Interview de Charles-Henry Chenut : Avocat associé au sein du cabinet franco-brésilien Chenut Oliveira Santiago, et Conseiller du commerce extérieur de la France

Charles-Henry Chenut

Avocat associé au sein du cabinet franco-brésilien Chenut Oliveira Santiago, et Conseiller du commerce extérieur de la France

Le Brésil veut maitriser la venue de l'investisseur étranger en le sélectionnant

Publié le 06 Septembre 2011

Les IDE devraient représenter 55 milliards de dollars en 2011 et 50 milliards de dollars en 2012. L’optimisme qui existe à l’égard du Brésil est-il intact ? Les investisseurs se tournent-ils toujours autant vers le pays ?
Oui, au détriment parfois de l’Inde ou de la Russie. L’environnement politique est favorable au Brésil avec des bases démocratiques. La sécurité juridique y est bien plus importante. Le pays tire par ailleurs profit d’une proximité culturelle. On ne fait pas des affaires uniquement sur la base d’une ligne comptable ou d’un bilan. On fait des affaires parce que l’on se sent bien dans un pays, parcequ'il y a un environnement personnel, familial, affectif, favorable . C’est le cas au Brésil.
Enfin, les grands évènements sportifs sont propices à la prolifération des investissements dans le pays. Les investisseurs ont tendance à rentrer directement dans le vif du sujet en procédant à des opérations de fusion-acquisition de sociétés brésiliennes. Beaucoup de PME brésiliennes sont en demande de capitaux étrangers.

D'un autre côté, depuis six à huit mois, le Brésil devient prudent à l’égard de ce qui peut se passer autour de lui, sur le reste de l'échiquier planétaire...
Le pays qui était très en retrait pendant la période de la dictature militaire, s’est ouvert au monde extérieur, et s’est rendu compte que ce monde pouvait engendrer une déstabilisation de son économie. C'est pourquoi, aujourd'hui, le Brésil veut maitriser la venue de l’investisseur étranger en le sélectionnant.
Dans de nombreuses réglementations concernant la coupe du monde et les jeux olympiques nous observons la multiplication de mesures protectionnistes et de préférence nationale.
Pour profiter de l’élan brésilien, il faut non pas investir depuis l’étranger, mais s’implanter au Brésil.

Cette tendance s’est vérifiée au mois d’août à travers les visas. Auparavant l’investisseur qui voulait un visa permanent de gérant d’une filiale brésilienne devait investir environ 300 000 reais. Il lui faut à présent verser 600 000 reais.
Dans certains pans de l’économie brésilienne, les travailleurs étrangers dotés d’un visa temporaire sont refusés, traduisant la volonté du gouvernement de faire primer sa main d’œuvre locale.

Un plan baptisé Brasil maior a été adopté en août pour relancer la compétitivité industrielle dans le pays. Ce plan prévoit un volet de promotion de l’investissement et de l’innovation, un volet commerce extérieur, avec des facilités fiscales, et englobe des mesures protectionnistes de préférence nationale notamment dans le domaine des marchés publics.

Le Brésil devient donc un pays qui se mérite et qui coute de plus en plus cher…
Oui en quelque sorte. Cependant, il y a lieu de faire attention à ce que le Brésil qui prétend accéder à des normes, à une compétitivité, à une attractivité, et qui réclame de plus en plus une participation financière offre véritablement des gages à la hauteur des attentes. Ce n’est pas tout à fait le cas aujourd’hui.

Les autorités brésiliennes ne craignent-elles pas un effet pervers induit de cette politique préventive ?
Je n’ai pas eu l’impression que les autorités brésiliennes avaient conscience d’un éventuel potentiel effet pervers de leur politique. Ces autorités ont le vent en poupe et n’ont pas la sensation que derrière ces réformes quasi générales du pays, l’étranger pourrait ne plus avoir envie de payer le coût de l’investissement au Brésil.
Ils sont actuellement en pleine lumière, et derrière cette lumière, ils ne voient a priori aucune ombre.

Qu’en est il de l’autre coté du miroir, du coté des investisseurs français ?
Les investisseurs commencent à se poser des questions. Le pays n’est pas encore complètement mature. Il demeure des incertitudes.
Cependant l’attractivité du pays reposant sur des secteurs en plein développement l’emporte pour le moment.

Cette politique préventive en ce qui concerne les IDE rappelle celle concernant les transactions financières. Des taxes sur les investissements financiers ont été imposées de 2%, puis 6% sur les placements obligataires.
Début août un tour de vis supplémentaire a été annoncé. Les nouvelles taxes pourront atteindre jusqu'à 25% sur les produits dérivés.
On ne peut pas scinder une politique d’attraction des investissements directs étrangers avec une politique bancaire et de taxation des flux financiers. C’est un tout. La politique brésilienne est cohérente.

