Interview de Alfredo Valladao : Professeur à Sciences Po Paris et Président du Conseil consultatif de European Union-Brasil

Alfredo Valladao

Professeur à Sciences Po Paris et Président du Conseil consultatif de European Union-Brasil

Récession économique : le Brésil a un vrai savoir-faire face à des situations compliquées

Publié le 07 Septembre 2011

De quelle manière appréhendez-vous la problématique de l’inflation qui règne dans le pays ?
L’inflation est sans doute la principale préoccupation des autorités brésiliennes à ce jour. Pour y faire face, ces dernières se sont efforcées de se montrer pragmatiques et de ne pas tuer la poule aux œufs d’or. Elles ont tenté de prendre des mesures pour combattre l’inflation sans augmenter les taux d’intérêt pour éviter de tuer la bonne marche de l’économie.

La semaine dernière la banque centrale a baissé les taux qui figurent parmi les plus élevés au monde. Comment analysez-vous ?
Cette baisse – d'ailleurs très modeste – est une réponse à la forte pression des entreprises qui se plaignent en permanence, depuis longtemps déjà, du coût prohibitif d'accès au crédit.

Cette baisse est-elle l’amorce d’un mouvement baissier ?

Pour le moment ce n’est ni une amorce d’un mouvement dans ce sens, mais ce n'est pas non plus un simple fait ponctuel. C’est une première tentative, dans une conjoncture un peu inquiétante, pour voir comment va réagir le taux d’inflation. Les autorités monétaires ont une certaine marge: la hausse du taux d'inflation a commencé à se stabiliser grâce au reflux des prix des matières premières et à la survalorisation du real qui fait baisser le prix des produits importés.

Pourrait-on voir d’autres baisses d’ici la fin de l’année ?
Tout dépendra de l’évolution de l’inflation qui elle-même sera conditionnée par les mesures prises pour réduire les dépenses de l'Etat et essayer de contracter le volume du crédit à la consommation.

A ce sujet, on avance une progression du taux de défaut des crédits à la consommation de 22%. C’est la plus forte hausse depuis 9 ans. Comment expliquez-vous la facilité à se procurer du crédit dans le pays et cette montée du taux de défaut ?
Cette progression du taux des impayés est normale en raison de l’augmentation assez spectaculaire du nombre de nouveaux consommateurs depuis quelques années. Les banques au Brésil sont tout à fait capables de faire face à la situation. Elles sont parmi les plus rentables au monde et ont une grande expérience historique des situations de fort « stress » financier. Elles ont beaucoup de ressources pour administrer et limiter les répercussions de ces impayés. En outre, elles savent très bien intégrer dans leur taux de crédit la possibilité d’une faillite d'un pourcentage des débiteurs.

Peut-on voir les autorités brésiliennes s’attaquer directement à la capacité d’emprunt de ces consommateurs ?
Une des bases du modèle brésilien de ces dernières années, est la progression continue des personnes faisant leur entrée dans la classe moyenne des consommateurs (classe « C ») qui, aujourd'hui é déjà dépassé 50% de l'univers de la consommation nationale. La prospérité de cette classe constitue les fondements mêmes du régime et du succès de l'économie brésilienne. S’attaquer directement à la capacité d’emprunt de cette classe est donc très difficile. C’est la raison pour laquelle les autorités adoptent des stratégies indirectes et tentent de diminuer la vitesse de circulation de l’argent, en agissant directement sur la capacité de crédit des banques et en adoptant des taxes sur les transactions financières. De toute manière, les efforts déjà mis en route en vue de diminuer les dépenses publiques et la dette de l’Etat laissent une marge de manœuvre pour garantir le niveau relativement important de la dette des ménages.

Jusqu’à quel niveau ce taux de défaut pourrait-il évoluer?
On ne peut pas le dire à ce stade. Cela dépendra de plusieurs variables, particulièrement du taux d'inflation.

