Interview de Michel Aglietta : Professeur de sciences économiques à l'Université de Paris-X Nanterre et membre du Conseil d'analyse économique

Michel Aglietta

Professeur de sciences économiques à l'Université de Paris-X Nanterre et membre du Conseil d'analyse économique

Les réformes financières chinoises, des coups d'épée dans l'eau ?

Publié le 25 Mai 2012

Quel regard portez-vous sur les récentes réformes financières annoncées ou envisagées par la Chine ?
A mon sens, ces récentes réformes sont liées à l’internationalisation progressive du yuan pour pouvoir augmenter les interdépendances entre le marché offshore de Hong Kong et le marché domestique et donc permettre à des non résidents qui ont des avoirs en yuan à Honk Kong de pouvoir investir sur le marché intérieur dans un champ plus large de catégorie d’actifs.

La bourse chinoise est manifestement très sous-évaluée depuis un moment. Le potentiel de revalorisation est important. Pensez-vous que ces réformes sont destinées à stimuler le marché actions chinois ?
Les autorités chinoises n’ont pas tellement pour préoccupation directe de stimuler le marché boursier, mais davantage de dynamiser la croissance. Cette dynamique passe par une réanimation des marchés actions chinois.

Jusque là les ménages chinois plaçaient essentiellement leur argent dans le marché immobilier dès lors que les comptes épargne étaient peu rémunérés. Celui marché a beaucoup souffert suite à l’éclatement d’une bulle. A présent, la problématique se pose de trouver des placements intéressants pour ces ménages.

Pensez-vous également que par ces réformes, les autorités chinoises souhaitent mieux maîtriser l’essor du shadow banking système dans le pays et de retrouver un peu de transparence ?
Les autorités chinoises ont effectivement su identifier le développement d’un système de crédit parallèle et veulent le résorber. La Banque centrale de Chine a d’ailleurs créé un indicateur du crédit total qui regroupe le crédit bancaire classique et tout ce qui provient de financement parallèle, par des espèces de trust companies- autrement dit des sortes de hedge funds ou de mutual funds qui ne sont pas soumis à une régulation standard- ou encore par des prêts émanant d’entités hong kongaises.
Ce financement parallèle a favorisé le dépassement par les collectivités locales des normes de prudence auxquelles elles étaient assujetties.

Un des points forts des réformes envisagées par la Chine réside dans l’extension d’un marché obligataire...
Des projets pilotes ont vu le jour dans certaines provinces chinoises pour mesurer la faisabilité et l’efficacité d’un tel marché. Des gouvernements locaux ont ainsi obtenu l’autorisation d’émettre des titres obligataires pour financer des investissements d’infrastructures d’utilité sociale validés par la commission centrale des réformes.

Ce marché obligataire existe mais est actuellement très sous développé…
Effectivement. Des papiers commerciaux sont émis, mais ils ne dépassent pas une année.

Ces réformes financières serviraient-elles aussi à mobiliser une épargne chinoise abondante mise au service de l’expansion des entreprises chinoises ?
Jusqu’ici, le financement des PME chinoises a surtout été assuré par l’autofinancement ou des prêts usuraires.
La volonté affichée est d’améliorer la situation sur ce point de différentes manières.

Une première idée avancée a été de regrouper les banques de taille moyenne des provinces qui présentent une certaine vulnérabilité pour en faire des entités viables. Ces institutions bancaires seraient de ce fait en mesure de concurrencer les plus grandes banques chinoises dans le financement des PME. Par la réduction de l’aspect oligopolistique du secteur bancaire chinois, la pratique des prêts usuraires serait limitée.

D’aucuns pensent que parce que ces réformes financières ne sont pas accompagnées d’un certain nombre de mesures visant à améliorer la corporate gouvernance dans le pays, et parce que corruption, délit d’initié, opacité des comptes des entreprises rythment la vie des affaires dans le pays ; elles s’assimilent à des coups d’épée dans l’eau et s’inscrivent davantage dans une politique de communication des autorités chinoises à l’égard des investisseurs étrangers…
En finance la communication est essentielle, pas seulement en Chine.

Au demeurant, la co-transformation des structures économiques et des institutions est un processus qui dure depuis trente ans dans le pays et qui s’inscrit dans une très longue durée, à horizon 2030.

Les entreprises chinoises se projettent de plus en plus à l’international et veulent devenir des compétiteurs mondiaux. La Chine a alors besoin de s’aligner sur le droit international des affaires. Sont en jeu l’appétit des investisseurs pour les titres de ces entreprises émis à l’étranger.

Dans un contexte de changement de génération politique, avec des difficultés à déterminer où sera le leadership, les accords concernant les grandes réformes à mener dans le pays sont en pleine discussion. On devrait voir plus clair dans un ou deux ans.

In fine, l’annonce de ces réformes financières permettront-elles d’avoir un effet psychologique suffisamment important pour conduire à une hausse du marché actions d’ici la fin de l’année ?
Si, 2007 n’est pas un point de référence à considérer pour ce qui est de l’appréciation de la performance du marché actions chinois- il y avait à l’époque une énorme bulle, les cours étaient surévalués- pour autant nous sommes actuellement face à un marché fortement sous évalué malgré la capacité de la Chine à résister à la crise mondiale, de rebondir fortement.

La possibilité donnée aux investisseurs étrangers d’investir dans plus d’actifs chinois pourrait effectivement produire des effets d’ici la fin de l’année à moins que la Chine n’entre dans une situation très difficile sur le plan économique, ce qui ne paraît pas impossible dans la mesure où l’Europe qui est leur principal client va très mal. Même si elle s’efforce de redéployer sa croissance vers la consommation intérieure, la Chine est encore très dépendante du commerce extérieur.

Propos recueillis par Imen Hazgui