Interview de Jesus Castillo : Economiste chez Natixis

Jesus Castillo

Economiste chez Natixis

Sur les 12 prochains mois, le risque que l'Espagne fasse défaut est faible, si ce n'est inexistant

Publié le 19 Août 2011

Quel regard portez-vous sur la faible croissance espagnole, en hausse de 0,2% au cours du deuxième trimestre?
Il faut considérer deux étapes dans le sauvetage d’un pays, pour comprendre quand la croissance entre dans les facteurs de considération des investisseurs.

Dans un premier temps, il est question de la liquidité. Lorsque les marchés se sont fermés aux pays comme l’Irlande, la Grèce ou le Portugal, craignant un défaut, il a fallu injecter des liquidités dans ces pays pour leur permettre de continuer à se financer.

Ensuite, la question de la liquidité étant réglée, vient le problème de la solvabilité du pays à moyen et long terme. Les investisseurs s’interrogent sur la capacité des pays à générer suffisamment de revenus pour rembourser leurs emprunts. C’est ici que la croissance prend alors de l’importance pour les marchés. En effet, si le pays ne génère pas suffisamment de croissance et fait usage d’un déficit courant, s’endettant à l’extérieur pour financer son économie, la spirale d’une dette grandissante est inéluctable.

L’Espagne, ayant encore de la liquidité mais une faible croissance, inquiète fortement les investisseurs, qui se posent la question de la solvabilité du pays. Cependant, l’Espagne n’est pas encore dans le cas de l’Irlande ou de la Grèce.

Mais y a-t-il une vraie crainte sur l’Espagne ou est-ce la peur d’une contagion de la crise de la dette souveraine ? Pourquoi a-t-on si peur de la dette espagnole alors qu’elle ne représente que 63,3% du PIB, contrairement à celle de la France supérieure à 80% ? Pourquoi les attaques sur les taux se multiplient ?
C’est une crainte de la dette espagnole, mais aussi la peur de la globalisation générale de la crise.

Certes, la dette espagnole n’est égale qu’à 63,3% du PIB, mais elle représente environ 630 milliards d’euros et les sommes rassemblées par des organismes comme le FESF ou le FSM ne font pas le poids face à cette dette. Les investisseurs sont conscients que les moyens à disposition sont sous-dimensionnés.

Si l’on devait un jour refinancer l’Espagne, le secours requis serait apporté par la France et l’Allemagne, les mettant à leur tour dans une grande difficulté. La situation serait d’autant plus compliquée et risquerait même de ne plus être gérable.

Si les investisseurs craignent une contagion de la crise de la dette souveraine à l’Espagne et à l’Italie, pourquoi ont-ils racheté en masse les bons, à 12 et 18 mois, émis par la Banque espagnole ce mardi ?
L’explication majeure réside dans le fait que ces titres ont un rendement bien supérieur aux bons proposés, par exemple, par l’Allemagne. Sur les 12 prochains mois, le risque que l’Espagne fasse défaut est faible, si ce n’est inexistant. Les investisseurs font donc le pari d’un profit plus rapide et plus important. La BCE ayant racheté une partie de la dette espagnole, ils se rassurent avec le rôle d’acheteur en dernier ressort qu’elle pourrait jouer.

La BCE ne peut intervenir ad vitam eternam. Jusqu'à quand les marchés se fieront à ses actions ?
Si l’on considère le cas de la FED ou de la Banque anglaise, dont les interventions ont été nettement plus importantes depuis ces trois dernières années que celles de la BCE, les investisseurs peuvent anticiper une action similaire de la banque centrale européenne dans les mêmes proportions et délais.

Les analystes s’accordent à dire qu’un taux d’intérêt à 10 ans de l’Espagne dépassant les 6% constituerait un point de non-retour. Les difficultés de refinancement seraient telles que la crise prendrait des proportions demesurées ?
Il est vrai que tout le monde s’accorde sur ce seuil de 6%. Néanmoins, un dépassement n’implique pas obligatoirement un basculement de l’Espagne dans une crise profonde, ce n’est pas quelque chose de mécanique.

La crise surviendrait uniquement avec un taux à 10 ans dépassant les 6% sur le long terme. Toutes les économies, engendrées par une baisse des dépenses et une augmentation des impôts, serait effectivement absorbés par la charge de la dette, ne pouvant équilibrer le déficit et générant continuellement de la dette. C’est ce qui s’est passé pour l’Irlande, la Grèce et le Portugal.

Propos recueillis par Léa Deglaire