Christophe Brulé
Président d'Entheca Finance
Tant que la BCE ne sera pas en face pour assurer le financement des Etats, nous n'irons pas acheter de titres de dette des Etats européens
Publié le 30 Décembre 2011
Quel bilan faites-vous du compartiment des obligations souveraines européennes pour 2011 ?
L’année 2011 peut se diviser en deux temps. En début d’année, la crise de la dette s’est fait quelque peu oublier. Dès lors, les taux longs en Allemagne ont remonté en raison d’anticipations haussières de l’inflation, soutenues par la flambée des prix des matières premières et corrélées à la remontée du taux directeur de 0,50% par la BCE. Les stratégies obligataires majoritairement jouées étaient surtout des stratégies de taux variables.
Puis la crise de la dette est revenue sur le devant de la scène, avec la dégradation du dossier grec. Derrière les bonnes intentions, la mise en application des réformes n’avait pas suivi.
L’effet de contagion sur l’Espagne et sur l’Italie a été brutal, comme si les investisseurs ne croyaient plus en la parole des dirigeants politiques de la zone euro.
Les obligations allemandes ont regagné ce qu’elles avaient perdu à partir du mois d’aout, et même récupéré davantage, en raison de la fuite vers la qualité qui s’était dessinée.
Quels commentaires vous inspire la volatilité historique qui a caractérisé le compartiment pendant l’année ?
D’habitude les obligations d’Etat sont un actif sans risque. La volatilité est surtout liée à des anticipations d’inflation.
Nous nous sommes soudainement retrouvés dans un scénario d’insolvabilité, que nous n’avions pas connu depuis près de 30 ans en Europe. Le paramètre de la volatilité s’est ajusté au passage d’une classe traditionnellement sans risque, à une classe désormais risquée.
Les variations ne sont pas tant dues à des éléments macroéconomiques, mais à des interventions de banquiers centraux. L’intervention de la BCE au mois d’aout a fait baisser le taux long italien de 100 pb. Cette volatilité exacerbée est donc compréhensible, dès lors que le profil de l’actif obligataire a changé et n’est plus réputé aussi sûr pour ses porteurs de la zone euro.
Quelle est votre allocation d’actifs à l’heure actuelle ?
Nous sommes davantage investisseurs d’obligations de pays émergents. Nous jouons une détente des taux longs, en prenant appui sur un moindre endettement, une forte croissance, un fléchissement de l’inflation.
Concernant l’obligataire, nous nous sommes placés sur des billets de trésorerie d’entreprises, telles que Casino, Pernod Ricard, Faurecia, Plastic Omnium. En revanche, Nous restons à l’écart des titres bancaires.
Nous avons également des obligations d’entreprises sur une maturité à trois ans, de nouveau Pernod Ricard, mais aussi Vivendi, Accor, Gecina, Havas, British Telecom, Metro…
Nous n’avons pas d’obligations souveraines européennes. Nous avons eu tactiquement du Bund pour couvrir les portefeuilles. Nous en sommes sortis quand le taux a atteint 1,90%.
Nous n’avons pas non plus d’OAT à dix ans. Une hausse de 1% du taux long fait perdre 6 à 7% en capital. Les mouvements de taux étant très erratiques, le risque nous parait trop élevé. Si les taux de l’Espagne et de l’Italie ont atteint le taux qu’avait la Grèce il y a deux ans, le taux de la France, a quant à lui atteint le niveau de l’Italie d’il y a dix-huit mois. Si la situation venait à se dégrader, je n’exclus pas que le taux français monte à 4,5%-5%. La perte en capital serait conséquente.
Les titres qui ont servi de refuge parmi les pays développés sont le bund allemand, le Gilt britannique et le Treasury américain. Quel regard portez-vous sur ces deux derniers titres ?
Le taux américain à dix ans se situe à 1,99%. Le taux réel est négatif à - 1,5%.
Ce taux réel revient à anticiper une déflation. Or l’économie américaine donne des signes de reprise.
L’économie américaine affiche par ailleurs un niveau de dette important, avec des désaccords politiques aigus entre républicains et démocrates. Cela milite pour des taux américains plus élevés l’année prochaine.
Le niveau actuel est la conséquence de l’opération twist de la Fed et de la prime de risque au détriment de l’Europe. Cette surperformance ne devrait pas se répéter l’année prochaine, sauf implosion de la zone euro.
Le dix ans anglais se situe à 2,04%. Si la dette française est sur une maturité de 5-6 ans, ce qui implique un besoin de refinancement de 15 à 20% de la dette totale tous les ans, la maturité est plus longue sur le Royaume Uni, de 10 à 15 ans. Le pays n’a pas besoin de refinancer une part importante de sa dette tous les ans. C’est ce qui explique que le Royaume-Uni soit moins dans le collimateur des marchés. Sans oublier le soutien de la BoE.
