Interview de Marie-Pierre Peillon : Directrice de l'analyse financière et extra-financière chez Groupama Asset Management

Marie-Pierre Peillon

Directrice de l'analyse financière et extra-financière chez Groupama Asset Management

Zone euro : nos prévisions sont relativement pessimistes

Publié le 27 Juillet 2012

Quel regard portez-vous sur la situation macroéconomique de la zone euro ?
Nos prévisions sont relativement pessimistes et se situent en dessous du consensus particulièrement pour 2013.
Nous tablions en début d'année sur un premier semestre 2012 atone et un redémarrage de la croissance au cours du second semestre. Finalement, nous pensons que nous avons eu un premier trimestre plutôt résistant, un début de retournement à partir du mois de mai et que nous nous acheminons vers un point bas au quatrième trimestre.

Vous n'êtes donc pas en accord avec la BCE sur ce sujet qui table sur une reprise d'ici la fin de l'année?
Nous ne voyons pas cette reprise d'ici décembre car la situation est particulièrement dramatique dans la zone euro. Celle ci n'est pas aidée par l'environnement mondial. Les enquêtes PMI, les indices de consommation et les indicateurs de l''emploi montrent une tendance baissière généralisée.

Dans la zone euro, les cas qui les plus préoccupants sont l'Espagne et l'Italie…
Effectivement. L'Espagne représente 11,5% du PIB de la zone euro et l'Italie 18%. Nous ne sommes pas du tout dans le même traitement de crise que lorsqu'il était question de venir en aide à la Grèce, à l'Irlande ou au Portugal.
Aussi, notre scénario tient beaucoup à la réaction des politiques économiques dans ces deux pays.
Il y a des deux cotés, actuellement, une forte dégradation de l'économie. Le marché de l'emploi est mis à mal. Les inscriptions au chômage sont en constante augmentation. Le taux de chômage est de 25% en Espagne et concerne 50% des jeunes. En Italie, le taux de chômage est de 11% et affecte les jeunes à hauteur de 35%.
Compte-tenu de la réduction des dépenses budgétaires, de la montée de l'inactivité professionnelle et de la ponction fiscale, le pouvoir d'achat a fortement diminué dans ces deux pays. Cela s’est traduit par une diminution notable de la consommation.
Au-delà de l'absence de soutien de la demande intérieure, il y a également un ébranlement de l'appui apporté par la demande extérieure. Le commerce international a significativement ralenti. Pour les deux pays , les commandes étrangères ont chuté et laissent présager une poursuite de l'effondrement des exportations.
Au-delà des difficultés d’ordre conjoncturel, l’Espagne et l’Italie sont aussi confrontées à des problématiques structurelles. En Espagne, doivent être gérées l' explosion d'une crise immobilière et une crise du surendettement. En Italie, le risque porte davantage sur les PME.

Vous avez opéré une comparaison entre les systèmes bancaires?
Des deux côtés, l'accès à la liquidité a été assurée par la BCE à travers ses opérations de refinancement à long terme car ces banques n'ont quasiment plus accès au refinancement sur les marchés. Des deux cotés, les banques domestiques se sont portées massivement acquéreuses des titres de dette émis par les Trésors nationaux. Nous assistons donc à une "renationalisation" des bilans bancaires.
Au-delà de ces comparaisons, une différence majeure existe entre ces deux pays : les banques espagnoles ont la particularité d’avoir été très affectées par leur exposition à un marché immobilier sinistré, particulièrement les Cajas.

L'aide financière de 100 milliards d'euros accordée à l’Espagne pour soutenir ses banques défaillantes vous semble-t- elle suffisante ?
Pour répondre à cette question, il faut dans un premier temps distinguer les besoins de capital des besoins de provisions à passer.
Nous avons tenté de recenser les différentes études des agences de notation, du FMI, de l'IIF.
Les estimations, à partir d'un taux de croissance relativement faible et d'un taux de créances douteuses autour de 8%, sont comprises entre 150 et 300 milliards d'euros selon les sources. De notre côté, nous avons évalué ces provisions à un peu plus de 100 milliards d'euros.

Face à ces montants, et après prise en compte des provisions déjà passées, des résultats financiers générés sur les 2 prochaines années, l'effet impôt et les exigences supplémentaires de capital imposées par Bâle III, les besoins de recapitalisation publics , selon ces même sources, sont compris entre 15 milliards et 100 milliards. Selon nous, nous retenons pour les besoins de recapitalisation 50 à 60 milliards d'euros.

