Interview de Jérémie Duhamel  : Avocat à la Cour et Associé du cabinet Duhamel  Blimbaum Aarpi

Jérémie Duhamel

Avocat à la Cour et Associé du cabinet Duhamel Blimbaum Aarpi

Une nouvelle réglementation européenne qui vise à éviter certaines dérives nées de l'affaire Madoff

Publié le 23 Avril 2014

La semaine dernière, la directive UCITS V, dernière réforme apportée à la première directive sur les OPCVM de 1986, a été adoptée par le Parlement européen. Quels principaux changements prévoit ce texte ?
La directive UCITS V apporte des évolutions significatives sur trois points structurants de l’industrie des OPCVM. Le premier point concerne le rôle et la responsabilité des dépositaires. Le deuxième est relatif aux politiques de rémunération des collaborateurs des sociétés de gestion. Enfin, la directive introduit un régime de sanctions administratives concernant la gestion d’actifs.

Que conçoit la nouvelle réglementation s’agissant du rôle et de la responsabilité des dépositaires ?
Le texte prévoit un alignement du rôle et de la responsabilité des dépositaires sur le régime prévu par la directive AIFM concernant les fonds d’investissements alternatifs, à quelques nuances près.

Par principe, les dépositaires sont responsables des actifs dont ils ont la garde. En cas de perte des actifs, ils sont soumis à une obligation de restitution immédiate. Une dérogation est toutefois possible lorsque le dépositaire parvient à prouver qu’il a dû faire face à un évènement extérieur échappant à son contrôle raisonnable, qui n’aurait pu être évité malgré tous les efforts déployés pour éviter la perte des actifs dont il avait la garde.

Quel pourrait être cet évènement extérieur qui échappe au contrôle raisonnable ?
La directive ne donne pas d’illustration formelle. Cependant, on garde à l’esprit ce qui s’est passé dans l’affaire Madoff. UBS, la banque suisse qui était dépositaire, gérant et distributeur de la SICAV luxembourgeoise Luxalpha, un OPCVM coordonné, qui nourrissait le système pyramidal frauduleux, n’a cessé d’arguer qu’il n’y avait pas eu la démonstration qu’il avait commis une faute dans sa mission. Conformément à la nouvelle directive, le dépositaire aurait été de facto responsable de la perte des actifs et il lui aurait incombé de prouver que cette perte n’était pas de sa responsabilité.

Il y a donc une inversion de la charge de la preuve ?
La directive UCITS V oblige le dépositaire à prouver qu’il n’avait pas commis de faute si des actifs sous sa garde venaient à disparaitre.

Que réserve d’autre la directive pour le dépositaire ?
Pareillement aux dispositions de la directive AIFM, les investisseurs d’OPCVM vont pouvoir intenter un recours direct contre le dépositaire sans avoir à passer par l’intermédiaire de la société de gestion en cas de litige. Jusqu’à présent, seule la société de gestion était en droit d’attaquer le dépositaire sur la base du contrat les liant.
Un dernier élément concerne la responsabilité du dépositaire pour les pertes causées par les éventuels sous-dépositaires auxquels les missions de conservations des actifs sont déléguées. La directive UCITS V verrouille la responsabilité du dépositaire l’interdisant de transférer sa responsabilité à un sous-dépositaire. Il s’agit là d’un point divergent avec la directive AIFM.

De quelle nature pourrait-être le recours de l’investisseur contre le dépositaire ?
La nature du recours dépendra du droit national. Ce serait vraisemblablement un recours au civil en France.

Ces évolutions étaient-elles déjà prévues dans le droit national français ?

La question de la preuve de la responsabilité du dépositaire ne trouve pas une réponse simple. En droit français, aucune position de principe sur le renversement de la charge de la preuve n’était définie comme le fixe la nouvelle directive. De même en est-il de la responsabilité du dépositaire, pour les pertes causées par le sous-dépositaire. La directive va permettre de clarifier certaines incertitudes aussi bien en France que dans les autres pays de l’Union Européenne.

Quant au recours direct de l’investisseur contre le dépositaire, il n’était pas prévu dans le droit national, sauf cas particulier.

Qu’en est-il de la rémunération dans la nouvelle directive ?
La rémunération sous la directive UCITS V a fait l’objet d’un débat houleux, notamment concernant le plafonnement des bonus qui a finalement été rejetée par le Parlement européen. En définitive, les obligations édictées par la directive UCITS V sont très proches de celles de la directive AIFM.

