Interview de Jean-Sébastien Beslay : Associé-gérant, Trusteam Finance

Jean-Sébastien Beslay

Associé-gérant, Trusteam Finance

Le niveau de satisfaction des clients, le bien-être des salariés et la rentabilité de l'entreprise sont étroitement liés

Publié le 06 Janvier 2014

Quelle définition du capital humain ? Des enjeux spécifiques par secteur ou taille d’entreprise (notamment PME/ETI) ?

Le Capital Humain d’une entreprise peut être défini comme la somme du savoir-faire de chaque collaborateur, mis au service du collectif, qui permet d’atteindre les objectifs fixés. Nous pensons que la valeur du capital humain réside dans la capacité qu’a ce collectif à être centré autour du client. L’entreprise est avant tout un collectif au service du client.
Suivant la taille des entreprises, les enjeux ne sont pas les mêmes. Dans une petite entreprise, les salariés doivent être davantage polyvalents, motivés, disponibles et faire face aux problèmes organisationnels de sa croissance. Dans une grosse entreprise, les salariés doivent répondre à des organisations très structurées, l’enjeu est donc qu‘ils ne perdent pas de vue leur motivation et la vision stratégique globale de l’entreprise.

Pourquoi Trusteam finance a décidé de se distinguer de la démarche des autres fonds d’investissement en valorisant l’actif immatériel que constitue la satisfaction des clients ?

L’entreprise est avant tout un collectif au service du client. Aujourd’hui, grâce à l’amélioration de la communication financière et extra-financière, chaque entreprise intègre l’ensemble des informations dans son cours de bourse. Or, le monde économique est en train de changer radicalement. Nous entrons dans une période où croissance faible et concurrence forte vont cohabiter durablement. Dans cet environnement difficile, nous pensons que pour identifier les entreprises qui parviendront à accroître leurs bénéfices futurs, il nous faut regarder des critères extra financiers pertinents. Or, l’actif client n’est abordé ni par la comptabilité, ni par l’analyse financière alors même qu’il existe des liens directs entre niveau d’indice de satisfaction client et rentabilité de l’entreprise. L’objectif de notre fonds est de remettre l’actif le plus important de l’entreprise, à savoir le client, au cœur de l’investissement.

Quels sont les indicateurs qui vous permettent de mesurer la satisfaction client ?

Nous recueillons ces données auprès d’une vingtaine d’instituts de sondage à travers le monde (ACSI, JD Power, etc…) qui mesurent des indices de satisfaction clients. Nous agrégeons ensuite ces informations afin de constituer une base de données dynamique. Les mesures de satisfaction clients étant moins ancrées dans la culture européenne, nous avons noué il y a deux ans un partenariat exclusif avec IPSOS afin de créer un premier indice couvrant dix secteurs et quatre pays, (étendu l’année prochaine à quinze secteurs et cinq pays- France, Allemagne, Italie, Espagne, U-K-). Enfin, un questionnaire d’orientation clients soumis aux entreprises permet de mesurer la qualité de leur stratégie Client.
Sélectionner les entreprises à travers le spectre de la Satisfaction Clients nous a permis d’avoir d’excellents résultats jusqu’à présent. La difficulté réside dans l’évolution des attentes du client, qu’il faut être capable d’évaluer en permanence pour y répondre au plus vite.

La corrélation entre une satisfaction des clients élevée et la rentabilité pour les actionnaires est-elle vérifiée ?

Depuis quarante ans, des études empiriques sont publiées par des universitaires d’Harvard faisant le lien entre le niveau de satisfaction client, la rentabilité de l’entreprise et le bonheur des salariés. Toutes ces notions sont liées. Un indice de satisfaction clients élevé signifie que les clients sont plus fidèles et vont parler de la marque autour d’eux. Cela réduit mécaniquement les coûts de fidélisation et d’acquisition des clients. De plus, des clients très satisfaits sont nettement moins sensibles au prix ce qui confère à un fort pricing power à l’entreprise.

