Interview de Laurent  Geronimi : Directeur de la gestion Taux chez Swiss Life Gestion Privée

Laurent Geronimi

Directeur de la gestion Taux chez Swiss Life Gestion Privée

Parmi les principaux acteurs attendus sur le marché des obligations risquées en 2013 : Fiat, Banque PSA, Lafarge, ArcelorMittal , Air France, Europcar

Publié le 10 Décembre 2012

Quel regard portez-vous sur l’essor du marché des obligations d’entreprises risquées, dites encore obligations high yield (à haut rendement) ?
Cet univers ne cesse de se développer. En 2004, 15.2 milliards de dollars ont été émis sur ce marché, en 2005 14.5 milliards de dollars, en 2006 29.2 milliards de dollars, en 2007 25.5 milliards de dollars, rien en 2008, en 2009 26.6 milliards de dollars, en 2010 41.9 milliards de dollars, en 2011 30.6 milliards de dollars, et en 2012 29 milliards.

A quel volume d’émission vous attendez-vous en 2013 ?

On s'attend entre 30 et 35 milliards d'euros d'émission en 2013.

Qui seront selon vous les principaux acteurs de ce marché ?
Ce seront essentiellement des entreprises récemment dégradées dans cette catégorie « des anges déchus ». Dans le secteur automobile, Fiat est un émetteur fréquent. Le constructeur Peugeot n'a pas encore émis avec son nouveau rating « high yield », mais devrait y venir. La note du constructeur a été dégradée à BB. La filiale Banque PSA a l'habitude de se refinancer sur le marché financier. A ce jour Banque PSA est BBB- sous surveillance négative. Il serait possible qu'une dégradation plus prononcée de la maison mère en raison des mauvaises perspectives du secteur automobile entraîne la dégradation en high yield de Banque PSA. Or cette société bénéficie d’une garantie de l'Etat français à hauteur de 7 milliards d'euros. Grâce à ce nantissement, Banque PSA pourrait se refinancer relativement confortablement sur le marché.
Lafarge, Rallye, ArcelorMittal devraient également émettre sur le marché. Air France (non notée mais dont le rating estimé est BB+) vient d’émettre 500 M€ pour une demande de plus de 3Md€. Dans une logique de refinancement, Europcar ou des valeurs du secteur du TMT comme ProSieben.

Comment expliquez-vous l’engouement des investisseurs pour cette classe d’actifs ?

Les difficultés rencontrées par les banques pour accorder du crédit dans le cadre de leur nouvelle réglementation ont conduit les entreprises à rechercher des financements sur les marchés financiers. Parallèlement, la faiblesse des taux de rendement des emprunts souverains ont amené les investisseurs à s’intéresser à d’autres types de placements dans le cadre de leur gestion actif-passif et/ou d’opportunité de placement rendement / risque. Au final, une dynamique de marché s’est créée à l’identique de ce qui existe aux Etats-Unis. Le marché européen du high yield croit à présent à sa vitesse de croisière.

Peut-on parler d’une démocratisation de cette classe d’actifs jusque-là essentiellement regardée par les investisseurs avertis ? 

Il me semble. Cette démocratisation est la conséquence de plusieurs éléments. En premier lieu, le terme de HY ne fait plus peur car il regroupe des émetteurs de premier plan fleurons ou anciens fleurons du Cac 40 tels que Air France, Peugeot ou Lafarge. Il n'a plus cette image de petites entreprises qui n'ont pas d'histoire ni d'historique.
Ensuite, la connaissance du HY a été largement véhiculée par la commercialisation des fonds à échéance, des fonds obligataires bloqués qui donnent un rendement à la fin de la période de souscription et par la commercialisation des fonds d’obligations convertibles (qui représentent 40% de l’univers du HY).
Depuis août 2009 l’indice SG Quality Income et le Iboxx High Yield Corporate Bonds ont des performances comparables de l’ordre de 60%. Cependant, les obligations HY affichent un ratio de Sharpe (mesure de la performance ajustée du risque) de 1.15 contre 0.15 pour les actions. Les actions ont plus de volatilité que les obligations HY.

Quelle évolution des spreads escomptez-vous l’année prochaine ?
Nous n’attendons ni de choc violent ni un optimisme démesuré. Une variation de 100 points de base parait probable.
Dans notre scénario central, dont la probabilité de concrétisation est de 70%, nous devrions rester dans une croissance faible en zone euro, un rebond de l’activité aux Etats-Unis au cours du second semestre soutenu par la reprise de l’immobilier et le QE3. Une croissance plus nette sur les émergents dont la Chine au premier semestre.
Un accord politique interviendra sur le Fiscal Cliff. La BCE devrait abaisser son taux directeur de 0.25 % en janvier. Il sera alors à 0,50%. L’Espagne devrait demander officiellement de l’aide et déclencher le programme OMT/MES. Les taux longs devraient demeurer bas, même si une remontée modérée des taux longs allemand et américain sur la fin 2013 peut être envisagée.

Quid de votre scénario pessimiste et optimiste ?
Dans notre pire scénario auquel nous accordons une probabilité de réalisation de 15%, nous pourrions avoir une instabilité politique aux Etats-Unis avec l’absence d’ accord en ce qui concerne la définition de la politique budgétaire. L’économie américaine repasserait ainsi en récession. Nous pourrions aussi avoir un atterrissage brutal de l’économie chinoise qui n’aurait pas su gérer sa politique monétaire ou un éclatement de la zone euro.
Dans notre scénario optimiste qui a seulement 15% de chances de se concrétiser, nous aurions un retour plus rapide de la confiance aux Etats-Unis, une politique monétaire agressive en Chine qui dynamiserait l’économie, et une résolution plus rapide de la crise de la dette de la zone euro.

