Interview de François Heisbourg : Conseiller spécial du président, Fondation pour la recherche stratégique

François Heisbourg

Conseiller spécial du président, Fondation pour la recherche stratégique

Le texte du nouveau pacte budgétaire européen est d'une brutalité inouïe

Publié le 23 Janvier 2012

De quelle manière interprétez-vous le décalage existant entre la dégradation de la note de la France par l'agence Standard & Poor's  vendredi 13 janvier et la réussite des émissions obligataires du Trésor français la semaine dernière ? 
La France payait déjà et continue à payer un taux d’intérêt d’un pays qui n’est pas noté AAA, soit 2% de plus que l’Allemagne. La dégradation de S&P est arrivée après coup.
Si la décision de l’agence de notation a pris une telle envergure, c’est parce que les autorités politiques avaient choisi d’en faire un enjeu symbolique majeur. Les marchés ont continué à traiter la France tel qu’ils le faisaient déjà.

Croyez-vous que les opérations de refinancement de la Banque centrale européenne (BCE) et la participation des banques ont permis la réussite de ces adjudications ?
Pour le moment cela ne me parait pas du tout clair.
Nous sommes au début des énormes opérations de refinancement des Etats. Nous devrions avoir plus de visibilité au cours des prochaines semaines.

Quel regard portez-vous sur l’action de la  BCE dans la zone euro ?

En créant un guichet à trois ans pour les établissements bancaires, la BCE a entrepris un travail discret mais extrêmement efficace qui écarte pour le moment le risque systémique du coté du secteur bancaire.
Il est toujours possible de ramener les mesures prises par la BCE à des soins intensifs apportés à un malade en salle d’urgence. La thérapeutique administrée n’étant pas durable, bénigne et sans inconvénient.
Il faut cependant comparer ce qu’a fait la BCE avec l’alternative d’une absence d’action de sa part. Si la BCE n’était pas intervenue, nous serions certainement non seulement dans une situation de « credit crunch » mais aussi dans une situation d’instabilité du système bancaire. Les marchés ne s’y sont pas trompés et ont très bien réagi.

Quelle vision avez-vous des dépôts record effectués par les banques auprès de la BCE ?
Nous ne savons pas au juste si les banques qui effectuent les dépôts significatifs auprès de la BCE sont les mêmes que celles qui ont emprunté auprès de l’institution.
Le président de la BCE, Mario Draghi affirme que ce n’est pas le cas.

Les négociations entre la Grèce et ses créanciers privés s’avèrent relativement houleuses. Qu'en pensez-vous? 
On peut espérer que l’affaire grecque se terminera par une transaction et non pas par un défaut désordonné.
Ce qui est clé dans l’affaire, ce n’est pas tant le pourcentage de la décote de la dette grecque mais le caractère volontaire de la participation à cette décote. Avoir une décote de 50% ou 70%, cela ne va pas tellement précipiter dans une direction différente les établissements bancaires affectés. Les montants engagés ne seront pas ingérables. Les marchés pricent depuis longtemps une décote importante de la dette grecque.

Cependant, quelque soit le pourcentage retenu, si la participation des créanciers privés à la décote n’apparait pas comme volontaire, nous aurons un défaut désordonné.
Et nous ne savons pas, à ce jour, quelles seraient les impacts exacts de ce défaut, en particulier en ce qui concerne le compartiment des CDS. Nous pouvons cependant supposer que les conséquences seront épouvantables.

Êtes-vous inquiets quant au dénouement de la situation ?
Cela fait un peu penser aux crises nucléaires pendant la guerre froide. Les gens marchaient au bord du gouffre et si ils se trompaient cela pouvaient mener à une catastrophe.
A ce stade, le gouvernement grec a l’air d’être confiant dans la possibilité d’aboutir à un accord.

La directrice générale du FMI, Christine Lagarde, a indiqué sa volonté de doter le FMI de 600 milliards de dollars de ressources supplémentaires pour permettre d’augmenter sa capacité de prêt à la zone euro. Qu’en-pensez-vous ?

C’est une bonne idée mais la possibilité pour qu’elle se matérialise dans une année électorale aux Etats-Unis me parait mince. Les américains qui ont la minorité de blocage ont été relativement clairs à ce sujet.

Pour vous cela est un vœu pieu ?
Cela me parait peu vraisemblable à l’heure actuelle. Cependant si nous avons une véritable calamité en Europe, peut être que les américains changeront d’avis, quoique cela ne soit pas du tout assuré. Le processus d’application de la décision prise par le G20 en 2009 d’augmenter le capital du FMI avait été déjà très difficile aux Etats-Unis.

Actuellement, le pays s’inscrit dans une lutte contre l’endettement. Il ne va pas permettre au FMI d’augmenter sa capacité pour financer de la dette.

A quelle suite des évènements vous attendez-vous dans la zone euro ?
Nous sommes partis pour finaliser l’élaboration du traité, le ratifier et le mettre en application.
D’après ce que je constate, l’élaboration du traité se passe bien et il y a de bonnes chances que le texte du traité soit prêt lors de la prochaine réunion du Conseil européen.
Sur l’ampleur des réductions à opérer et l’ambition des objectifs affichés, le texte a l’air stable.
Des discussions persistent en parallèle pour savoir dans quelle mesure un ou des Etats pourront s’affranchir des contraintes du texte. La BCE souhaitant un langage beaucoup plus dur que celui que voudraient certains Etat.

