Interview de Jean-Luc  Buchalet : Président-directeur général de Pythagore Investissement BP

Jean-Luc Buchalet

Président-directeur général de Pythagore Investissement BP

L'économie chinoise est devenu un véritable paquebot pratiquement impossible à manoeuvrer

Publié le 18 Septembre 2012

Quel regard portez-vous sur le net ralentissement de la croissance économique de la Chine. Le pays a été habitué pendant de nombreuses années à afficher une performance de plus de 10%, avec des rythmes de 12-13% certains exercices. A la fin du deuxième trimestre de l’année, le taux de croissance n’était plus que de 7,6%...
La Chine, comme les autres grands pays émergents, se révèle interdépendante avec l’évolution économique des économies occidentales.
A l’instar du Brésil dont la croissance a fléchi de 5% à 2%, de l’Inde dont le PIB a reculé de 8% à 5%, de la Russie qui a également connu un décrochement, la Chine ne pouvait pas échapper à une dégradation de son économie.

Selon vous, la croissance de la Chine serait plus faible que ce qui est annoncé ?
Les autorités chinoises ont tendance à fausser les chiffres à la hausse comme à la baisse. Autant une évolution de 10% de PIB équivaudra à une hausse de 11-12%, autant une baisse à 7% correspondra dans la réalité à un fléchissement à 5-6%. Le recul de la production d’électricité rend compte d’un déclin bien plus important qu’annoncé de la production industrielle. Nous sommes dans une autocratie. Il n’y a pas de contrepouvoir.

Pour quelle raison selon vous la Chine ne se lance-t-elle pas dans un vaste plan de relance à l’instar de ce qu’elle avait fait à la à la suite de la crise asiatique de 96-97, ou encore en 2009 ?
Contrairement au plan déployé à la fin des années 90, à une époque où l’économie chinoise était moins intégrée au monde capitaliste, la mise en œuvre du plan de 2009 (30% du PIB national avait été déversé dans l’économie), a eu pour conséquences de nombreux effets pervers même s’il a permis à la Chine de se targuer d’une relative capacité de résistance (en générant une croissance de 8-9%) quand la plupart des grandes zones affichaient une croissance négative (-8% pour le voisin japonais).

La Chine connaît à ce jour de tels déséquilibres qu’il faudrait cette fois-ci un plan de relance keynésienne d’une ampleur bien plus importante pour freiner le ralentissement. L’investissement représentant plus de 50% dans le PIB, pour que celle-ci se maintienne à 9%, il faudrait injecter un montant correspondant à 50% du PIB dans l’économie au cours des deux prochaines années… ce qui n’est pas envisageable. Les annonces récentes le prouvent : le plan de relance atteindrait cette fois-ci à peine 2% du PIB, ce qui ne suffira pas pour réduire les déséquilibres.

Pour que la Chine s’en sorte, il faudrait que la croissance ne provienne plus principalement de la construction des infrastructures et des exportations mais de la consommation des ménages...

C’est justement pour cela que les autorités chinoises sont dans l’incapacité de réorienter leur économie dans la mesure où la consommation est dans l’incapacité de prendre le relai dans l’évolution de la croissance.
La proportion actuelle des salaires dans le PIB reste beaucoup trop faible par rapport aux pays industrialisés. Dans le même temps, avec l’envolée du cours du pétrole, l’envolée du cours des matières premières, et la mise à mal du secteur agricole pour des problèmes liés à l’environnement et la productivité, le prix des denrées alimentaires devraient encore progresser, affectant le pouvoir d’achat des Chinois qui ne sont plus enclins à consommer. Tout cela ne milite pas pour une hausse forte des dépenses des ménages.

Non seulement, les Chinois n’ont pas les moyens de consommer, mais en plus ils ont peur de l’avenir, donc maintiennent un taux d’épargne artificiellement haut.

Pour que la confiance revienne, il faudrait que le gouvernement mette en place un système de protection sociale pour les retraités, les malades, les chômeurs et qu’il incite à augmenter substantiellement les salaires. Malheureusement cela paraît difficile, car cela supposerait une contribution plus significative des entreprises chinoises, qui sont elles-mêmes fortement fragilisées.

Il y a un pilotage à vue de la part des autorités chinoises...

Les autorités chinoises sont coincées entre une problématique de bulle et un essoufflement de la dynamique économique. Leur objectif est de résorber la bulle sans que cette résorption ne détruise l’économie, ce qui n’est pas une mince affaire.

