Interview de James  Kwok  : Responsable de la gestion devises au sein d'Amundi à Londres

James Kwok

Responsable de la gestion devises au sein d'Amundi à Londres

Investir dans le franc suisse n'est pas sans danger

Publié le 21 Juillet 2011

Quel regard portez-vous sur le dollar et l’euro en ce moment ?
Nous n'aimons ni le dollar ni l'euro car les Etats- unis et la zone euro sont confrontées à des difficultés importantes en particulier à un marché de l'immobilier sinistré. A l'inverse de la production industrielle qui peut rebondir assez rapidement, l'activité immobilière peut prendre plusieurs années avant de redémarrer. C'est ce qui compromet la vision que l’on peut avoir sur les deux devises, indépendamment de la problématique de dette qui caractérise également ces deux régions.
C’est la raison pour laquelle, nous vendons le dollar contre plusieurs devises asiatiques. Nous vendons l’euro contre les devises des pays nordiques, couronne norvégienne, ou suédoise.

Comment voyez-vous évoluer la parité dans les mois à venir ?
Nous pensons qu'il y aura beaucoup de volatilité dans la parité. A l'instar de deux malades, dont l'état de santé est très instable, le regard des médecins est concentré tantôt sur l'un tantôt sur l'autre de manière à surveiller qu'il n'y aura pas de rechute. Le regard des investisseurs sera tantôt tourné vers l'euro, tantôt vers le dollar.

Pour certains, le facteur déterminant de cette parité devrait résider dans la conduite de la politique monétaire…
Considérer que le différentiel de taux entre le taux directeur de la BCE et le taux directeur de la Fed sera un élément suffisant pour jouer en faveur d'un euro fort durablement est une erreur à mon sens.
Il est vrai que la Fed semble vouloir maintenir son taux durablement bas. A l’inverse la BCE démontre une ferme volonté de normaliser son taux.
Mais les investisseurs ne cherchent pas le rendement. Auquel cas nous verrions ces investisseurs acheter de la dette italienne, ou de la dette espagnole et non de la dette allemande. Nous les verrions préférer le dollar australien au franc suisse dès lors que le taux directeur de la Banque centrale australienne serait de 4.75% et que le taux directeur de la Banque centrale suisse serait proche de 0. Nous ne verrions pas ces investisseurs avoir un tel engouement pour l'or.
Les investisseurs recherchent de la sécurité.
Si la politique monétaire sera un facteur influent en ce qu'elle tendra à détruire plus ou moins de monnaies dans le système, elle ne sera cependant pas un facteur déterminant.

Dans quelle fourchette se dessinera cette volatilité ?
La fourchette devrait être comprise entre 1.40-1.50.
Il n'est pas impossible que nous terminions avec une parité à 1.50. Si tel est le cas, cette parité ne durera pas longtemps.
Toutes les mesures que proposent la France, l'Allemagne ou le FMI n'ont pas vocation à régler définitivement le problème de la dette en zone euro, mais seulement à le reporter.

Les devises qui ont l’engouement des investisseurs sont le franc suisse, le yen, le dollar australien et le dollar canadien. Or il est rare d’observer le dollar australien et le dollar canadien performer au même moment que le franc suisse et le yen. Comment l’expliquez-vous ?

Là aussi cela s'explique par le fait que les investisseurs ne sont plus dans une logique de recherche de rendement mais de recherche d’havres de sécurité.
Avant la crise les investisseurs achetaient du dollar australien et du dollar canadien et vendaient du franc suisse et du yen parce qu’il y avait suffisamment de croissance et que les marchés actions connaissaient un véritable rallye.
Depuis ce temps, la visibilité s’est significativement obscurcie. Les investisseurs font alors la part des choses entre les pays ou régions confrontés à de réelles difficultés comme la zone euro, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et les pays ou régions qui montrent des fondamentaux économiques solides, des bilans sains comme l’Australie, le Canada, la Suisse ou encore le Japon qui malgré la dette colossale qu’il détient a un compte courant excédentaire qui permet de financer en partie cette dette.

Etes-vous d’accord pour dire que le franc suisse présente un caractère sécuritaire plus important que le dollar australien ?

Il est vrai que, depuis le début de l'année, le dollar australien a souffert par rapport au franc suisse.
Une des explications est l'exposition du dollar australien aux matières premières et à l'économie chinoise.
D'un autre coté, le franc suisse est très exposé à la zone euro. Si la situation venait à se dégrader davantage, si l'Italie était par exemple plus attaquée, et que l’effet de contagion se propageait à la France et à l’Allemagne, alors le franc suisse perdrait de son statut de "safe haven ". Le coté " safe haven " du franc suisse dépend beaucoup de l'évolution de la situation dans la zone euro dans la mesure où la Suisse se situe au centre de l'Europe continentale.

