Interview de Patrick  Moonen  : Stratégiste au sein d'ING Investment Management

Patrick Moonen

Stratégiste au sein d'ING Investment Management

Nous sommes très positifs sur les actions pour les prochains mois

Publié le 06 Août 2013

Quel regard portez-vous sur la position affichée par la Réserve fédérale américaine (Fed) concernant le changement d’orientation de sa politique monétaire ?
Le consensus table sur un début de réduction du programme d’achats massifs de la Fed à partir de septembre. Je pense que cela est effectivement plausible.
Le changement de politique sera fonction de l’évolution de la toile de fond macroéconomique aux Etats-Unis. Si la croissance américaine est plus robuste, la Fed sera confortée dans sa volonté de réduire son programme d’achats. Si en revanche, un essoufflement est constaté, la Banque centrale n’hésitera pas, si ce n’est à augmenter, du moins à maintenir son programme.

Nous ne devrions pas connaitre de mouvement de correction sur les marchés d’une amplitude comparable à celui que nous avons connu en mai et juin ?

En mai, les investisseurs ont été quelque peu pris par surprise. La question d’une normalisation de la politique de la Fed était dans les esprits mais l’on ne pensait pas qu’elle se poserait aussi tôt. A présent, ces mêmes investisseurs sont beaucoup plus avertis sur le sujet.
Le début d’une réduction du programme d’achats n’est pas comparable à un début de cycle de remontée des taux courts. Nous n’attendons pas de hausse des taux outre-Atlantique avant le deuxième semestre 2014 au plus tôt. Ce fait a été particulièrement mis en évidence lors des dernières interventions du gouverneur de la Fed, Ben Bernanke.
Enfin, si la Fed envisage une normalisation de sa politique monétaire, les autres grandes banques centrales dans le monde -Banque centrale du Japon, Banque centrale européenne, Banque centrale d’Angleterre- entendent rester extrêmement accommodante. Il y aura donc un assèchement du marché mais il ne sera pas brutal.

Le rythme de réduction du programme d’achats massifs des titres importe-t-il selon vous ?
Nous pensons que le montant du programme pourrait dans un premier temps passer de 85 milliards de dollars tous les mois à 65 milliards de dollars. Ce chiffre est assez consensuel. La suite des évènements dépendra étroitement du rétablissement de la santé de l’économie américaine.
Le montant de départ annoncé par la Fed n’est pas tellement important entre 60, 70, ou 50 milliards de dollars. Ce qui sera le plus significatif pour le marché, sera la tendance.

Il y a lieu de faire une distinction entre les types de classes d’actifs ?

Les actions devraient continuer à bien performer. L’impact négatif du resserrement devrait être plus que compensé par l’impact positif de la croissance économique et de la progression des bénéfices. De plus, les valorisations des actions par rapport aux autres classes d’actifs demeurent attractives.

Sur le marché obligataire, les taux longs sont proches de leur niveau plancher aux Etats-Unis et en Europe. Une normalisation de la politique monétaire de la Fed, combinée à une meilleure dynamique économique américaine, devraient assurément conduire à des taux longs plus élevés.
Cependant la hausse devrait être modérée, à 3% maximum, en raison de forces structurelles : la démographie-il y aura toujours une préférence de la part des investisseurs les plus âgés pour des gains de revenus plutôt que des gains de capital- ; la régulation financière qui incitent les grands investisseurs institutionnels-les banques, les compagnies d’assurance, les fonds de pension-à se porter davantage acquéreurs d’obligations que d’actions ; et le processus d’endettement dans lequel nous nous situons au niveau mondial.

Peut-on penser comme certains le disent que le débat autour du changement de politique de la Fed est un faut débat concernant les actifs risqués comme les actions, puisque ces dernières performeront que la Banque maintiennent ou pas sa perfusion ?
Je ne pense pas que cela soit le cas. Pour que les actions américaines continuent à performer, considérant le niveau de valorisation, il faut absolument une hausse de la croissance bénéficiaire. Si la Fed conserve un statu quo s’agissant de sa politique en raison d’un ralentissement économique, nous pouvons craindre une correction des actions. La mise à mal des actions américaines pourrait avoir un effet de contagion sur les autres actions internationales.

