Interview de Ralph Bruneau : Directeur de la gestion actions chez OFI Asset Management

Ralph Bruneau

Directeur de la gestion actions chez OFI Asset Management

Actions européennes : le principal risque est celui d'une guerre des devises qui peut amener à euro trop fort

Publié le 28 Janvier 2013

Quel est votre sentiment eu égard au rallye qu’ont connu les actions européennes depuis l’été 2012 ?
Nous portons un regard confiant sur ce rebond.
Nous avons eu en 2012 un niveau de stress important qui s’est traduit par des valorisations basses.
Cependant, parallèlement, la situation des entreprises est restée bonne.
La crise a été financière, macroéconomique, mais beaucoup moins microéconomique.

Qu’est ce qui vous fait dire cela ?
Les bilans des entreprises européennes sont plus solides qu’ils ne l’étaient il y a cinq ans, au début de la crise. L’ajustement (par rationalisation, restructuration) amorcé en 2009 a été drastique.
Le ratio dette financière nette sur fonds propres des entreprises européennes représentatives de la cote, hors sociétés financières et sociétés énergétiques, était de 62% en 2007, en haut de cycle. Il est passé à 67% en 2009, en bas de cycle. Il est à présent à 54%.

Vous attendiez-vous à l’ampleur du mouvement ? La performance enregistrée est de plus de 25% en l’espace de 6 mois ?

Nous savions que le marché recouvrait un potentiel de rebond significatif à horizon deux à trois ans. Nous n’avons évidemment pas été en mesure de prévoir exactement le calendrier de la hausse car celui-ci a reposé avant tout sur des considérations d’ordre psychologique et non d’ordre fondamental.
Les investisseurs ont été fortement rassurés par les différentes déclarations et annonces du président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi.

Certains n’hésitent pas à pointer du doigt le décalage entre l’embellie sur les marchés financiers et la morosité affichée par la conjoncture économique et vont jusqu’à parler d’euphorie ?
Même si le consensus table sur une poursuite du rallye, on ne peut pas parler d’euphorie. Les volumes de transactions sont encore relativement faibles.
La hausse jusque là enregistrée s’explique davantage par l’absence de vendeurs que par le retour d’acheteurs, ce qui est normal.

Vous attendez-vous à une consolidation ?
Je m’attends effectivement à une consolidation. Il est néanmoins difficile de dire de quelle ampleur elle sera.
A court terme, le marché manque de carburant. Pour que la hausse continue il faudra des catalyseurs.

Lesquels ?

Un de ces catalyseurs pourrait résider dans l’inflexion des résultats des entreprises.
Les investisseurs attendent la fin de la période des résultats pour mieux anticiper les perspectives pour 2013 et commencer à anticiper sur l’évolution de la situation en 2014.
La fin de la publication de ces résultats devrait permettre d’enclencher une nouvelle période de hausse des actions.

Selon vous, il n’y a pas besoin que les investisseurs constatent une révision à la hausse des estimations de bénéfices…
Il suffirait qu’ils observent un alignement de ces bénéfices avec les estimations avancées par les analystes.
Cet alignement, combiné à la faiblesse des valorisations, conduira les investisseurs à se porter davantage acquéreurs.
Un marché actions sur long terme se paie environ 15 fois. Nous sommes actuellement à environ 12 fois.

L’arbitrage avec les autres classes d’actifs constitue un autre argument favorable aux actions européennes. Le marché des actions européennes assure un rendement de 4%, supérieur à celui délivré des obligations souveraines et des obligations des entreprises de bonne qualité.

Pensez- vous que le marché des actions européennes renferme le potentiel de progression le plus significatif ?

Pour un investisseur international, l’Europe est un marché périphérique. Si la baisse de l’aversion pour le risque se poursuit, ce qui est périphérique devrait mieux se comporter que ce qui est central, comme le marché américain.
Le marché européen se valorise 30% en dessous de son dernier pic de 2007 alors que le marché américain se situe 5% au dessus. Un phénomène de rattrapage est attendu.

Quel potentiel escomptez-vous ?
Le simple retour des actions européennes justifierait un rebond de 20-25%, toutes choses égales par ailleurs.
SI l’on tient compte du fait qu’il devrait y avoir quelques révisions en baisse des bénéfices, ce potentiel passe à 15%.

Quels sont les principaux risques que vous surveillez ?
Le principal risque que j’entrevois est celui d’une guerre des devises qui peut amener à euro trop fort.
Les tensions au sein de la zone euro pourraient aussi revenir. De nombreux problèmes n’ont pas encore été réglés. La Grèce n’a pas encore fait défaut. Des élections doivent avoir lieu en Italie et en Allemagne. Le risque social n’est pas négligeable.
Enfin, si la reprise américaine semble bien enclenchée, la reprise chinoise semble encore fragile car elle repose abondamment sur des investissements publics.

Que voulez-vous dire par guerre des devises ?
Les massives injections de liquidité notamment par la Fed, les récents propos du gouverneur de la Banque centrale du Japon témoignent d’une réelle volonté d’assouplir le cours du dollar et du yen.
La Banque centrale ayant une politique moins agressive, l’euro pourrait sortir perdant de cette guerre. Les sociétés européennes pourraient être grandement mises à mal.
La baisse des coûts salariaux ne suffira alors pas à compenser l’appréciation de la monnaie unique.

Les opérations capitalistiques devraient-elles rythmer le marché cette année ?
Les entreprises ont les moyens de procéder à ces opérations. Elles n’ont toutefois pas forcément l’envie de le faire. Il est compliqué de dire ce qu’il en sera.

En quoi consiste votre stratégie d’investissement ?

Sur le plan géographique, les marchés d’Europe du sud seront à privilégier au fur et à mesure que l’appétit pour le risque reviendra.
Sur le plan sectoriel, le secteur bancaire n’a pas dit son dernier mot même s’il a été un des moteurs du mouvement haussier de 2012. Il est loin de ses plus hauts historiques.
La prudence est de mise s’agissant du secteur de télécoms et du secteur des services aux collectivités qui souffrent d’une guerre des prix, d’un endettement, et qui sont exposées aux conséquences fiscales de politiques budgétaires.
Les entreprises internationalisées devraient continuer à être convoitées. Les plus défensives d’entre elles ayant connu un parcours boursier impressionnant, il convient d’aller vers les titres plus cycliques avec des bilans moins solides pour tirer profit de revalorisations plus intéressantes.
Certaines valeurs domestiques seront aussi à regarder de près, principalement celles qui ont un fort contenu de main d’œuvre sachant que le coût de travail a vocation à continuer à refluer.

Les entreprises du travail temporaire et les entreprises de construction pourraient aussi constituer de bons positionnements.

Propos recueillis par Imen Hazgui