Interview de Etienne  Gorgeon : Directeur de la gestion taux et crédit au sein de Edmond de Rothschild Investment Managers

Etienne Gorgeon

Directeur de la gestion taux et crédit au sein de Edmond de Rothschild Investment Managers

BCE : on se dirige doucement mais surement vers une politique de quantitative easing

Publié le 02 Décembre 2011

Selon vous la BCE se dirige doucement mais surement vers une politique de quantitative easing ?
La BCE est par nature réticente à racheter de la dette sur les marchés du fait de l'aléa moral induit par une telle politique. L'institution monétaire intervenait jusque là pour éviter que les taux obligataires italiens ne remontent de manière trop importante.
Cependant, dans la mesure où une certaine discipline budgétaire serait instaurée, la BCE serait en mesure de pouvoir justifier une acquisition plus massive des titres de dette. Tous les indices PMI font observer que la zone euro connait déjà une récession. Cette tendance devrait se renforcer dans la mesure où la composante mettant en évidence les nouveaux ordres affiche une certaine détérioration.
L'Allemagne, moteur de la zone euro, qui jusque là arborait une relative résilience est également en train de montrer d'importants signes de faiblesse.
Cela nous amène à penser que la BCE est probablement en retard par rapport à son mandat de départ qui est de maintenir la stabilité des prix. Elle devrait dans l'ordre naturel des choses commencer par réduire le taux directeur à un niveau plancher, autour de 0,25%-0,50%. Le premier abaissement devrait se faire dès jeudi 8 décembre.
Une fois ce niveau plancher atteint au niveau du taux, la BCE pourra amorcer sa politique de quantitative easing.

Pour vous la baisse du taux directeur est une étape préalable indispensable à cette politique de quantitative easing.
Je vois mal comment l'institution pourrait motiver l'actionnement de sa politique de quantitative easing avant d'avoir mis son taux directeur proche de 0. C'est parce que l'effet avéré découlant  de la baisse massive des taux n'est pas à la hauteur de l'effet escompté que la BCE pourra légitimement annoncer le déploiement de sa politique d'assouplissement quantitatif.

Pour amorcer cette politique, la BCE devrait également attendre la refonte du mini Traité sous le format accord de Schengen, comme mentionné la semaine dernière...
Effectivement, elle attendra qu'une certaine garantie lui soit donnée sur le plan de la discipline budgétaire. En cela, elle patientera jusqu'à ce que cet accord intergouvernemental soit conclu de manière à instaurer un cadre pour une certaine union fiscale et un comportement vertueux des Etats.
Nous devrions davantage apprendre à ce sujet à l'issue du comité européen qui aura lieu le 9 décembre. Entre temps, nous pouvons nous attendre à quelques fuites lundi soir dès lors que la chancelière Angela Merkel doit voir le Président Nicolas Sarkozy. Cette rencontre devrait nous renseigner sur le principal point d'achoppement qui oppose les deux dirigeants concernant les sanctions automatiques, l'Allemagne les voulant et la France les refusant.

Quel regard portez-vous sur la proposition faite par le ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble consistant à créer des fonds spéciaux pour les dettes excédentaires des pays de la zone euro ?

Ce dispositif me semble trop compliqué. Angela Merkel a rappelé ce matin devant le Bundestag qu'elle n'était pas favorable à la création d'euro obligations. Il faut se rappeler qu'elle ne s'entend pas très bien avec son ministre des finances.
Ce dispositif pose la question de la garantie à apporter qui dépend de la bonne note des pays membres de la zone. Or on sait que le triple A de la France est menacé, et que celui de l'Allemagne a également de fortes chances de l'être.

La problématique posée par Wolfgang Schäuble ne me parait pas nécessairement aller dans la bonne direction. La défiance sur la zone euro est trop importante. Je ne vois pas en quoi la mise en place de cette structure de défaisance pour les mauvaises dettes et la mutualisation des bonnes dettes serviraient dans la mesure où les investisseurs n'ont pas confiance dans la zone euro.

Cette proposition était probablement viable il y a six mois. Elle ne l'est plus du tout dans la mesure où la zone euro a perdu sa crédibilité en termes de structure viable.

Vous pensez plus généralement que les débats qui tournent autour du FESF et autour des euro obligations n'ont pas grand intérêt ? 
Cela répond à la même logique que pour le dispositif mis en avant par Wolfgang Schäuble. On peut se demander qui aurait envie d'acheter un titre émis par le FESF sachant que l'on ne connait pas son format, que le troisième plus grand contributeur de la zone, l'Italie, a été fortement affecté ces dernières semaines et que parallèlement, le plus grand fonds de pension japonais, un des plus grands investisseurs institutionnels dans le monde a fait savoir qu'il n'envisageait plus d'investir dans la zone euro tant qu'il ne comprendrait pas ce qui se passe exactement.

Pour rassurer sur le maintien de la zone euro, une réforme des Traité s'impose permettant à la BCE de jouer à plein régime par la suite son rôle de prêteur en dernier ressort.

C'est clairement Mario Draghi qui détient les clés du problème et non le ministre des finances allemands Wolfgang Schäuble.

Quel regard portez-vous sur la forte détente des spreads entre les taux français, italien, espagnol d'une part et le taux allemand d'autre part ?

Le marché est parti dans un short covering massif. Il peut à présent se passer beaucoup de choses. Lundi soir, la rencontre entre Merkel et Sarkozy peut déboucher sur une friction. Jeudi, la conférence de la BCE peut résulter sur une déception. Vendredi, le Conseil européen peut accoucher d'une souris.
Pour le moment rien n'est résolu. Nous n'avons pas les détails. Ainsi ces spreads pourraient de nouveau s'écarter fortement dans les prochains jours si l'on commence à contredire ce qui a été dit ces derniers jours et qui allait dans le sens d'une certaine restauration de la confiance dans les marchés. Nous n'avons eu que des rumeurs. Il faut dorénavant des faits. Le marché a été déçu par deux fois. Il ne supportera pas une troisième déception.

Plus que la détente sur l'OAT ou l'obligation italienne, certains se focalisent davantage sur les tensions qui pèsent sur le bund allemand ?
L'augmentation du taux allemand témoigne de l'accentuation de la défiance vis-à-vis de la zone euro. Ce n'est cependant pas le signe le plus important à surveiller.

A un niveau de 6%, l'Italie connait d'énormes difficultés de refinancement.
Si ces difficultés persistent, le pays risque de se confronter à un problème de solvabilité. Il faut absolument que l'Italie parvienne à se financer à un taux acceptable. Si l'Italie, troisième puissance économique européenne et septième puissance mondiale devait connaitre une restructuration de sa dette, alors clairement la zone euro ne serait plus viable. C'est le sujet principal.

Quel serait le taux de refinancement acceptable pour l'Italie ?
Une courbe de taux ne reste pas à 7%. C'est un niveau de transition lorsqu'il y a un stress. La courbe est débord en pente, ensuite elle s'aplatit, et elle s'inverse.

Soit le couple franco allemand réussit son pari et le taux de refinancement de l'Italie fléchira à 3,5-4% pour le court terme et à 5% pour le long terme. Soit le pari se concrétise par un échec et alors le taux de refinancement de la péninsule augmentera beaucoup plus. Cela se jouera dans les prochaines semaines ou les prochains mois puisque le premier trimestre 2012 sera décisif. Ce sera un trimestre record en termes d'émissions obligataires : 143 milliards d'euros au total dont 64 milliards pour la seule Italie.
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Propos recueillis par Imen Hazgui