Selon votre perception, quelle importance accordent les acteurs des marchés financiers (analystes financiers, investisseurs financiers, fonds…) aux actifs immatériels et plus particulièrement au capital clients et au capital humain de l’entreprise (dans leur diagnostic ou leur valorisation de l’entreprise)? Encore du chemin à faire ?

Pour l’instant, nous sommes les seuls à avoir ce type d’approche. Au delà de développer cette démarche d’investissement avec des résultats excellents, notre objectif est d’inciter les entreprises à communiquer davantage sur l’actif client dans leurs rapports annuels. Au-delà des quarante pages sur le respect de l’environnement, il s’agit de pousser les entreprises à intégrer le client dans l’ISR dont il est pour le moment absent. En effet, le vrai critère de durabilité d’une entreprise est bien son rapport avec le client, d’autant que le client est une des rares notions ISR mesurable via des études mathématiques (utilisation de courbes de Gauss en limitant les extrêmes sur un échantillon important). Enfin, les critères de transaction devraient prendre en compte l’actif client : les entreprises visent encore trop, dans leurs négociations, la quantité de clients plutôt que la qualité de l’actif client. Or, dans un monde à croissance durablement faible, cette qualité de l’actif client devient un critère primordial.

Quels sont les freins au financement de l’investissement dans des actifs immatériels comme le capital clients ou le capital humain par les entreprises ? Quelles seraient vos propositions à cet égard (à la fois pour les grandes entreprises et les PME/ETI) ?

Le premier frein pour les entreprises, c’est une vision avant tout basée sur le court-terme, les poussant à réaliser des stratégies de prix ou de produits, s’avérant payantes plus vite mais qui ne sont pas durables. Une vraie prise en compte de l’actif client suppose une orientation des entreprises sur le long-terme, nécessitant une remise en cause totale des organisations humaines, un deuxième frein considérable. Toute entreprise devrait avoir un « customer officer » ou un directeur marketing client, devant rendre directement compte de l’actif clients au PDG de l’entreprise. Cela nécessiterait une prise de conscience profonde de l’importance de cet actif, et on en est encore éloigné.


Un référentiel international de l’immatériel vous semblerait-il utile, avec un focus capital clients et capital humain?

La comptabilité ne s’est jamais penchée là-dessus, c’est bien là tout le problème. Aujourd’hui, il n’y a pas de référentiel comptable rendant compte de la qualité de l’actif client. Si les entreprises étaient obligées de faire des enquêtes de satisfaction clients, un outil aurait déjà été mis en place depuis longtemps.

Quelles propositions (de nature sociale, juridique, économique, financière…) ou quelles mesures attendriez-vous des pouvoirs publics pour un environnement favorable à ces bonnes pratiques ?

L’Etat pourrait mettre en place un avantage fiscal pour les sociétés démontrant une certaine orientation client en défiscalisant par exemple les enquêtes de satisfaction clients. Le MEDEF a fait un livre blanc sur le lien entre satisfaction client et compétitivité. Dans cette optique, l’Etat français a un réel rôle à jouer. Il devrait lancer une mission sur les liens entre compétitivité et satisfaction client. Le groupe en charge de cette mission devrait se rendre aux Etats-Unis, en Corée du sud et au Japon pour analyser le traitement du client dans les entreprises qui ont réussi depuis les cinquante dernières années.

Jean-Sébastien Beslay est Associé Gérant chez Trusteam Finance, société de gestion de portefeuille créée en 2000, où il est Responsable de la gestion Actions. Il a auparavant travaillé au sein de la Société de Bourse Exane en tant que vendeur auprès de clients institutionnels internationaux puis en tant que responsable de l'activité des valeurs moyennes européennes.

Pour la Tribune Sciences Po de l’immatériel 2013-2014, dirigée par Marie-Ange Andrieux/ Interview conduite avec l’étudiante Sciences Po Elise Issoulié

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