Ceci étant ces taxes concernent surtout les prêts à court terme. En cela, les autorités brésiliennes veulent limiter au maximum la spéculation malsaine. Le message véhiculé est «venez chez nous, mais ne venez pas spéculer. Apportez votre argent et participer à la consolidation et la structuration du pays».

Le pays est-il bien armé pour faire face à un ralentissement économique mondial prononcé ?
Oui d’un point de vue économique et budgétaire. Les réserves de change ont augmenté de manière fulgurante en dix ans. Le matelas permettant d’amortir la crise est important. Ces réserves sont dus à une politique qui attrait le capital et aurait tendance à le vampiriser localement.
Les royalties pour ceux qui ont des marques, sont de 1 à 3% contre une norme à 6-8% pour les pays de l’OCDE. Le reste de l’argent doit être réinjecté dans l’économie brésilienne.

Il y a un savoir faire et une connaissance de ce qu’est la crise. Il y a aux manettes des personnes averties et compétentes. Il y a dix ans le pays connaissait une inflation de 1000% par mois.

Le Brésil a, par ailleurs, dans sa manche plusieurs cartes à jouer, l’agrobusiness, le pétrole, les minerais, l’industrie, les nouvelles technologies, la télévision. Il n’est pas dépendant d’un seul pan de son économie, contrairement à un pays comme le Vénézuela.

Comment appréhendez-vous la force du réal ? Le réal brésilien a touché fin juillet son plus haut niveau depuis 1999 face au dollar.

D’une part, la parité du réal s’est stabilisée si l’on se reporte aux dix dernières années. D’autre part, la force du réal n’est pas vraiment un handicap pour les investisseurs qui souhaitent s’implanter au Brésil. Il y a tellement de choses à faire sur un marché qui n’est pas saturé. Aux dires de l'ancien ministre du commerce extérieur brésilien, tant que la courbe des IDE et de la croissance sont en continuelle ascension, la force du réal n’est pas un problème.

La consommation qui représente 60% du PIB nationale est alimentée par un recours massif aux cartes de crédit. Les défauts de crédit personnel ont grimpé de 22% au premier semestre de cette année, soit la plus forte hausse en neuf ans.
La moitié de la population brésilienne vient d’accéder à la classe C qui est la classe des consommateurs.
Tout s’achète à crédit au Brésil. Il est rare que les brésiliens achètent des biens cash.
Il y a une facilité d’accès à la propriété au point que l’on parle d’une bulle immobilière. Or, le consommateur brésilien peu averti des risques encourus de crédit à terme.
Il est nécessaire d’accompagner ce mouvement d’indicateurs, d’avertisseurs, de formations culturelles pour ne pas avoir d’effet en retour comme on a pu le constater dans l’immobilier américain.
En attendant, le boom de la consommation devrait se poursuivre jusqu’à ce que l’on entre dans une zone dangereuse.

Pensez-vous que les autorités sont en alerte face à cette montée du risque de défaut ?
Elles en ont sans doute conscience. Mais elles n’ont pas envie de gâcher la fête. Au moment où il faudra réagir, elles prendront les mesures adéquates.

La Chine est devenue le premier partenaire commercial du Brésil. La part de la Chine dans les exportations brésiliennes est passée de 6% en 2008 à 17% aujourd’hui. Sans la Chine, le Brésil afficherait non pas un excèdent pas un déficit commercial de 4%. La situation est telle que certains observateurs vont jusqu’à dire que le Brésil est un marché dérivatif de la Chine. Qu’en
pensez- vous ?

Dire que le Brésil est un dérivatif de la Chine, ce n’est pas connaitre le Brésil. Il est devenu quasiment impossible pour des étrangers d’acheter des terres au Brésil du fait d’un durcissement de la législation cet été.
Le Brésil est très attentif aux investissements faits par la Chine et ne veut pas justement que les chinois dépouillent le Brésil comme cela a pu être fait dans d’autres parties du monde.
Un élément fondamental est systématiquement mis en avant lors des négociations intergouvernementales, ou dans les rapports de force économiques à haut niveau, le principe de réciprocité. L’angle d’attaque et de riposte imminent pour le Brésil c’est le donnant-donnant. Ils sont prêts à ouvrir les portes si le pays d’en face en fait de même. C’est un pays qui ne se dévoit pas.





Propos recueillis par Imen Hazgui