Sur quel taux de défaut tablez-vous ?

Autant il est certain que le taux de défaut sera bien plus important sur les petites entreprises et que les nouveaux arrivants sur le marché du HY présentent une probabilité de taux de défaut plus faible pour les capitalisations boursières significatives telles que Peugeot, si ce n’est nul, autant il est difficile de donner un taux de défaut pour l’ensemble du compartiment.

Nous ne sommes pas inquiets à ce sujet. Les entreprises ont une trésorerie excédentaire. Le ratio courant qui rend compte de la part de trésorerie qui couvre la dette à moins d’un an, est au-dessus de 1.5. Nous n’observons pas beaucoup de société à court de liquidité.

Suite à la dégradation des agences de notation, d’aucuns s’attendent à ce que 25 milliards d’euros de titres intègrent le marché du HY l’année prochaine. Qu’en pensez-vous ?
Cette évaluation ne me semble pas choquante quand on la met en parallèle avec le volume d’émission possible en 2013. La situation économique est tendue mais les indicateurs avancés commencent à montrer des signaux de rebond. Les chiffres d’affaires sont en baisse même si les bilans restent solides en raison des mesures drastiques prises en termes d’économies de coûts.
Les sociétés dont l’activité dépendait des politiques budgétaires ont connu une baisse significative du chiffre d’affaires, par exemple les sociétés de construction, de même que les sociétés qui ont bénéficié d’aides de l’Etat comme la prime à la casse dans le secteur automobile.

Qu’envisagez-vous sur le plan de la performance ?
Si l’on considère le Markit Itraxx CrossOver à 5 ans, un resserrement de spread de 500 à 400 bp, avec une sensibilité de 3,5-4 rapporte 3-4%. Si l’on ajoute le coupon de 5%, cela fait du 8-9%.

Croyez- vous que 2013 sera davantage une année de portage et une année d’alpha ?
Absolument. Il va falloir être sélectif. Certaines sociétés sont plus en difficulté que d’autres. Nous restons très prudents. Nous nous sommes positionnés sur les sociétés qui ont été dégradées par les agences de notation et qui revêtent une importance stratégique nationale : Peugeot, Renault, Air France, Lafarge, Nokia, HeidelbergerCement. Ces sociétés ont un poids sociologique en termes d’emplois, un poids technologique (reposant sur plusieurs générations d’ingénieurs). Elles sont bien relativement bien notées, BB et évoluent dans des segments qui devraient être portés par une embellie sur le front macroéconomique.

Quels sont les critères quantitatifs que vous considérez tout particulièrement ?
Nous considérons des PE inférieurs à 30, des price to book inférieurs à 0,66, des ratios courants supérieurs à 2, des bénéfices positifs et une couverture des charges financières par l’EBITDA supérieure à 2.5. Nous nous intéressons aux sociétés émettrices qui ont un volume d’émission de 300 millions d’euros minimum. Nous n’investissons que dans les obligations d‘entreprises cotées.

De quelle manière considérez-vous la problématique liée aux LBO ?
Je ne pense pas que la problématique soit derrière nous. Beaucoup de risques sont associés à ces LBO. Il y a lieu de miser sur les sociétés qui présentent des fondamentaux les plus solides comme Picard.
Certains fonds LBO qui émettent sur le marché présentent une instabilité dans leur capacité à générer du bénéfice. Ces sociétés ne sont pas attractives.
D’autres LBO rencontrent des problèmes liés à leur financement. J’en veux pour preuve ce qui s’est passé avec les Pages jaunes qui est un LBO. Bien que générant historiquement une marge brut opérationnelle d’environ 40% et en coupant les dividendes, la société a demandé aux porteurs d’obligations de voter la possibilité d’avoir un mandataire ad hoc afin de renégocier l’intégralité des financements et des lignes bancaires ce qui lui a couté une forte chute de son cours de bourse et un élargissement du spread de son obligation HY échéance 2018.

Que voulez-vous dire ?
Des lignes de crédit sont octroyées aux LBO. Face à une chute de l’activité, les banques réclament des intérêts plus importants et pénalisent davantage l’entreprise. Beaucoup de sociétés cherchent à être en position de force pour pouvoir renégocier face aux banques.

Quelle part représentent les LBO sur le marché du HY ?
Il est compliqué de le savoir avec exactitude. Nous trouvons dans le financement des LBO de la dette bancaire avec effet de levier, des produits structurés…

Quelle est votre stratégie d’investissement actuel sur cette classe d’actifs ?

Notre stratégie est plutôt d’aller sur du HY européen et américain. Nous sommes dans une logique vertueuse pour le HY américain en raison du processus de désendettement et l’amélioration de la solvabilité bancaire.

2013 sera-t-elle l’année du HY ?
Ce sera une bonne année. Dans le cas où les spreads venaient à passer de 500 à 600 bp, cela ira de pair avec une correction sur les actions (corrélation à hauteur de 50%). Cependant, l’investisseur récupèrera en portage ce qu’il aura perdu consécutivement à l’écartement des spreads.

La dégradation de l’Espagne en HY pourrait constituer une source d’opportunité supplémentaire pour cette classe d’actifs ?
Si l’Espagne demande de l’aide au MES, la dégradation de la note de l’Espagne pourrait conduire à une dégradation des sociétés de grande capitalisation espagnoles (Iberdrola, Gas Natural, Repsol…) ce qui constituerait une source d’opportunité supplémentaire pour rentrer sur le marché du HY en rajoutant de la profondeur de marché compte tenu de la taille des émissions obligataires des « anges déchus » .

Propos recueillis par Imen Hazgui