Un autre point faible du franc suisse pourrait résider dans la dégradation de l’économie suisse consécutivement à la surévaluation de la monnaie domestique ?
Si la Suisse est un pays qui exporte beaucoup de produits de luxe et de machines à haute valeur ajoutée, le franc suisse a gagné 30% depuis le début de l’année.
Cette appréciation n’est pas sans impacts sur les entreprises suisses. A titre d'exemple, les résultats de Novartis ont été assez bons, ils ont révélé que la firme avait vendu beaucoup plus de médicaments. Cependant, le cours du titre a baissé parce que les résultats traduits en franc suisse ont conduit à une réduction de la marge.
Si le franc suisse reste à ce niveau élevé, les sociétés suisses pourront procéder à des délocalisations-à l’instar des entreprises japonaises suite à la forte appréciation du yen. Ces délocalisations pourront se faire vers la France ou l’Allemagne où le cout de la main d’œuvre est moins cher. Cependant ces changements ne peuvent pas se faire rapidement. Les processus de décisions requièrent du temps.
Depuis le début de l’année, si le Cac 40 affiche une baisse de 1%, que l'Ibex en Espagne a fléchit de 1%, que l’Eurostoxx 50 a reculé de 3%, le marché suisse, a de son coté, chuté de 7,5%. Comparativement le Dax a performé de 4%.

Constate-t-on également des effets négatifs sur les ménages ?
Pas encore. L’exportation ne représente qu’une partie du PIB suisse. Un grand pan de l’économie est constitué par le secteur des services. Ce secteur tire profit de ce franc fort. Le marché immobilier en bénéficie aussi dans la mesure où les taux d’intérêt restent bas. Le franc suisse aide, par ailleurs, à atténuer la flambée des prix des matières premières.
Ceci étant, les entreprises suisses vont être contraintes à réduire le versement de leurs bonus, voir à réduire leurs effectifs dans le cas où des délocalisations sont enfin décidées. Les pertes d’emplois pourraient entrainer une moindre consommation et affecter de ce fait à son tour le secteur des services

Ne peut-on pas imaginer une intervention de la banque centrale suisse pour calmer l’enthousiasme des investisseurs ?
La banque centrale est déjà intervenue. Cependant, cela n’a pas entrainé de réaction, parce que l’institution n’a pas donné la sensation qu’elle allait détruire de la monnaie.
Quand elle est intervenue, la banque centrale suisse a acheté beaucoup d’euros et de dollars et vendu du franc suisse. Elle a ensuite, néanmoins, émis beaucoup de billets de banque sur le marché pour absorber tous les francs suisses injectés sur le marché. De cette manière, elle a donné le signal qu’elle ne voulait pas détruire de la monnaie domestique.

Qu’est ce qui pourrait conduire à un fléchissement du franc suisse ?
Les investisseurs achètent massivement le franc suisse parce que le pays affiche un compte courant très positif. Si le franc suisse poursuit son ascension, cela conduira nécessairement à réduire le compte courant. L’attrait du franc suisse diminuera en conséquence.
La perte de la totalité de l’excédent commercial du franc suisse ne se fera toutefois pas avant au moins deux ans.
In fine, quelle est votre position sur le franc suisse ?
Pour l’heure nous ne prenons pas de position importante sur le franc suisse parce qu’il est difficile de prévoir avec exactitude ce qui va se passer.

Quel est votre sentiment sur les devises émergentes ?

Une sélection doit absolument être entreprise dans ces devises. En cela, il faut viser les pays qui ont de bons fondamentaux, qui ne rencontrent pas de problème budgétaire et dans lesquels nous pensons que les banques centrales ne détruiront pas de monnaie.

Le dollar de Singapour, le won coréen ?
Le dollar de Singapour est choix opportun. Une politique est menée pour faire de Singapour la Suisse de l’Asie.
Le won coréen devrait s’apprécier mais pas énormément. Les autorités affichent leur volonté de limiter cette appréciation pour ne pas nuire aux sociétés exportatrices coréennes. Le contrôle des changes est important dans le pays. Il faut des autorisations délivrées par le gouvernement pour investir dans le won.
Il assez intéressant de constater que la valeur du won coréen est plus faible que celle qui prévalait avant la crise. Or en termes de PIB, de taux de croissance des exportations, ou de production industrielle, la dynamique de la Corée du Sud est beaucoup plus forte qu’en 2007.

Propos recueillis par Imen Hazgui