Pensez-vous que la Chine soit allée trop loin…
Nous pouvons le craindre. Il existe des effets de non retour en économie. Les autorités ont laissé les choses déraper. Elles n’auraient pas dû lancer ce plan d’envergure en 2009 qui a créé de terribles déséquilibres. Désormais, l’économie chinoise est un véritable paquebot pratiquement impossible à manœuvrer. Les autorités ne savent pas par quel bout prendre les choses et la décélération est en train de leur échapper.

Un danger supplémentaire provient des banques chinoises…

En 2011, 57% des profits globaux ont été dégagés par les banques. Le taux de marge d’intermédiation est de 300 points de base. Plus il y a de prêts, plus les profits sont conséquents. Les profits futurs de ces prêts ne seront pas au rendez-vous. Beaucoup de créances seront non performantes.
Même aux Etats-Unis en 2006, où les banques avaient atteint un poids énorme, la profitabilité issue des banques des entreprises n’a jamais dépassé les 25% du total.
Quand vous construisez une société avec un crédit trop bon marché, et illimité, à un moment la logique de rentabilité s’impose. Or dans de nombreux pans de l’économie les entreprises ne sont pas rentables. Dans le solaire, toutes les entreprises chinoises sont en train de s’effondrer. Elles ont cassé les prix pour gagner des parts de marché, ont tué le système, et sont en train de se tuer elles mêmes.
Résultat des courses, si le chiffre d’affaires est au rendez-vous, ce n’est pas le cas du bénéfice. Et cela s’applique à l’ensemble de l’économie chinoise.

Le ralentissement devrait perdurer…

La croissance en 2013 devrait s’avérer encore plus faible qu’en 2012 en raison de l’accentuation des problèmes en Europe, des coupes des dépenses et hausse des impôts du coté des Etats-Unis.
L’acheteur en dernier recours, vital pour l’économie chinoise, sera donc davantage affaibli.
Ne pensez vous pas que les projets avancés d’une valeur de 1000 milliards de yuans auront un effet ?
Ces projets sont lancés dans une logique incohérente pour tenter de limiter les dégâts. La bouffée d’oxygène sera faible. L’effet de ces projets sera marginal.
Quelle vision avez-vous de l’état du marché actions chinois ? Pourriez-vous nous rappeler l’évolution du marché actions chinois de ces dernières années ?
Le marché a connu une envolée à partir de 2000, un plus haut en octobre 2007. Entre temps les valorisations ont été multipliées par trois ou quatre. Ensuite le marché s’est effondré en 2008. La correction s’est élevée de 80%. C’est un des marchés qui a le plus chuté.

Les épargnants chinois se sont massivement réorientés vers l’immobilier.

Le marché a atteint son point bas au deuxième trimestre 2009, a rebondi 6 mois. Depuis ce point haut, il n’a pas cessé de baisser et a quasiment retrouvé son point bas d’avril 2009.

Habituellement, les marchés émergents accentuent les tendances que connaissent les marchés occidentaux. Cela n’a pas été le cas pour le marché chinois cette fois-ci. Nous avons une déconnexion totale avec les autres grandes places mondiales…
Les profits des entreprises sont fortement étiolés.
Les investisseurs ont conscience qu’une économie dont la croissance passe de 10 à 7,5% officiellement et probablement plus bas, c’est plus grave qu’une économie dont la croissance passe de 2,5% à 0,5%.

Le marché actions est en train de s’ouvrir aux étrangers en raison d’un manque de liquidité…

Cette ouverture ne devrait pas arranger la situation. La méfiance règne. L’essentiel de la capitalisation du marché chinois est composé de sociétés publiques et de sociétés immobilières ou rattachées d’une manière ou d’une autre à l’immobilier. Au-delà des considérations économiques et financières, s’ajoutent des considérations de gouvernance : corruption, falsification des comptes.
Le reste des entreprises chinoises sont prises à la gorge. En témoigne par exemple les sociétés du secteur des télécoms comme ZTW.

Vous ne vous attendez donc pas à une progression de ce marché ?
A court terme, le marché chinois est survendu. Nous pourrions avoir un petit rattrapage. Il sera limité par le fait que le redémarrage de la croissance ne sera pas au rendez-vous.

Jean-Luc Buchalet est l’auteur de deux livres sur la Chine :
-La Chine, une bombe à retardement aux Editions Eyrolles (mai 2012)
-Chine, la face cachée aux Editions Editea (mars 2012)



Propos recueillis par Imen Hazgui