Ceci étant, le taux réel est là aussi anormalement bas au regard de la forte inflation, de la croissance atone et du déficit très élevé.
Par conséquent, il se peut qu’en 2012 nous allions tactiquement sur de l’obligataire allemand et américain pour couvrir les portefeuilles. Mais nous ne serons pas tentés de nous diriger vers les obligations britanniques.
Envisageriez-vous à ce stade, d’aller pendant l’année vers plus de dette de la zone euro en projetant un resserrement de spreads des taux français, italien ou espagnol ?
Non, pas pour le moment. Le marché veut que la BCE intervienne à l’instar de la Fed, et de la BoE. Pour le moment ce n’est pas le cas : tant que ce statut quo perdurera, la zone euro ne sera pas sortie d’affaire.
Je pense que l’arrivée de Mario Draghi marque une rupture. Ceci s’est manifesté par la baisse du taux directeur, deux fois en un mois. Seule cette intervention plus massive de la banque centrale, en direct, sans passer par des montages complexes pourrait nous inciter à revenir de façon pondérée sur la dette européenne.
Les investisseurs institutionnels sont dans un processus de désengagement important en raison des contraintes réglementaires, Solvency II pour les compagnies d’assurances et Bale III pour les banques. C’est eux qui font le marché.
Il y a deux courants de vente, le stock qu’il faut absorber et le nouveau flux qu’il va falloir financer. Non seulement les investisseurs n’acquièrent pas de nouveaux titres, mais vendent les titres détenus. Tant que la BCE ne sera pas en face pour assurer le financement des Etats, nous n’irons pas acheter de titres de dette des Etats européens. Le bund allemand ne rapportant pas assez, les autres titres étant trop à risque.
Quels seraient-les paramètres à piloter pour éviter de rater le train ?
Il est évident que c’est l’Allemagne qui guide les discussions.
La convergence budgétaire est une bonne chose mais pourrait prendre du temps or les agences de notation n'attendent pas pour passer à l'acte de la dégradation et je m 'attends à ce que dès le début d'année la zone Euro soit de nouveau sur la sellette et en particulier la France.
Les marchés risquent de ne pas vouloir attendre. Le risque de liquidité pourrait alors l’emporter sur le risque de solvabilité.
Des sueurs froides qui amèneront nécessairement la BCE à agir avant d’avoir des garanties, prenant uniquement acte du chemin emprunté.
L’année 2011 peut se diviser en deux temps. En début d’année, la crise de la dette s’est fait quelque peu oublier. Dès lors, les taux longs en Allemagne ont remonté en raison d’anticipations haussières de l’inflation, soutenues par la flambée des prix des matières premières et corrélées à la remontée du taux directeur de 0,50% par la BCE. Les stratégies obligataires majoritairement jouées étaient surtout des stratégies de taux variables.
Puis la crise de la dette est revenue sur le devant de la scène, avec la dégradation du dossier grec. Derrière les bonnes intentions, la mise en application des réformes n’avait pas suivi.
L’effet de contagion sur l’Espagne et sur l’Italie a été brutal, comme si les investisseurs ne croyaient plus en la parole des dirigeants politiques de la zone euro.
Les obligations allemandes ont regagné ce qu’elles avaient perdu à partir du mois d’aout, et même récupéré davantage, en raison de la fuite vers la qualité qui s’était dessinée.
Quels commentaires vous inspire la volatilité historique qui a caractérisé le compartiment pendant l’année ?
D’habitude les obligations d’Etat sont un actif sans risque. La volatilité est surtout liée à des anticipations d’inflation.
Nous nous sommes soudainement retrouvés dans un scénario d’insolvabilité, que nous n’avions pas connu depuis près de 30 ans en Europe. Le paramètre de la volatilité s’est ajusté au passage d’une classe traditionnellement sans risque, à une classe désormais risquée.
Les variations ne sont pas tant dues à des éléments macroéconomiques, mais à des interventions de banquiers centraux. L’intervention de la BCE au mois d’aout a fait baisser le taux long italien de 100 pb. Cette volatilité exacerbée est donc compréhensible, dès lors que le profil de l’actif obligataire a changé et n’est plus réputé aussi sûr pour ses porteurs de la zone euro.
Quelle est votre allocation d’actifs à l’heure actuelle ?
Nous sommes davantage investisseurs d’obligations de pays émergents. Nous jouons une détente des taux longs, en prenant appui sur un moindre endettement, une forte croissance, un fléchissement de l’inflation.
Concernant l’obligataire, nous nous sommes placés sur des billets de trésorerie d’entreprises, telles que Casino, Pernod Ricard, Faurecia, Plastic Omnium. En revanche, Nous restons à l’écart des titres bancaires.
