Interview de Philippe Marini : Sénateur de l'Oise, président de la commission des Finances

Philippe Marini

Sénateur de l'Oise, président de la commission des Finances

L'optimisation fiscale ne doit pas être confondue avec l'évasion fiscale et encore moins avec la fraude

Publié le 05 Juillet 2013

Vous avez déposé hier une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales des entreprises multinationales. Quelles pratiques visez-vous en particulier ?

L’évasion et la fraude fiscales sont protéiformes : les schémas et opérations utilisés varient selon les secteurs économiques concernés. Pour autant, j’ai pu constater l’existence de certaines pratiques récurrentes parmi les entreprises multinationales.

La première d’entre-elles consiste à « contourner » la notion d’établissement stable. Dans un contexte fortement marqué par le développement des services – notamment dans le domaine de l’Internet – le critère « des machines et des hommes » ne suffit plus à qualifier un établissement stable. Dès lors, face à des entreprises qui adaptent sans cesse leur structure juridique et leur organisation, l’administration peine à démontrer l’indépendance de l’activité ou l’existence d’un cycle commercial complet, qui permettraient l’imposition du bénéfice réalisé en France. En outre, les prix de transfert et la restructuration d’entreprises constituent des leviers majeurs d’optimisation fiscale. Certains groupes transfèrent des fonctions, des risques ou des actifs stratégiques dans des États à faible taux d’imposition, laissant en France des sociétés aux fonctions moins rémunératrices.

Face à de tels procédés, l’administration dispose de l’article 57 du code général des impôts, qui prévoit que les prix pratiqués entre entreprises d’un même groupe doivent être identiques à ceux opérés avec une entreprise indépendante. Cependant, la concentration accrue des entreprises rend plus difficile la comparaison des prix exercés au sein d’un même groupe avec ceux pratiqués entre des entreprises indépendantes. Ensuite, les flux commerciaux portent de moins en moins sur des marchandises, mais concernent principalement des actifs incorporels qui sont facilement délocalisables tout en étant difficiles à évaluer par l’administration.

L’objectif est-il de rapatrier des recettes fiscales (si oui combien ?) ou de  rétablir une concurrence « non faussée » entre grandes entreprises et PME?

Il est vrai que mon approche de l’évasion et de la fraude fiscales poursuit une double logique. Ma préoccupation première est, en effet, d’endiguer l’érosion des bases fiscales qui menace la pérennité des recettes publiques.

A cette fin, je propose de renforcer les moyens juridiques dont dispose l’administration fiscale pour lutter contre les pratiques abusives. Le montant exact de l’évasion et de la fraude fiscales étant difficile à déterminer, il ne m’est pas possible de préciser le niveau des recouvrements que permettraient les dispositifs que je propose. Je note néanmoins que les recouvrements opérés en 2010 au titre des transferts anormaux de bénéfices ont atteint 1,4 milliard d’euros.

Enfin, je suis profondément attaché à la neutralité de l’impôt – gage du consentement à l’impôt – qui repose, selon moi, sur le principe « à activité comparable, imposition égale ». Dès lors, lutter contre les pratiques abusives – notamment des entreprises multinationales – constitue le gage que chacun apporte une contribution équitable aux recettes fiscales, ce qui permettrait de faire cesser des situations de concurrence déloyale.

Pouvez-vous préciser en quoi consiste la présomption simple de transfert anormal de bénéfices ? Cela ne crée-t-il pas une insécurité juridique pour les multinationales ?

L’application de l’article 57 du code général des impôts requiert, aujourd’hui, que l’administration fasse la preuve que l’entreprise a indûment consenti des avantages à des sociétés établies hors de France afin de les réintégrer à ses bénéfices imposables. Or, comme je l’ai indiqué, apporter cette preuve est devenu plus difficile pour l’administration.

C’est la raison pour laquelle j’ai estimé qu’il pouvait être utile d’instituer une présomption simple de transfert anormal de bénéfices dans certaines situations « à risque », par exemple lorsqu’il y a restructuration d’entreprise. Aussi les rémunérations versées à des entités du même groupe situées à l’étranger au titre des fonctions transférées seraient-elles présumées imposables en France.
On se bornerait à renverser la charge de la preuve. L’entreprise garderait la possibilité de démontrer que cette renonciation à certaines fonctions est normale, dans la mesure où ce transfert aurait donné lieu à une contrepartie financière équivalente à celle qu’exigerait une entreprise indépendante pour accepter de perdre, de manière définitive, une source potentielle de bénéfices.
Le dispositif proposé ne vise que les situations à risque et, me semble-t-il, les groupes ayant apporté une contrepartie financière suffisante à un transfert de fonction ou d’actif seraient nécessairement en mesure d’en apporter la preuve. Il ne me paraît donc pas créer une insécurité juridique préjudiciable aux multinationales.

Faut-il condamner l’« optimisation fiscale » ?

Par définition, l’optimisation fiscale est légale. C’est pourquoi, elle ne doit pas être confondue avec l’évasion fiscale et encore moins avec la fraude. Il est, en effet, rationnel de souhaiter réduire son imposition, et ce d’autant plus lorsque la loi le permet ! Ma démarche, dans le cadre de cette proposition de loi, consiste à lutter contre les pratiques abusives et non contre l’optimisation fiscale.

Je considère néanmoins qu’il est nécessaire de mettre fin aux zones de non-taxation qui subsistent dans notre système fiscal. Dans le cadre de mes travaux sur la fiscalité de l’économie numérique, j’ai pu montrer mon attachement à ce que les bénéfices des grands acteurs de l’Internet soient intégrés au champ des impositions de droit commun. Il ne s’agit aucunement de mettre à l’index des pratiques d’optimisation qui sont, du point de vue des sociétés concernées, compréhensibles, mais de créer les conditions juridiques pour les encadrer.

Propos recueillis par François Schott