Qu’attendez-vous de la part de la BCE et de la BoE ?

Celles-ci ont déjà indiqué qu’elles resteront accommodantes sur le front des taux directeurs. Je pense qu’elles s’efforceront à jouer de plus en plus la carte de la transparence pour mieux guider les attentes des marchés par rapport à la politique monétaire future. Cela pourrait avoir une retombée positive sur la prime d’incertitude inhérente au marché obligataire européen.

La pression sur les deux banques centrales à agir de manière agressive a fortement diminué eu égard aux dernières statistiques économiques qui sont relativement bonnes. Ainsi, nous n’attendons pas de baisse des taux (sauf si les taux réels montent trop vite), notamment du taux de rémunération des dépôts à un niveau négatif pour la BCE, ni une augmentation du programme de rachat d’actifs par la BoE.
Si des mesures devaient être prises au sein de la zone euro, elles seraient destinées à rétablir le mécanisme de transmission de la politique monétaire pour rendre plus facile l’accès des entreprises des pays périphériques au crédit, comme un assouplissement des règles de collatéral, un rachat d’emprunts auprès des banques.

Avec la ligne directrice, nous avons selon vous assisté à un début de changement de comportement structurel de la BCE...
Par la ligne directrice, le président de la BCE, Mario Draghi n’a pas révélé une information très nouvelle ou décisive. Compte tenu la macroéconomie dans la zone euro, le marché anticipait de toute façon un maintien des taux directeurs à un niveau bas.
Cette ligne directrice marque cependant un début de changement plus important dans la politique de communication de l’institution. Celle ci devrait se rapprocher de celle de la Fed. Mario Draghi, l’a clairement signifié lors de sa dernière conférence de presse à la suite de la réunion mensuelle du Conseil des gouverneurs. Néanmoins la ligne directrice devrait être moins explicite qu’aux Etats-Unis.

Quid de la Banque centrale du Japon et de la Banque centrale de Chine ?

Au Japon, la Banque centrale devrait garder le cap de la politique intensive lancée en avril tant que l’objectif d’une inflation de 2% n’est pas atteint. Celle ci devrait amener à une dépréciation continue du yen par rapport aux autres devises ce qui est un élément de soutien pour le secteur exportateur japonais. Après avoir remporté les élections au sein de la Chambre haute du Parlement, le premier ministre va être en mesure d’accélérer l’implémentation des réformes structurelles-sur le marché du travail, sur la fiscalité des sociétés, sur la TVA, sur le nucléaire…- nécessaires pour accompagner la politique monétaire ambitieuse.
Etant donné les signes de dégradation de l’économie chinoise, nous pensons que les autorités interviendront pour arrêter le ralentissement. Ceci étant, la Banque centrale de Chine se trouve dans une position inconfortable. D’un coté elle devrait assouplir sa politique pour aider la croissance à court terme. D’un autre côté, elle veut limiter la création du crédit pour résorber les déséquilibres à plus long terme. Il est compliqué de dire lequel des deux impératifs va l’emporter, sachant qu’ils s’inscrivent dans un horizon temporel différent.

A partir de l’ensemble de ces considérations, qu’en est-il de votre stratégie d’investissement du moment ?
Nous sommes très positifs sur les actions. Nous avons une préférence pour le Japon et l’Europe. Nous restons très prudents sur les actions émergentes.
Nous sommes sous pondérés sur les obligations d’Etat. Au sein des autres obligations nous préférons le high yield au détriment des marchés émergents.
Autant la BCE, la BoE, la BoJ pourrait avoir une certaine maitrise de leur taux court, autant elles pourront difficilement le faire sur les taux longs. Sur la partie longue de la courbe, la variation des taux américains sera un paramètre très influent. Une hausse des taux longs américains sera suivie nécessairement d’une hausse des taux longs européens-Bund et Gilt- et des taux longs japonais.

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Propos recueillis par Imen Hazgui