Une fois que le texte sera prêt, il s’agira d’apprécier s’il sera effectivement ratifié et s’il sera ensuite mis en œuvre. Selon vous, si le texte reste en l’état, et que les sanctions prévues sont sévères, le processus de ratification sera très difficile et les marchés risquent de très mal réagir...
Le texte est d’une brutalité inouïe. Si l’on considère celui-ci au pied de la lettre il faudra parvenir à des déficits budgétaires qui ne soient pas supérieurs à 0,5% du PIB (contre 3% dans le Pacte de Maastricht). Cela sera trop ambitieux et pas raisonnable, d’autant plus que le texte devra s’appliquer dès lors que 12 pays de la zone l’auront ratifié et ou au 1er janvier 2013.

Par ailleurs, excepté les pays qui bénéficient d’une aide, les Etats européens ayant une dette de plus de 60% du PIB (ce qui est le cas de tous les pays de l’Union européenne, sauf la Finlande) devront rembourser chaque année dès l’entrée en vigueur du traité un vingtième du stock de la dette.
Un pays comme la France a une dette qui représente entre 80 et 90% de son PIB. Un vingtième revient à environ 4-4,5% du PIB. Il faudra donc dégager un excédent budgétaire de 4 à 4,5% du PIB dès 2013.
Cela reviendra à obliger un vieillard à courir un 100 m en dix secondes.

Vous vous dites très soucieux par rapport à ce traité ?
J’espère sincèrement que les négociations des prochains jours aboutiront à des dispositions moins drastiques.

Comment expliquez-vous que la France et l’Italie aient accepté de telles dispositions ?
Je ne le comprends pas. C’est un grand mystère que de savoir pourquoi les français ou les italiens ont laissé passer de telles dispositions. Si les objectifs affichés étaient atteints, cela aurait un effet mortifère sur les économies, autrement dit un effet profondément récessif.

D'après vous, il eut été raisonnable de s’en tenir aux objectifs de Maastricht quitte à imposer des cibles plus ambitieuses au bout de cinq ans d’application du traité...
Les 3% de déficit imposés dans le cadre du Pacte de Maastricht sont un peu inférieurs au taux de croissance nominal des pays de la zone euro au cours des dix dernières années. En cela, ce n’est pas un objectif déraisonnable. Il n’est ni procyclique, ni anti cyclique à ce stade.

Un autre reproche que vous faites à ce traité réside dans le fait qu’il n’évoque que la rigueur et ne laisse pas place à la croissance…

Le traité ne contient rigoureusement aucun élément de relance de la croissance. Le communiqué de l’agence Standard & Poor’s est limpide sur ce sujet. Je comprends que Mario Monti, bien que l’Italie ait été dégradée de deux crans, et contrairement à Nicolas Sarkozy, ait salué ce communiqué.

Que faudrait-il prévoir, selon vous, pour assurer cette croissance ?
La réponse est difficile. Il faudrait déjà que cette dimension soit abordée. Cela ne va pas de soi.
Un élément de réponse pourrait être la non opposition à un quantitative easing (QE : processus d’assouplissement monétaire) de la BCE. Si le bilan économique américain n’est pas formidable, il est bien meilleur que le notre alors qu’aujourd’hui le bilan de la BCE est plus important que celui de la Fed. Critiquer la Fed pour avoir mener des opérations de QE est absurde

Il serait également intéressant de suggérer que certains éléments de dépense budgétaire ne soient pas considérés comme des éléments de déficit, comment des dépenses d’investissements publics ou encore des dépenses en R&D.

Vous estimez qu’il serait judicieux pour la zone euro qu’elle abandonne tout objectif de réduction de sa dette pour le moment…
L’article 4 du traité qui intéresse l’objectif de réduction de la dette de la zone euro me semble malvenu dans sa rédaction actuelle. Tout comme les Etats-Unis, l’Europe ferait mieux de ne pas afficher trop rapidement un objectif de réduction des dettes auquel cas les situations à la grecque risqueraient de se multiplier.

Je ne pense pas qu’il soit inquiétant que l’Allemagne ait une dette qui fasse 80% de son PIB dans la mesure où le pays a su maitriser son déficit.

Si l’on se donne un objectif de réduction de la dette, alors on ne pourra pas faire de la croissance.

Cet objectif de la dette pourrait éventuellement être reconsidéré à partir de 2018 en fonction de l’état de la conjoncture.

Vous comparez le traitement de la dette en Europe avec celui des Etats-Unis. Cependant pour beaucoup d’experts le pays de l’Oncle Sam devrait être rattrapé par son problème d’endettement dès 2013…

Les Etats-Unis ont décidé de privilégier la réduction du déficit budgétaire sur la réduction de la dette. Ceci étant ils n’ont pas été assez loin dans la réduction du déficit du fait du blocage politique et institutionnel américain pour supprimer des niches fiscales, augmenter les impôts, réduire les dépenses.
Le marché n’est pas inquiet par le stock de dette américain. Jamais la dette américaine n’a couté aussi peu chère. Si les marchés finissent par alimenter une inquiétude à l’égard de l’endettement des Etats-Unis, ce sera parce que les politiques n’auront rien fait pour réduire le déficit très élevé (autour de 9% du PIB). Si le prochain président arrive avec un package de réduction substantielle du déficit qui ne soit pas récessionniste alors les Etats-Unis ne seront pas attaqués pour leur problème d’endettement.
La marge de manœuvre est relativement importante pour agir. Les dépenses militaires représentent un potentiel de réduction du déficit considérable, 4,5% du PIB (contre 1,5% en Europe). Le pays pourrait y puiser sans inconvénient majeur.

D’après vous, pour le moment le marché pense que le traité ne sera pas appliqué en l’état.
..
S’il arrive à la conclusion que ce traité sera appliqué, la situation risque fortement de se gâter.

Propos recueillis par Imen Hazgui