Interview de Hervé Lievore : Stratégiste au sein d'Axa Investment Managers

Hervé Lievore

Stratégiste au sein d'Axa Investment Managers

Il n'y a pas d'emballement à l'heure actuelle de la machine chinoise

Publié le 20 Avril 2011

Quel regard portez-vous sur la problématique de l’inflation chinoise aujourd’hui ?
Il est important de distinguer dans cette inflation deux composantes : l’inflation liée aux matières premières et l’inflation sous jacente.
L’inflation liée aux matières premières devrait fléchir en raison d’un effet de base moins important eu égard aux prix des produits agricoles. L’inflation sous-jacente est de plus en plus dépendante du prix de l’immobilier, surtout depuis l’ajustement du poids des biens et services qui constituent l’indice des prix à la consommation intervenu en janvier.
En agrégeant les indices de prix immobilier calculés pour les 70 principales villes chinoises, on se rend compte que le mois de mars est plutôt rassurant, en conformité avec une tendance baissière sur le marché.

Comment l’expliquez-vous ?
Par plusieurs facteurs. En premier lieu, le taux des réserves obligatoires commence à devenir préjudiciable pour les banques de second rang. Ensuite, le durcissement de la réglementation du crédit immobilier depuis le mois d’avril 2010 constitue un frein puissant au levier d’endettement. Enfin, à la marge, le relèvement du taux d’intérêt directeur sur les prêts bancaires a réduit la demande effective, mais ce facteur est relatif dans un pays ou la masse salariale dans les zones urbaines tend à progresser de plus de 10% par an.

Pour certains observateurs le chiffre de l’inflation donné par les autorités ne reflète pas la réalité. Il devrait être supérieur.
Je dirais que tous les chiffres officiels avancés par les autorités chinoises sont à considérer avec beaucoup de prudence, et celui-ci ne fait évidemment pas exception. J’ajouterais que de toute manière le chiffre de l’inflation tel que communiqué par les offices statistiques quel que soit le pays dans le monde est « faux » car ce sont des moyennes agrégées. Chaque individu dans l’économie se forge une opinion sur l’inflation par rapport à son propre panier de consommation. Je trouve cela plus pertinent d’avoir des indices de prix avec une décomposition en fonction des revenus des ménages. Quand on a un revenu faible, la pondération du poste alimentaire est beaucoup plus importante et les gains « qualitatifs » de pouvoir d’achat sur l’électronique ou l’automobile sont une vue de l’esprit. Dans le cas de la Chine, l’inflation perçue par la majorité de la population est évidemment supérieure aux chiffres officiels.

On reproche à la Chine de ne pas suffisamment relever son taux d’intérêt directeur pour juguler les pressions inflationnistes ...
Il est important d’éviter de regarder la conduite de la politique monétaire en Chine sous l’optique de la conduite de la politique monétaire dans les économies occidentales. La Chine est encore une économie immature. Les canaux de transmission de la politique monétaire y sont moins performants qu’en Europe ou aux Etats-Unis.
Ainsi passer son temps à relever le taux d’intérêt directeur avec une courroie de transmission plus ou moins lâche peut conduire à un resserrement excessif, autrement dit à des résultats bien plus négatifs que ceux escomptés. Ce que l’on considère comme taux d’intérêt directeur n’est en fait qu’un taux indicatif, un outil d’orientation donné aux banques commerciales dans leur politique de crédit. Lorsque la banque centrale dit que le taux à un an doit être à 6,31%, une banque commerciale va avoir beaucoup de latitude dans sa décision d’accorder des crédits. Elle peut pour les meilleurs clients descendre jusqu’à 90% du taux d’intérêt de référence et décréter que le taux d’intérêt sera de 5,68%. Elle peut aller bien au-delà de 6.31% pour les clients les moins intéressants.

Ainsi, le relèvement des taux de réserves obligatoires lundi par la banque centrale chinoise avait un sens ?
Oui. Il est plus efficace pour la Banque centrale chinoise de contrôler directement le niveau des liquidités interbancaires pour décourager les banques commerciales à accorder des crédits.

Diriez-vous que qu’une action sur les taux de réserves obligatoires est plus efficace qu’une action sur le taux d’intérêt directeur ?

Il faut distinguer deux taux directeurs : celui appliqué sur les crédits et celui appliqué sur les dépôts. Aujourd’hui il serait très efficace d’agir sur les taux d’intérêt sur les dépôts. Ce que craint la banque centrale c’est que l’essentiel de la colossale épargne des agents économiques chinois, placée sur des dépôts bancaires, aille sur des actifs plus rémunérateurs comme l’immobilier en raison des taux d’intérêt réels négatifs.
Une manière de maintenir cette épargne dans les dépôts serait alors d’appliquer un taux de rémunération plus attractif.
Le souci est que lorsque la banque centrale veut relever le taux d’intérêt directeur sur les dépôts, elle doit également relever le taux directeur sur le crédit pour ne pas nuire aux banques commerciales qui se rémunèrent par la différence entre les deux taux directeurs.

On s’attend à un relèvement du taux directeur sur le crédit de 1% d’ici la fin de l’année ?
La banque centrale sera très attentive aux publications de chiffres. Avant de procéder à un nouveau relèvement des taux d’intérêt directeurs elle attendra la prochaine estimation de l’inflation de la mi-mai. Si cette estimation est nettement supérieure au consensus, il y a aura une justification à procéder à un dernier relèvement du taux d’intérêt de référence sur à la fois le crédit et les dépôts.
Ceci étant, un relèvement de 1% me parait élevé, je tablerais davantage pour 0,50%.