Pour juguler cette inflation, hormis la hausse continue du taux d’intérêt par la banque centrale, une des premières décisions prises par la nouvelle présidente Dilma Rousseff a été de mettre en œuvre un plan d’austérité de 30 milliards de dollars. Pensez vous que l’objectif sera atteint ?

Dilma est une femme politique assez dure et sérieuse, économiste de formation et qui tient à maintenir sa crédibilité. Pour le moment ce programme semble devoir être respecté, à tel point que les partis de la coalition gouvernementale n'arrêtent pas se plaindre des coupes dans les budgets des différents ministères et dans les projets des parlementaires.

Le taux de croissance du pays a été révisé à la baisse. Pour le ministre brésilien des finances, le taux avancé est de 4%. Pour les analystes de la banque Morgan Stanley, le pays ne pourra pas dépasser 3,5%. Or l’année dernière, la croissance du pays avait atteint 7,5%.

Le Brésil n'est pas différent du reste du monde. Partout les taux sont révisés à la baisse. Au Brésil cette révision vient beaucoup plus de la conjoncture internationale plutôt qu'intérieure. Un taux de 7,5% était quelque chose d'extraordinaire pour le pays et n’était pas soutenable. Cela faisait très longtemps que le Brésil n’avait pas atteint ce niveau.

Parallèlement, le taux de croissance en Inde et en Chine devrait atteindre respectivement 7,4% et 8,7%...
C'est aussi une forte révision à la baisse par rapport à ces dernières années. Mais il ne faut pas oublier que l’Inde et la Chine partent d’un niveau beaucoup plus bas. A partir d’un certain stade de développement, il est beaucoup plus difficile de maintenir des taux aussi forts. Il est plus facile de passer de 1 à 10 que de 10 à 12.
Ce que font la Chine ou l’Inde aujourd’hui, le Brésil l’a fait il y a quarante ans. L’économie brésilienne est en effet beaucoup plus mûre. Il suffit de se rappeler que la consommation des ménages des 192 millions de Brésiliens équivaut à quelques 70% de la consommation des 1.300 millions de Chinois.

3,5% vous semble-t-il être un taux suffisant pour mettre en place les projets envisagés ?
3,5% n'a rien de spectaculaire mais cela donne une certaine marge de manœuvre. Bien sûr, on ne peut pas faire n’importe quoi et il va falloir faire des choix. Mais cela oblige à avoir un budget de l’Etat resserré et empêche de faire des folies. C'est un bon antidote au gaspillage et à la démagogie. En arrivant au pouvoir, la nouvelle équipe gouvernementale pensait que l'Etat pouvait et devait tout faire. Maintenant, elle a pris conscience qu'elle ne pouvait pas se lancer dans les grands projets sans y associer fortement le secteur privé.

Quel regard portez-vous sur le real brésilien ?
Il ne fait aucun doute que le real est survalorisé. Avec la politique américaine de Quantitative Easing et de dollar facile, et les taux d'intérêt proche de zéros dans les grands pays industrialisés, des flux de devises importants sont à la recherche de bons investissements et de bons rendements. Au Brésil, non seulement le rendement des marchés financiers est extrêmement élevé, grâce aussi à des taux d’intérêt parmi les plus hauts du monde, mais il y a eu également une grosse vague d’IDE au cours des derniers mois. Une grande quantité devises afflue dans le pays poussant le taux de change à la hausse et cela commence à avoir des répercussions négatives sur les exportations, notamment des produits industrialisés brésiliens qui représentent un peu moins de 50% des ventes extérieures. Au point que cette situation a entrainé un vif mécontentement chez les industriels brésiliens qui exigent à cors et à cris que le gouvernement défende l’industrie nationale. D’où la mise en place récente de mesures protectionnistes indirectes (administratives, réglementaires, etc) pour contrer l’invasion de produits étrangers notamment chinois.