Nous avons également des obligations d’entreprises sur une maturité à trois ans, de nouveau Pernod Ricard, mais aussi Vivendi, Accor, Gecina, Havas, British Telecom, Metro…
Nous n’avons pas d’obligations souveraines européennes. Nous avons eu tactiquement du Bund pour couvrir les portefeuilles. Nous en sommes sortis quand le taux a atteint 1,90%.
Nous n’avons pas non plus d’OAT à dix ans. Une hausse de 1% du taux long fait perdre 6 à 7% en capital. Les mouvements de taux étant très erratiques, le risque nous parait trop élevé. Si les taux de l’Espagne et de l’Italie ont atteint le taux qu’avait la Grèce il y a deux ans, le taux de la France, a quant à lui atteint le niveau de l’Italie d’il y a dix-huit mois. Si la situation venait à se dégrader, je n’exclus pas que le taux français monte à 4,5%-5%. La perte en capital serait conséquente.
Les titres qui ont servi de refuge parmi les pays développés sont le bund allemand, le Gilt britannique et le Treasury américain. Quel regard portez-vous sur ces deux derniers titres ?
Le taux américain à dix ans se situe à 1,99%. Le taux réel est négatif à - 1,5%.
Ce taux réel revient à anticiper une déflation. Or l’économie américaine donne des signes de reprise.
L’économie américaine affiche par ailleurs un niveau de dette important, avec des désaccords politiques aigus entre républicains et démocrates. Cela milite pour des taux américains plus élevés l’année prochaine.
Le niveau actuel est la conséquence de l’opération twist de la Fed et de la prime de risque au détriment de l’Europe. Cette surperformance ne devrait pas se répéter l’année prochaine, sauf implosion de la zone euro.
Le dix ans anglais se situe à 2,04%. Si la dette française est sur une maturité de 5-6 ans, ce qui implique un besoin de refinancement de 15 à 20% de la dette totale tous les ans, la maturité est plus longue sur le Royaume Uni, de 10 à 15 ans. Le pays n’a pas besoin de refinancer une part importante de sa dette tous les ans. C’est ce qui explique que le Royaume-Uni soit moins dans le collimateur des marchés. Sans oublier le soutien de la BoE.
Ceci étant, le taux réel est là aussi anormalement bas au regard de la forte inflation, de la croissance atone et du déficit très élevé.
Par conséquent, il se peut qu’en 2012 nous allions tactiquement sur de l’obligataire allemand et américain pour couvrir les portefeuilles. Mais nous ne serons pas tentés de nous diriger vers les obligations britanniques.
Envisageriez-vous à ce stade, d’aller pendant l’année vers plus de dette de la zone euro en projetant un resserrement de spreads des taux français, italien ou espagnol ?
Non, pas pour le moment. Le marché veut que la BCE intervienne à l’instar de la Fed, et de la BoE. Pour le moment ce n’est pas le cas : tant que ce statut quo perdurera, la zone euro ne sera pas sortie d’affaire.
Je pense que l’arrivée de Mario Draghi marque une rupture. Ceci s’est manifesté par la baisse du taux directeur, deux fois en un mois. Seule cette intervention plus massive de la banque centrale, en direct, sans passer par des montages complexes pourrait nous inciter à revenir de façon pondérée sur la dette européenne.
Les investisseurs institutionnels sont dans un processus de désengagement important en raison des contraintes réglementaires, Solvency II pour les compagnies d’assurances et Bale III pour les banques. C’est eux qui font le marché.
Il y a deux courants de vente, le stock qu’il faut absorber et le nouveau flux qu’il va falloir financer. Non seulement les investisseurs n’acquièrent pas de nouveaux titres, mais vendent les titres détenus. Tant que la BCE ne sera pas en face pour assurer le financement des Etats, nous n’irons pas acheter de titres de dette des Etats européens. Le bund allemand ne rapportant pas assez, les autres titres étant trop à risque.
Quels seraient-les paramètres à piloter pour éviter de rater le train ?
Il est évident que c’est l’Allemagne qui guide les discussions.
La convergence budgétaire est une bonne chose mais pourrait prendre du temps or les agences de notation n'attendent pas pour passer à l'acte de la dégradation et je m 'attends à ce que dès le début d'année la zone Euro soit de nouveau sur la sellette et en particulier la France.
Les marchés risquent de ne pas vouloir attendre. Le risque de liquidité pourrait alors l’emporter sur le risque de solvabilité.
Des sueurs froides qui amèneront nécessairement la BCE à agir avant d’avoir des garanties, prenant uniquement acte du chemin emprunté.
Propos recueillis par Imen Hazgui