Interview de Michel Santi : Economiste indépendant, consultant de Banques centrales et d'Organisations internationales, auteur du livre «Splendeurs et misères du libéralisme»

Michel Santi

Economiste indépendant, consultant de Banques centrales et d'Organisations internationales, auteur du livre «Splendeurs et misères du libéralisme»

Zone euro : une stratégie machiavélique de la part de l'Allemagne n'est pas à exclure

Publié le 03 Janvier 2013

Deux ingrédients sont nécessaires à la zone euro pour sortir du marasme dans lequel elle est embourbée depuis plusieurs années : cesser les politiques d’austérité et donner à la BCE le rôle de prêteur en dernier ressort…
Ce n’est pas sans raison que de nombreux économistes réfutent les cures d’amaigrissement suivies par les Etats membres de la zone euro. Cette cure mène à la déflation. Au fur et à mesure que les dépenses publiques sont réduites et que la fiscalité est rehaussée, la population perd en pouvoir d’achat, et a moins vocation à consommer. Une récession apparait et un risque de déflation nait.
Selon un éminent économiste, Irving Fisher, en période de déflation, plus un pays fait des efforts pour rembourser sa dette et plus il doit emprunter des fonds pour le faire. C’est le cas typique de la Grèce.

La fin des politiques austères est prônée depuis longtemps par de nombreux organismes économiques, y compris le FMI. Cependant les Etats ne semblent pas du tout réceptifs à ce message. Pensez-vous qu’il faille attendre que ces Etats soient dos au mur pour voir la donne changer ?
En réalité il y a déjà des Etats membres qui sont dos au mur mais ce ne sont pas les bons Etats. La Grèce, l’Espagne, l’Italie souffrent clairement des mesures d’austérité prises par les gouvernements respectifs. Ils ont la tête sous l’eau. Cependant ces pays ne sont pas décideurs.
Il faudrait que l’Allemagne, qui est sans conteste, le pays le plus puissant d’Europe sente le chaud pour percevoir un changement. Ce n’est pas encore le cas car le moteur des exportations continue de fonctionner.

Vous pensez donc que seule la dégradation de la situation économique allemande pourra conduire a une modification des politiques économiques déployées par les Etats membres de la zone ?

C’est possible.
Au demeurant, un fléchissement de l’attitude de l’Allemagne pourrait également être observé sous une pression exercée par les marchés financiers sur les pays périphériques.
Le talon d’Achille de l’Allemagne réside dans son secteur bancaire. La principale raison pour laquelle le pays d’Angela Merkel a continué à soutenir la Grèce et l’Espagne c’est parce que les banques allemandes sont fortement exposées à ces deux pays. En cas de dérapage, les avoirs détenus par les établissements bancaires allemands pourraient connaitre une dévalorisation gigantesque et entrainer une fragilisation extrême.

Un autre levier existe aujourd’hui pour mettre un frein aux politiques d’austérité des Etats : la rébellion populaire. La continuation des politiques d’austérité va figer le peu qui reste de l’activité économique dans les pays périphériques. Le chômage a vocation à augmenter et la population à souffrir davantage.

La zone euro ne pourra pas s’en sortir tant qu’elle n’aura pas, par ailleurs, donné à la BCE le rôle de prêteur en dernier ressort…
Ce rôle va de pair avec la fin des politiques d’austérité menées par les Etat. A ce jour, le motif premier pour lequel ces politiques sont poursuivies réside dans la pression exercée par les marchés financiers.
Le fait de donner à la BCE le pouvoir de prêter en dernier ressort retirerait cette pression. Si la mission politique d’une banque centrale est de lutter contre l’inflation, son devoir fondamental est de se porter prêteuse en dernier ressort.

L’idée n’est pas de faire en sorte que la BCE soutienne de manière illimitée et inconditionnelle les pays membres en difficulté, l’idée est d’assurer l’intervention de la BCE dans le cas d’une crise de solvabilité, en cas de risque de défaut de paiement d’un Etat.
Si la BCE jouait réellement un rôle de prêteur en dernier ressort, comme elle devrait le faire, l’’intensité de la crise européenne baisserait d’un ou de deux crans. Le gouverneur actuel de la BCE, Mario Draghi, a pleinement conscience de cet enjeu. Il est cependant pieds et mains liés par l’Allemagne. Celle ci refuse catégoriquement que la BCE n’assume ce rôle de garant des dettes des pays périphériques.

Des pas allant vers la bonne direction ont été faits, en particulier par le lancement des opérations OMT consistant à racheter sous conditions les titres de dette à court terme des Etats en proie à des tensions afin de réduire leur cout de refinancement sur les marchés...

Ces pas ne sont pas suffisants. Au moindre retour en force de la crise, cette mesure aura un effet amortisseur limité.

Selon vous, une stratégie machiavélique de la part de l’Allemagne n’est pas à exclure ?
Dans le cas où les déboires de la zone euro venaient à s’aggraver, le cours de la monnaie unique viendrait à décliner, et les exportations seraient amenées à être stimulées, en particulier vers l’étranger (les Etats-Unis, l’Asie). L’Allemagne serait alors gagnante sur les deux tableaux : l’austérité et le commerce international.
En 2011, UBS a tenté d’estimer ce que cela couterait à l’Allemagne de sortir de la zone euro et ce que cela lui couterait de rester dans la zone euro mais en payant une partie de la dette des pays périphériques. Le scénario de sortie de la zone euro serait quatre à cinq fois plus couteux. La valeur du deutsche mark serait tellement élevée qu’elle handicaperait lourdement les exportations des entreprises allemandes.

Si l’on considère cette supposition comme exacte, il n’y aurait pas de fléchissement de position de la part de l’Allemagne à anticiper cette année ?

A moins qu’Angela Merkel ne perde les élections cet automne et qu’une autre coalition plus euro partisante ne vienne au pouvoir. Cependant, même là, les responsables politiques rechercheront avant tout l’intérêt de l’Allemagne.

A partir de cette hypothèse, vous ne tablez pas sur une fin des politiques austères des Etats ni sur une plus grande implication de la Banque centrale européenne en 2013 ?

Je ne vois pas d’amplification du rôle de la BCE tant que la structure de la zone euro n’aura pas été modifiée. Une plus importante injection de liquidité dans le système par la BCE signifierait implicitement une mutualisation des dettes européennes. Cela est inconcevable pour l’Allemagne tant que l’équilibre budgétaire n’est pas atteint dans tous les pays membres.

Propos recueillis par Imen Hazgui