Y compris en tenant compte d'une poursuite de la baisse des prix de l'immobilier?
Nous avons effectivement pris en compte le fait que l'ajustement des prix de l'immobilier n'était pas terminé.
Ceci étant, nous sommes surpris par la vitesse de la dégradation qui est aujourd'hui observée.

Comment expliquez-vous la nervosité persistante des investisseurs sur le compartiment obligataire espagnol malgré l'octroi de cette aide ?

En premier lieu, nous continuons à avoir un manque de visibilité sur les modalités d'octroi de cette aide alors que le temps presse.
Ensuite, nous ne connaissons pas l'état de santé définitif du secteur bancaire espagnol. Il faudra attendre les audits de septembre. Nous pouvons encore avoir de mauvaises surprises.
De plus, et surtout, le problème de l'Espagne ne s'arrête pas à son secteur bancaire. L'aide consentie ne résout pas les problèmes structurels du pays, elle ne fait que colmater. Sans compter le problème des régions.

De quelle manière avez-vous accueilli le report dans le temps de l’atteinte de l’objectif budgétaire de l’Espagne ?

Le report de l’atteinte des objectifs budgétaires était nécessaire.
Cependant, ce qui pose problème c’est qu’au-delà de ce report, sont ajoutées des économies budgétaires importantes. Il faudrait un report sans nouvelles contraintes.
Nous sommes d’avis que la situation est tellement grave, que la politique d’ajustement budgétaire ne peut pas se poursuivre telle qu’elle a été définie.
Il faudrait absolument une rupture de politique économique. L’enjeu actuel n’est pas celui du niveau de la dette mais celui du niveau de la croissance. Cette croissance est indispensable pour permettre un désendettement futur.

Vous ne pensez donc pas que, même après révision, les objectifs budgétaires que s’est fixée l’Espagne seront atteints ?

Pas en l’état actuel des choses. Cette première révision, qui doit être saluée car elle ne fait que prendre acte de la réalité, sera assurément suivie d’autres corrections pour éviter à l’Espagne de plonger dans un état récessif durable et pour éviter d’attiser encore plus les tensions sociales . Autrement dit, le déficit de 3% ne pourra pas être touché en 2014.

Concrètement qu’est-il nécessaire de faire selon vous pour revenir à une situation assainie ?
Etaler les réformes structurelles dans le temps. Certes, la dérive des finances publiques doit être arrêtée, mais elle ne pourra pas l’être en procédant de manière aussi drastique, aussi brutale.

Cette spirale infernale qui vise à maintenir des objectifs budgétaires dont on sait pertinemment qu’ils ne sont pas réalisables ne vaut pas que pour l’Espagne ?
Absolument pas. Elle concerne la plupart des pays de la zone euro, Italie, France comprises .
Dans la plupart de ces pays, nous avons reporté de deux ans l’atteinte des objectifs budgétaires pour éviter un effet récessif durable.

Quelle évolution de la politique de la Banque centrale européenne envisagez-vous pour venir en aide à ces deux pays que sont l’Italie et l’Espagne. Tablez-vous sur une troisième opération de refinancement de long terme ?
Nous n’anticipons pas une troisième opération de refinancement de long terme actuellement. Celle ci est censée répondre au problème de liquidité des banques. Cette liquidité n’est plus tellement le sujet aujourd’hui. Les 1000 milliards d’euros injectés en deux fois en décembre 2011 et février 2012 amènent à penser que le risque de liquidité s’est considérablement atténué.

Peut-on s’attendre à une réactivation du programme de rachat des titres de dette des Etats ?
Il nous semble qu’à un moment ou un autre, il faudra passer par une monétisation de la dette. Jusqu’à présent Mario Draghi s’est montré réticent à cette monétisation. Nous sommes convaincus que nous n’y échapperons pas. Sans cette action, les taux espagnols et italiens ne rebaisseront pas de manière durable.

Cette monétisation passerait elle par un adossement du Mécanisme européen de stabilité à la BCE ou par la BCE directement ?
C’est toute la question. La décision est éminemment politique. Ce qui compte avant tout pour le marché c’est qu’il y ait une intervention qui permette aux taux espagnols et italiens de refluer.

Voyez-vous un recul de ces taux d’ici la fin de l’année ?
Il faut l’espérer. L’Espagne et l’Italie ne peuvent pas continuer à se refinancer à ces niveaux de taux sans mettre en péril encore plus la robustesse de leur économie. Aujourd’hui ces économies sont déjà asphyxiées.

A ce jour, investissez-vous dans des titres obligataires espagnols et italiens ?

Non.


Propos recueillis par Imen Hazgui