Interview de Patrick Moonen : Stratégiste senior au sein de la société ING Investment Management

Patrick Moonen

Stratégiste senior au sein de la société ING Investment Management

Nous anticipons un rebond du marché actions européen de 10% dans un horizon de 6 à 12 mois

Publié le 05 Novembre 2012

Selon une note récente d’ING IM, les politiques ne font pas suffisamment preuve d’ouverture d’esprit dans le traitement des problèmes auxquels ils font face. Les concepts théoriques doivent être modifiés, les solutions doivent être tournées vers l’avenir et ne pas forcément refléter le passé. Une remise en question des opinions est nécessaire…
Les recettes traditionnelles pour lutter contre la crise actuelle s’avèrent ne pas être suffisants. Mettre les taux courts à 0% n’a pas véritablement aidé les économies à sortir du marasme.
La politique d’austérité forçant des pays à réduire à tout prix leur déficit budgétaire n’a pas fonctionné non plus dès lors que cela a poussé de nombreux pays dans une récession encore plus prononcée. Un cercle vicieux a été créé. Suite au ralentissement économique, le déficit budgétaire s’est creusé malgré les mesures drastiques mises en place.

Les gouvernements ont besoin d’une approche plus innovatrice afin de rompre le cercle vicieux.

Le Fonds monétaire international a formulé certaines idées à ce sujet ?
L’organisation internationale a préconisé d’étaler dans le temps la mise en œuvre des réformes d’austérité nécessaires. Elle a également montré plus de tolérance vis-à-vis de l’inflation et ajusté sa position selon laquelle la liberté des capitaux doit toujours être défendue.

A quels autres changements de conception les autorités politiques doivent consentir pour voir se dessiner une évolution notable ?

Il existe en Europe, de très nombreux déséquilibres. Le plus important réside sans doute dans le fait que les pays du sud affichent une balance courante déficitaire et les pays du nord une balance courante excédentaire.
Pour remédier à ce déséquilibre, il faudrait que les premiers deviennent plus compétitifs et que les seconds perdent en compétitivité de manière à ce qu’il y ait un flux de produits et de services plus significatifs vers les pays du sud.

Le manque pour les pays du nord serait comblé par une hausse de la demande domestique.

Il faudrait aussi plus de solidarité entre les pays de la zone. Là-dessus, la voie vers la création d’une autorité bancaire unique constitue un pas dans la bonne direction ?

Cette union bancaire permettre de renforcer la rupture entre les budgets des gouvernements et l’assainissement du secteur bancaire.
Nous pensions en juillet qu’une solution avait été trouvée dans ce sens. Cependant ces dernières semaines, beaucoup de responsables des pays membres de la zone ont rebroussé chemin.

Croyez-vous les changements possibles ?
Nous percevons un changement de mentalité. L’Allemagne montre une plus grande tolérance vis-à-vis du déficit espagnol et eu égard à la situation financière Grèce. La tendance est vers moins de sévérité, et vers plus de flexibilité. La péninsule hellénique ne reçoit pas de refus catégorique à sa demande d’aide supplémentaire.
Un long chemin reste à parcourir, mais je pense que nous sommes sur la bonne voie.

Vous êtes donc confiants quant à un étalement dans le temps des réformes d’austérité, à l’acceptation d’un niveau plus élevé d’inflation ou encore à l’atténuation du déséquilibre concernant les balances courantes ?
Je suis confiant tout en gardant à l’esprit que l’évolution ne se fera pas du jour en lendemain.

Le changement de comportement de la Banque centrale européenne devrait y aider ?
Le fait que l’institution monétaire ait consenti à lancer un programme de rachat de titres de dette de manière illimitée dans le cas où un nouveau pays ferait appel à une aide auprès du Fonds de secours européen est un grand pas en avant, impensable il y a douze mois.

Une dynamique positive pourrait s’enclencher et se développer entre l’évolution de l’activité de l’économie réelle, les évaluations des agences de notation et l’humeur des marchés financiers. Qu’est ce qui vous fait dire cela ?