C’est tout de même la septième fois que la banque centrale monte le taux des réserves obligatoires. Jusqu’où ce taux peut-il aller ?
Les autorités ont clairement fait comprendre qu’il n’y avait pas de limite. Aucune règle n’est fixée avec un plafond à ne pas dépasser.
Lorsqu’on regarde les chiffres des nouveaux crédits et de l’évolution de la masse monétaire, nous ne sommes plus loin du niveau au-delà duquel les banques commerciales vont commencer à souffrir. Nous sommes à un taux de 20,5%. La pression est forte.

Cependant, le cas spécifique des sociétés immobilières qui vont émettre de la dette à Hong Kong pour pouvoir se financer prouve que le canal du crédit bancaire est important mais n’est pas le seul. Il serait contreproductif pour la Banque centrale d’appuyer excessivement sur la capacité du crédit bancaire dans le pays dès lors que les acteurs visés par le durcissement de la politique monétaire ont la possibilité de trouver des solutions alternatives de financement en dehors des frontières.
Je pense que nous pourrions aller jusqu’à 21%, au plus 21,5%.

Jusqu’où pourrait aller de ce fait l’inflation d’ici la fin de l’année ?
L’inflation est à 5,4% actuellement. Nous pourrions descendre à 5% d’ici décembre. La situation est en train de se stabiliser sur les prix des matières premières agricoles. Ainsi, l’effet de base devrait être moins important. Les répercussions de la hausse du prix du carburant sont limitées puisque ce prix est réglementé par le gouvernement.
L’inflation sous jacente mettra plus de temps pour retomber en raison des effets d’inertie qui jouent dans la transmission des chocs sur le marché immobilier.

Selon vous il n’y a pas d’emballement à l’heure actuelle de la machine chinoise ?
Le taux de croissance de la Chine en glissement annuel est de 9,7%. Ce chiffre est très déformé par l’effet de base. La variation trimestrielle pour un économiste fait plus de sens. Pour la première fois, nous avons disposé d’un chiffre de croissance corrigé des variations saisonnières d’un trimestre sur l’autre. Il est de 2,1%. En rythme annualisé, cela nous donne un taux de croissance de 8,7%. Clairement un ralentissement se dessine. Les chiffres de l’enquête PMI sont d’ailleurs plutôt moyens. De plus, l’excédent commercial chinois a été négatif au premier trimestre. Il y a également de fortes chances que la contribution des stocks à la croissance soit négative au prochain trimestre.

Nous ne pouvons donc pas dire que les mesures prises dans le cadre de la politique monétaire chinoise ont été sans impacts. Un dernier effort serait peut être à faire pour ramener le marché immobilier à une croissance soutenable en agissant sur le financement extérieur, par exemple en adoptant des mesures de contrôle sur les rapatriements de fonds.

Fitch a placé sous perspective négative la notation du crédit chinoise du fait de la vulnérabilité du secteur bancaire. Qu’en pensez-vous ?
Fitch a accordé une attention importante aux créances titrisées par les banques chinoises. L’agence craint un scénario comparable à celui que l’on a connu dans les pays occidentaux. Les banques ayant sorti de leurs bilans beaucoup de créances se sont retrouvées subitement dans l’obligation de les réintégrer quand ces créances ont fait défaut. Les fonds propres étaient très faibles par rapport au niveau de risque.
Le nerf de la guerre pour Fitch est donc le niveau des fonds propres. Si les banques ont assez de capitaux pour passer des provisions en cas de détérioration de la qualité de leurs créances, il n’y aura pas de souci. Pour le moment, le taux de défaut que l’observe sur les crédits accordés par les banques commerciales chinoises est anormalement faible.

Fitch craint un krach du secteur immobilier qui se traduirait par une multitude de défauts et la mise en difficulté des établissements qui n’ont pas assez de fonds propres pour faire face à leurs obligations.
La vitesse de progression des actifs des banques chinoises reste impressionnante. La politique de rétention des bénéfices pratiquée risque de s’avérer insuffisante pour renforcer les fonds propres de manière adéquate. Il faudra que les banques chinoises fassent davantage appel au marché. La préoccupation de Fitch est que cet appel au marché ne puisse pas se faire simplement, dans des conditions favorables, en cas de retournement des marchés.

En intégrant tous ces peut être, tous ces si, on peut être inquiet sur l’avenir du secteur bancaire chinois. Je reste cependant convaincu que l’actionnaire majoritaire de la plupart des banques chinoises, l’Etat donc, interviendra rapidement et que nous n’aurons pas une crise de liquidités majeure.

A partir de votre scénario de base sur l’économie chinoise, quelle déduction faites-vous pour l’évolution du marché actions chinois cette année ?
Un élément qui m’inquiète par rapport au marché actions réside dans le niveau des stocks des entreprises. Historiquement, quand on superpose l’évolution du composite de Shanghai et la composante stocks de l’enquête PMI, il y a une relation très forte et négative. Les chiffres du mois de mars sont particulièrement élevés. Cela signifie soit que les entreprises ont des invendus ou qu’elles gèrent mal leurs trésoreries (l’accumulation des stocks consomme des ressources de l’entreprise).
La configuration sera négative pour le marché actions tant que les entreprises manufacturières n’auront pas procédé à l’ajustement de leur niveau de stocks pour revenir à un niveau conforme à la moyenne de long terme.
Je m’attends donc à un marché atone d’ici l’été. La deuxième partie de l’année pourrait être positive grâce à une dissipation des risques liés à l’inflation.


Propos recueillis par Imen Hazgui