D’autres mesures sont-elles envisageables pour diminuer la valeur du real ?
Cela me parait difficile, mise à part le rétablissement d'un contrôle très strict des changes. Mais personne n’y a intérêt. Pour le moment, les Brésiliens dénoncent la hausse du real (et la politique chinoise du yuan faible) et essaient de la combattre par des mesures indirectes comme des taxes sur les flux financiers.

La Chine est devenue le premier partenaire commercial du Brésil. La part de la Chine dans les exportations brésiliennes est passée de 6% en 2008 à 17% aujourd’hui. Sans la Chine, le Brésil afficherait non pas un excèdent mais un déficit commercial de 4%. La situation est telle que certains observateurs vont jusqu’à dire que le Brésil est un marché dérivatif de la Chine. Qu’en pensez- vous ?
Le gros des surplus d’exportations brésiliennes proviennent des ventes de matières premières et produits agricoles. Le plus grand acheteur de ces catégories de produits est la Chine qui est le meilleur client pour le minerai de fer et le soja brésiliens, les deux grands postes qui enregistrent des soldes commerciaux positifs. Mais le Brésil ne dépend pas seulement de cela: près de 50% des exportations brésiliennes sont des produits industriels, même si ces derniers ont perdu un peu de terrain ces dernières années, notamment à cause de la concurrence chinoise sur les marchés tiers. Mais plus qu’une dépendance vis-à-vis de la Chine, le Brésil est dépendant des grandes économies occidentales. L’Europe et les Etats-Unis représentent deux tiers de la consommation finale mondiale, alors que la Chine représente à peine un peu plus de 3% de cette consommation. Les Chinois eux-mêmes importent des matières premières (et des composants) pour fabriquer des produits qu’ils vendent surtout à l'Europe et aux Etats-Unis. C’est donc le consommateur final européen et américain qui va dicter si l’économie mondiale va continuer à fonctionner.

Le Brésil est-il bien armé pour résister à une récession ?
Personne n’est bien armé pour résister à une profonde récession. La seule chose que le Brésil a pour lui, c’est le dynamisme de son marché intérieur. Une partie des entreprises brésiliennes a d'ailleurs même arrêté d’exporter pour se concentrer sur ce marché intérieur en plein boom. Par ailleurs, il y a lieu de garder à l’esprit que le Brésil a déjà vécu par le passé des périodes très difficiles, avec notamment des poussées d'hyperinflation allant jusqu’à 4.000-5.000%. Les économistes brésiliens, les banques, les entreprises, les responsables de la Banque centrale ou du ministère des Finances ont un vrai savoir-faire face à des situations compliquées.

Tablez-vous, vous-même sur un scénario de récession ?

Je pense que les choses vont lentement et progressivement revenir à la normale. Avec toutes les opportunités qui existent et les centaines de millions de nouveaux consommateurs et producteurs qui continuent à arriver sur le marché mondial, je ne vois pas pourquoi nous rentrerions en récession.

Un dernier mot sur la bourse brésilienne qui affiche une baisse de près de 25% depuis janvier ?

La Bourse brésilienne avait perdu près de 50% après la crise des sub-primes et elle a rapidement retrouvé ses bons niveaux. Aujourd'hui, elle réagit à l'unisson du reste des grandes bourses internationales paniquées par la perception des risques. Mais il faut faire attention à ne pas trop tirer de conclusions des mouvements de cours brutaux qui ont commencé pendant l'été. C'est une période où la plupart des grands institutionnels sont en vacances et les volumes sont faibles. Avec une conjoncture qui nourri les perceptions catastrophistes, c'est le moment idéal pour que faire beaucoup d'argent en jouant sur une forte volatilité des cours. Au fur et à mesure que l’on avancera dans l’année, cette volatilité devrait diminuer. La bourse brésilienne, comme les autres d'ailleurs, devrait remonter. Si les arbres ne poussent pas jusqu'au ciel, leurs racines ne poussent pas non plus jusqu'au centre de la terre.

Propos recueillis par Imen Hazgui