Le facteur déclencheur de cette dynamique est la croissance économique. Celle ci découlera justement de l’étalement dans le temps des réformes d’austérité, de l’acceptation d’un niveau plus élevé d’inflation et de l’atténuation du déséquilibre concernant les balances courantes par la stimulation de la demande domestique.
Une fois que la croissance sera au rendez, plusieurs défis actuels seront résolus. Les déficits budgétaires diminueront. Un cycle dynamique positif pourra être enclenché.

Cette dynamique est une raison suffisante qui devrait pousser les investisseurs à privilégier le risque ? Quelle allocation au juste préconiseriez-vous ?
La classe d’actifs qui devrait le plus bénéficier de ce retour de la croissance sera sans conteste la classe actions. Une embellie sur le plan conjoncturel conduire à une diminution de cette prime de risque.

Aujourd’hui la prime de risque en Europe est supérieure à 6,2%. Elle devrait se situer normalement autour de 3,5-4%. Aux Etats-Unis la prime est de 5,4%.

Le différentiel de niveaux est à mon sens lié à l’existence d’un facteur systémique dans la prime de risque en Europe qui n’existe pas dans la prime de risque aux Etats-Unis où seule la composante économique est retenue par les investisseurs.

Une convergence de ces deux primes de risque à hauteur de 1%, en raison de l’affaiblissement de la composante systémique, pourrait profiter grandement aux actions européennes. Un rebond de 10% du marché actions européen pourrait avoir lieu dans un horizon de 6 à 12 mois.

De quelle manière se fera la convergence ?

Nous nous attendons à une baisse de la prime de risque aux Etats-Unis, après que les investisseurs aient été rassurés sur le dénouement des élections présidentielles dans le pays et sur le vote par les membres du Congrès d’un accord visant à réduire le déficit budgétaire.
Ceci étant, nous escomptons une baisse encore plus importante de la prime de risque en Europe.

Mis à part cette baisse de la prime de risque, quels autres catalyseurs entrevoyez-vous pour le rebond du marché actions européen ?
Au-delà d’une amélioration des données macroéconomiques, un autre catalyseur serait relatif aux estimations bénéficiaires. Pour l’instant le trend dans ces estimations est très négatif. Cela devrait évoluer. Cet élément devrait davantage jouer début 2013.

Qu’est ce qui vous laisse anticiper un redémarrage de la croissance économique ?
Le redémarrage du commerce extérieur, en particulier en Asie ainsi que les signaux montrant une stabilisation de l’économie chinoise, notamment les indices PMI. La reprise du marché immobilier aux Etats-Unis. L’indice ISM du secteur manufacturier se situe toujours au dessus de 50, autrement dit dans la phase d’expansion.

Quels secteurs privilégiez- vous dans votre exposition actions ?

Le secteur financier qui devrait tirer profit de l’affaiblissement de la composante systémique de la prime de risque et les secteurs cycliques qui devraient bénéficier du retour à la croissance.
Au niveau géographique, nous privilégions les sociétés européennes qui ont une activité non négligeable aux Etats-Unis.

Peut-on supposer que les actions des entreprises domiciliées dans les pays périphériques seront les plus intéressantes à jouer ?
Dans une optique de six à douze mois. A court terme, des incertitudes politiques pèsent encore sur l’Italie et sur l’Espagne.
Les actions allemandes devraient demeurer les actions présentant le moins de risque d’ici là.
Pour ce qui est des actions françaises, il est difficile de donner une opinion générale. Il sera essentiel de procéder secteur par secteur, entreprise par entreprise.

Vous êtes plus prudents s’agissant d’un positionnement sur les obligations d’entreprises ?
Les écarts entre les spreads des obligations d’entreprises et des obligations souveraines se sont beaucoup réduits ces derniers mois. Aussi, je suis moins positif sur cette classe d’actifs.

Propos recueillis par Imen Hazgui