Les sociétés de gestion qui gèrent des OPCVM seront désormais contraintes de mettre en place une politique de rémunération indiquant comment est élaborée la rémunération des collaborateurs en fonction de certains critères. Par ailleurs les modalités de versement des rémunérations devront respecter des règles spécifiques. L’objectif est de faire correspondre la rémunération au niveau de risques pris dans la gestion des OPCVM.

Tout comme la directive AIFM, la directive UCITS V prévoit une application proportionnelle de ces règles en fonction de l’importance des sociétés de gestion. En effet, des dérogations à ces règles sont admissibles pour certaines sociétés de gestion en fonction de leur taille, de la portée et la complexité de leurs activités, ou encore de leur organisation. Les petites et moyennes sociétés de gestion pourront ainsi se voir appliquer une réglementation allégée en matière de rémunération.

La rémunération variable sera désormais encadrée et devra être composée à hauteur de 50% de parts de fonds UCITS. Un pourcentage substantiel de cette rémunération variable devra être différé d’au moins trois ans, ce pourcentage étant plus élevé pour les rémunérations les plus importantes. Des précisions devraient être apportées par la suite par l’ESMA.

Cet axe sur la rémunération est-il innovant par rapport au droit français ?

Tout à fait. Indépendamment de certaines dispositions du droit du travail et du droit fiscal, aucune réglementation ne venait directement encadrer le mode de rémunérations dans le secteur.

Le dernier axe important de cette directive est relative aux sanctions, que pouvez-vous en dire ?

Nous avions peu de règles encadrant les sanctions dans la gestion d’actifs au niveau européen. En France, celles-ci relevaient principalement du droit national avec notamment la loi de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010 qui plafonne les sanctions administratives en cas de manquement aux obligations professionnelles ou d’abus de marché. La directive envisage des sanctions équivalant à 5 millions d’euros ou 10% du chiffre d’affaires annuel ce qui devrait fortement inciter les sociétés de gestion à respecter leurs obligations professionnelles. La directive UCITS V comble donc un vide du droit européen par rapport au droit français.

Quelle devraient être les suites pour cette directive ?
Le texte doit à présent être adopté par le Conseil européen en vue d’une publication dans le journal officiel en juin. Par la suite, les Etats membres devront la transposer dans un délai de 18 mois, le texte serait donc applicable d’ici la fin de l’année 2015.

Avez-vous des craintes sur la non validation par le Conseil ?

Pas vraiment. Le texte découle de longues tractations, de plus de deux ans.

Quelles conséquences opérationnelles pourrait avoir cette directive sur l’industrie des fonds UCITS ?
Les conséquences devraient être limitées, sans pour autant être marginales. L’alignement des règles de la directive sur celles prévues dans la directive AIFM sous-entend de moindres efforts d’adaptation pour de nombreux acteurs de l’industrie de la gestion d’actifs qui commercialisent à la fois des fonds d’investissements alternatifs (FIA) et des OPCVM. Il y a donc une extension du champ d’application, mais pas une révolution complète, ce qui est positif dans le contexte actuel d’inflation réglementaire.

Les impacts devraient être de plus grande ampleur pour les dépositaires. Ces derniers devront intégrer dans leur process les contrôles nécessaires pour pouvoir le cas échéant se disculper de leur responsabilité dans le cas de pertes d’actifs. De nouvelles pratiques devront donc être mises en place, ce qui risque de leur faire supporter un coût.

C'est une chose qui devrait profiter aux fonds UCITS ?
Les fonds UCITS ont dû leur succès à l’ensemble de leurs contraintes. De nombreux investisseurs font confiance à ces véhicules en raison du cadre juridique européen dans lequel ils s’inscrivent. L’harmonisation des obligations des dépositaires va dans le sens d’un plus grand confort en termes de sécurité pour les investisseurs et d’un plus grand attrait de ces véhicules.

Quelle appréciation critique faites-vous de cette directive ? Le texte actuel est-il à la hauteur de l’ambition initiale des régulateurs ?
Nous pouvons peut être regretter le non réexamen dans la directive sur certains sujets tels que les ratios réglementaires et les critères d’éligibilité. Cependant, ce serai là s’attaquer à un vaste chantier qui n’est pas à l’ordre du jour.

L’intérêt des régulateurs de mettre à jour la directive UCITS date de l’affaire Madoff. Depuis plusieurs versions se sont succédées. On s’est assurément éloigné du projet originel. Cependant le résultat actuel est un consensus qui a le mérite d’être sensé et équilibré.

Une directive UCITS VI est-elle dans les tuyaux ?
A ma connaissance, il n’y a pas de projet avancé concernant une directive UCITS VI pour l’instant, même si l’idée circule.

Propos recueillis par Imen Hazgui