Interview de Frédéric  Rollin  : Conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet & Cie

Frédéric Rollin

Conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet & Cie

Nous ne devrions pas voir en Chine une déroute semblable à celle de Lehman Brothers en 2008

Publié le 14 Avril 2014

Quel regard portez-vous sur le boom du crédit en Chine ? A-t-on raison de faire un parallèle entre ce qui s’est passé en Chine avec ce qui s’est passé aux Etats-Unis entre 2003 et 2008 ?
Face à la perte du dynamisme de ses principaux clients en 2008-les Etats-Unis et l’Europe- en vue de maintenir une dynamique suffisamment soutenue qui lui permette de poursuivre son développement et son urbanisation, la décision a été prise par les autorités nationales de conduire une politique monétaire particulièrement accommodante. Un boom du crédit est né dont un des éléments a été la croissance élevée de produits de banque privée (Wealth management products ou WMP).

Un parallèle peut être fait entre les WMP et les fonds monétaires américains. Dans les deux cas, des rendements élevés ont été proposés pour investir dans des produits à court terme qui prêtent à des agents privés ayant des besoins de financement à long terme.

Un déséquilibre manifeste s’est alors dessiné.

L’abondante liquidité octroyée a par ailleurs permis une importante surcapacité dans certains secteurs clés de l’économie chinoise, notamment l’acier ou l’immobilier…
C’est ce qui explique la multiplication de défauts en début d’année : un produit d’ICBC, une entreprise dans le solaire, ou encore un promoteur immobilier.

Pour tenter de remédier à la situation dont le nouveau gouvernement était conscient dès le début de 2013, la Banque centrale de Chine (PBOC) a averti les banques chinoises qu’elles se devaient de surveiller plus étroitement leur distribution du crédit. En juin, de légères tensions monétaires sont même apparues afin de rendre la mise en garde plus crédible.

En quoi la phase d’essoufflement du boom du crédit orchestrée par la PBOC ne pourrait-elle pas conduire à une déroute semblable à celle de Lehman Brothers en 2008, avec des retombées très négatives pour le système financier chinois et l’ensemble du système financier international ?

Nous sommes d’avis que les autorités vont être en mesure de gérer ce dégonflement en douceur. Elles en ont pris pleinement conscience de la situation.
Des renflouements et des recapitalisations auront lieu pour éviter l’enclenchement d’un phénomène d'entraînement défavorable qui conduise à la panique. Le pays a les moyens d’agir, grâce à ses 3800 milliards de dollars de réserves de change. Le déficit budgétaire reste relativement raisonnable si l’on considère par comparaison les critères de Maastricht.

Ceci étant, un juste équilibre devra être trouvé afin d'empêcher l’existence d’un aléa moral qui pousserait les ménages chinois à penser qu’une garantie publique sera apportée quelque soit le risque pris dans l’investissement d’un produit donné.

De quelle manière pourrait se traduire la recherche de cet équilibre ?

Les autorités pourraient choisir de restituer l’équivalent aux ménages du principal sans couvrir les intérêts. Elles pourront aussi faire le tri entre les sociétés jugées de petite taille et non viables des sociétés de plus grande dimension et dont la survie est nécessaire. Nous devrions en cela avoir encore au cours des prochains mois l’annonce d’autres défaillances, et de sauvetages.

Selon vous, la Chine a du temps devant elle pour rectifier le tir ?
Une des difficultés que peut avoir un pays face à un ralentissement prononcé de son boom du crédit est liée à sa dépendance au financement externe. Celle ci est très faible en Chine dans la mesure où le pays est très exportateur et créditeur vis-à-vis du reste du monde. Il y a peu de risque de voir les investisseurs internationaux menacer la Chine de ne plus lui prêter. La Chine a donc du temps pour régler ses problèmes.

A quelle suite des évènements vous attendez-vous pour les actions chinoises ?
Les actions chinoises sont largement sous valorisées aujourd’hui. Le PE est à environ 10, contre 15 pour les actions internationales et 11 pour les actions émergentes.
Cette configuration amène à penser que les investisseurs ont déjà intégré de nombreuses mauvaises nouvelles.
Une performance à deux chiffres est tout à fait plausible.

Qu’est ce qui pourrait aider à cette performance ?

La performance d’un marché, quel qu’il soit, est fondée sur deux paramètres majeurs : une moindre prime de risque et des perspectives bénéficiaires.

Aujourd’hui les investisseurs continuent à avoir peur de la Chine, ce qui explique les flux sortants des actions émergentes de 2013 et du début de l’année 2014. La prime de risque devrait se résorber à mesure que les autorités démontreront leur capacité à maîtriser le crédit sans décélération brutale de la croissance. A force de voir les défauts être vite gérés et ne pas provoquer de contrecoups, les investisseurs finiront par croire qu’un atterrissage en douceur est possible et seront enclins à revenir.
De plus, la reprise en Chine et dans les pays développés devrait autoriser les bénéfices des entreprises chinoises à s’amplifier.

En somme, nous tablons plus sur la mise en place d’un cercle vertueux de manière progressive plutôt qu’à des effets positifs violents émanant d’une nouvelle spécifique.

Escomptez-vous un assouplissement de la politique monétaire ?
Parce que la politique du crédit doit continuer à être assaini, il est plus plausible que la Chine conservera une politique monétaire resserrée. La PBOC sera dans une attitude attentive face à un ralentissement plus fort que prévu de l’économie. Elle interviendra seulement en cas de besoin.

Quelle analyse faites-vous de la dévaluation de la devise chinoise ?

D’une part cette dévaluation permet aux entreprises de maintenir leur compétitivité parallèlement à la forte dépréciation d’autres grandes devises de pays émergents.
Par ailleurs, elle vise à signaler aux investisseurs internationaux que le yuan n’est pas un actif sûr qui a vocation à performer de manière linéaire de 2% à 3% tous les ans mais est un actif risqué dont l’évolution de cours est emprunte de volatilité. C’est ainsi une manière de réduire les flux entrants sur la devise chinoise qui a contribué à alimenter le boom du crédit chinois.

Qu’envisagez vous d’autre du coté de la devise chinoise ?
Plus beaucoup de mouvement. La stabilisation devrait être privilégiée.

Les autorités devraient mettre l’accent sur une politique budgétaire plus expansive ?
Il y encore de marge de manœuvre pour procéder à d’autres plans de relance. L’épargne des ménages est colossale. En cela il y a une base très robuste pour une expansion de la consommation. Ceci sera renforcé par l'octroi au cours des prochaines années du statut de citoyen urbain à des dizaines de millions d'anciens paysans récemment émigrés dans les villes, et qui n'ont pas pu bénéficié de l'enregistrement administratif. Ces derniers se trouvant dans une situation précaire, ne consomment pas.

Certains critiquent le fait que le dernier plan de relance est une nouvelle fois axé sur la construction d'infrastructures...
Le risque est de voir des projets d'infrastructures peu rentables, dont la seule finalité aura été de créer par leur construction un peu de croissance. C'est un risque important dont le nouveau gouvernement a pleinement conscience.

Propos recueillis par Imen Hazgui