émettre moins cher en raison de l’affaiblissement du risque que supposait la garantie de l’Etat. On estime que les « building american bonds» représentent à l’heure actuellement environ 200 milliards de dollars.

Comment expliquez-vous la perte de valeur de ces obligations ?
Une des raisons est liée à l’augmentation des taux longs qui sont passés de 2,50% à 3,50% en peu de temps.
Toutes les entités émettrices d’obligations municipales ont émis avec des taux peu chers. Si elles sont contraintes à se financer avec un coût plus important, elles seront conduites à devoir augmenter les impôts dans une période où le contribuable américain n’est pas vraiment solvable.
D’un point de vue général, les obligations municipales ont perdu aux alentours de 7-8% par rapport au plus haut.

La disparition des BAB a également joué sur la perte de valeur des obligations municipales?

On s’attendait à ce que la garantie passe progressivement de 35% à 27%. Avec la victoire des républicains aux élections législatives de mi-mandat, la prolongation des BAB n’a pas eu lieu. Cette nouvelle a été accueillie comme une mauvaise nouvelle supposant un refinancement plus couteux pour les «municipalities».

Pensez-vous que les difficultés rencontrées sur ces obligations pourraient conduire à un risque systémique ?
Je ne le pense pas. D’une part, la valeur de ces instruments a plutôt eu tendance à remonter depuis janvier. Pimco qui est un des gérants historiques sur ce compartiment continue d’être positif en raison des opportunités existantes.
Ensuite, nous sommes d’avis qu’une crise prévue arrive rarement. Ce compartiment est très surveillé. Les leçons ont été tirées de la crise des subprimes. S’il y a vraiment un problème, l’Etat fédéral n’hésitera pas à intervenir, pour apporter sa garantie et permettre d’assainir la situation.

Certains craignent la faillite d’un Etat comme la Californie. Cela peut-il arriver ?

Un Etat fédéré ne peut pas faire défaut officiellement, au contraire d’une municipalité. Un chapitre spécifique permet d’organiser la faillite d’une ville ou d’une entité municipale.

Propos recueillis par Imen Hazgui