Interview de Patrick Moonen : Stratégiste chez ING Investment Management

Patrick Moonen

Stratégiste chez ING Investment Management

Actions 2014 : nous pourrions avons une performance de 12% en Europe et de 18% au Japon

Publié le 10 Janvier 2014

Dans un portefeuille équilibré, 50-50, quelle part attribueriez vous aux actions en ce début d'année 2014 ? Avec quelle évolution escomptée en cours d'année ?
Pour le moment nous surpondérons les actions dans nos portefeuilles équilibrés. Nous sommes investis à 55% en actions contre 45% en obligations. Ce chiffre est légèrement à la baisse par rapport à la fin de l’année dernière où la poche actions représentait alors 57,5% du portefeuille.

Nous avons pour volonté de maintenir cette surpondération pour les prochains mois. Plusieurs raisons à cela. Tout d’abord l’amélioration de la toile de fond macroéconomique notamment des deux cotés de l’Atlantique. Dernièrement en Europe, les indices PMI se sont révélés plus forts qu’attendu. La situation semble nettement s’améliorer en Espagne avec un renforcement de la compétitivité. Ensuite, nous anticipons une hausse des bénéfices de l’ordre de 10% à 12% sous l’impulsion d’une progression des marges opérationnelles. Par ailleurs, malgré la réduction du programme d’achat d’actifs par la Réserve fédérale américaine, les politiques monétaires au niveau global devraient demeurer très souples. Nous pensons que la BCE devrait annoncer des mesures supplémentaires au cours du premier trimestre afin de rétablir le mécanisme de transmission au niveau de l’octroi de crédit. Un LTRO ciblé, opérations de refinancement des banques européennes à des conditions avantageuses, à l’instar de ce qui a été réalisée au Royaume-Uni est plausible.

Comment expliquez-vous la baisse de votre pondération par rapport à fin 2013 ?
En raison de plusieurs points d’attention. En premier lieu, les valorisations des marchés des actions américaines relativement élevées, même en comparaison du marché obligataire. La prime de risque est retombée à la moyenne historique. Le ratio cours sur bénéfices est largement au dessus de la moyenne historique. En second lieu, nous avons débuté l’année 2014 avec énormément d’optimisme. Il est très rare de rencontrer des investisseurs ou stratégistes pessimistes. C’est parfois un indice contrariant. En troisième lieu, les évolutions au niveau des marchés émergents ne sont pas très favorables, en particulier les dernières statistiques sur l’activité du secteur manufacturier et du secteur des services en Chine qui signalent une poursuite du ralentissement économique dans le pays.

Qu’en est-il de la répartition géographique de votre allocation ?

Nous avons clairement une préférence pour les marchés développés par rapport aux marchés émergents en raison de la différence dans la dynamique économique, de l’impact de la normalisation progressive de la politique monétaire de la Fed, du risque politique avec la programmation de nombreuses élections, et de la sensibilité pour du deuxième groupe de pays aux matières premières. Nous sommes d’avis que les prix des « commodities » resteront mal orientés en 2014.
A ce jour les flux sortants se prorogent sur les marchés émergents et nous devrions continuer à observer cette tendance.

Malgré la croissance économique le marché américain est devenu relativement cher par rapport au marché européen et japonais. En outre, ces deux dernières régions, la politique monétaire a vocation à rester plus souple qu’aux Etats-Unis. La progression bénéficiaire devrait être plus conséquente en Europe et au Japon qu’au sein de la première puissance mondiale.

Au sein de l’Europe nous avons une préférence pour les pays périphériques, l’Espagne et l’Italie pour de multiples considérations : la réduction des taux obligataires- nous comptons sur un phénomène de rattrapage des actions par rapport aux obligations- ; le renforcement de la compétitivité qui a permis une hausse des exportations ; l’avancée dans les réformes structurelles, sur le plan de l’impôt en Espagne et au niveau du marché du travail en Italie, la capacité de remontée des bénéfices grâce à un effet de base propice.

Nous sommes davantage à l’écart du marché français. Les estimations économiques ne sont pas bonnes. Il y a un risque non négligeable que le pays retombe en récession en 2014. Il y a un retard dans l’adoption des mesures requises pour restructurer le pays, et de ce fait une perte de compétitivité.

Nous sommes neutres sur le marché allemand qui contient de nombreuses valeurs cycliques.

Quels potentiels de performance escomptez-vous ?
Pour l’Europe dans sa globalité nous pourrions avons une performance entre 10% et 12%. Il n’est pas exclu que les actions espagnoles et italiennes gagnent entre 15% et 20%.

Le Japon pourrait enregistrer une hausse plus importante si les chiffres positifs qui donnent pour l’instant raison au premier ministre Shinzo Abe persistent. L’inflation se rehausse. Le marché du travail se rétablit. Le relèvement de la TVA en avril prochain nous incite à la prudence mais devrait être compensé par un stimulus budgétaire. Elle pourrait conduire à un trimestre négatif. Mais la répercussion négative sur le PIB devrait être de 2% tout au plus. Malgré sa popularité fléchissante, Shinzo Abe devrait faire preuve de suffisamment de diplomatie et de volonté pour faire passer les réformes structurelles requises. Un rebond de 17% à 18% en ligne avec l’accroissement des bénéfices est réaliste.

Quid du Royaume-Uni ?
Le marché britannique est assez atypique en ce qui connait moins de volatilité que le marché de la zone euro. Il est de plus dépendant de ce qui se passe au niveau des matières premières et des pays émergents. Ainsi, les actions britanniques devraient croitre dans une moindre mesure que les actions de la zone euro.

Quelle est votre exposition sectorielle ?
Nous mettons l’accent sur les secteurs cycliques, excepté les matériaux de base et l’énergie. Nous aimons le secteur de la technologie, le secteur industriel qui devraient tirer avantage d’un retour des investissements, et les biens de consommation durable.

Nous avons un engouement pour le secteur bancaire en Europe. Nous croyons que la diminution du risque systémique n’est pas encore totalement intégrée dans les cours. L’audit sur la qualité des actifs devrait constituer un élément d’appui à moyen terme par le renforcement de la transparence et la contraction du risque. Nous pouvons espérer, parallèlement à un repli éventuel de la rentabilité, l’exigence de la part des investisseurs d’une prime de risque moins élevée.
Le risque de mauvaises surprises pouvant découler de cet exercice, singulièrement en Espagne et en Italie, est limité. Les évolutions descendantes des taux obligataires de ces pays ont vocation à soutenir les banques domestiques qui en 2013 étaient pratiquement les seules acheteuses des titres souverains. La reprise économique devrait, qui plus est, décroitre le montant des créances non performantes cette année.

Nous sous pondérons les secteurs de l’alimentation et la distribution qui sont relativement chers et offre peu d’expansion bénéficiaire.
Nous sommes réticents à nous positionner sur les utilities. Nous craignons que les dividendes ne soient pas pérennes.

Quels principaux risques pourraient remettre en cause votre allocation ?
Les risques sont symétriques. Le risque à la hausse réside dans une croissance plus vigoureuse qu’attendu. Aux Etats-Unis, une élévation du PIB au-delà du potentiel n’est pas impossible.
En Europe, l’embellissement en Allemagne pourrait également s’avérer plus robuste qu’anticipé. Cela aurait un effet d’entrainement salutaire sur l’ensemble de la zone euro.
Ainsi, la combinaison d’une conjoncture plus opportune avec une politique monétaire très accommodante nous inciterait à élargir notre poche actions.

Les risques à la baisse sont divers. Il y a le risque d’une accélération des bénéfices plus lente qu’envisagé. La période de publication des résultats annuels sera cruciale. Il y a aussi le risque d’une poussée violente des taux longs américains du fait de la contraction des achats d’actifs par la Fed. Dans ce cas, si la croissance économique ne suit pas avec un élan similaire, alors cela sera problématique pour les marchés. La correction des marchés actions pourraient avoisiner au minimum les 10%. Un dernier risque se situe au niveau des marchés émergents. Les données ne sont pas très convaincantes en Chine. Les autorités s’efforcent de freiner la distribution du crédit ce qui n’est pas de nature à freiner d’autant plus l’activité. L’équilibre est assez fragile.
Le risque de la déflation nous parait contenu en ce que la BCE n’hésitera pas à intervenir pour l’éviter. L’inflation en Allemagne devrait, en outre, s’amplifier avec les relèvements des salaires, la quasi-disparition de la surcapacité excédentaire.

Ne craignez vous pas une rupture entre le gouverneur de la Bundesbank Jens Weidmann et le président de la Banque centrale européenne Mario Draghi ?
Jusque là la BCE a su se montrer flexible et faire preuve de sa capacité à tenir compte de se détacher de la seule opinion du gouverneur de la Bundesbank. Les différentes réductions de taux, l’OMT, les LTRO en attestent.
La tache ne sera vraisemblablement pas aisée, et les décisions pourraient être prises plus tardivement que le timing des investisseurs, mais au final la BCE fera le nécessaire pour éviter la déflation.

Propos recueillis par Imen Hazgui