Interview de Philippe Noyard :  Responsable de la gestion High Yield & Arbitrage Crédit chez Candriam

Philippe Noyard

Responsable de la gestion High Yield & Arbitrage Crédit chez Candriam

Deux principaux risques pourraient entrainer de vives perturbations sur le marché des obligations d'entreprises européennes

Publié le 26 Mai 2014

Quelle est l'importance aujourd'hui du marché des obligations d’entreprises à haut rendement en Europe ?
La taille du marché européen à ce jour est de 296 milliards d'euros. Elle est à comparer avec celle du marché américain, qui est de 1360 milliards de dollars.

Quel est la décomposition de ce marché si l'on considère le profil des émetteurs ?
Basé sur l’ indice Euro HY BB/B de Bank of America Merrill Lynch , ce marché est composé à hauteur de 36% d' obligations d'anges déchus (tels que Peugeot, Renault, Lafarge, Arcelor Mittal, Thyssen Krupp, Nokia...), de 23% d'obligations d'entreprises cotées ( comme Altice, Numéricable, Darty, Nexans, Piaggio, Constellium...), de 34% d' obligations d'entreprises non cotées (à l'instar de Picard, Elis, Elior, Alain Afflelou, Schaeffler, Ineos...) et de 7% d'obligations hybrides (telles que Enel, Veolia, Solvay, Casino, Telefonica...).

Qu'en est-il des émissions sur ce marché depuis le début de l'année ?

A fin avril, 57 milliards d'euros ont déjà été placés. Les nouvelles émissions devraient atteindre au final un total de 110 milliards d'euros cette année, contre 89 milliards en 2013 et 50 milliards en moyenne les 3 années précédentes.

Une telle vigueur sur le marché primaire s'explique notamment par le fait que les obligations HY se sont progressivement substituées aux loans dans le financement des entreprises européennes ?

Alors que le marché Euro HY représentait 58 milliards d'euros en 2008, il représente 296 milliards d'euros aujourd'hui. A l'inverse, le marché des loans Européens est passé de 539 milliards d’euros en 2008 à 330 milliards d’euros. Actuellement, alors qu'auparavant le financement des entreprises était assuré à hauteur de 30% par les bonds et à hauteur de 70% par les loans, nous avons aujourd'hui la configuration inverse.

Qu'en est-il des échéances de remboursement ?
Les entreprises se sont fortement refinancées au cours des dernières années en procédant à l’extension de la maturité de leurs dettes. Pour l'heure, le montant des remboursements HY arrivant à échéance au cours des deux prochaines années, hors remboursements anticipés, est limité à 20 milliards d’euros en 2014 et à 29 milliards en 2015. Le prochain pic attendu est en 2018- 2019 avec respectivement 72 Mds et 60 Mds s’euros.

Du côté de la demande, quid des entrées de flux ?
Alors que le marché Euro HY ne représente que 30 % du marché HY américain, celui-ci connait depuis plus de 2 ans des flux positifs soutenus comparés au marché américain confirmant l’appétit des investisseurs pour cette classe d’actif.
Depuis le début de l’année, les entrées de flux se sont élevées à plus de 4 milliards d'euros en Europe contre environ 3,65 milliards de dollars aux Etats-Unis. A titre de comparaison, en 2013, les flux avaient atteint 6,23 milliards d'euros sur le marché européen et 2,32 milliards de dollars sur le marché américain.

L'appétit des investisseurs a vocation à persister ?

Les investisseurs sont à la recherche de rentabilité et de diversification. Les obligations HY constituent une excellente alternative aux taux bas et aux soubresauts des marchés actions. A fin mars 2014, les taux souverains américains à 5 ans offrent 1,7% tandis que les taux allemands ne rémunèrent plus que 0,6%.
Aussi de plus en plus d'investisseurs particuliers n'hésitent pas à acheter des obligations en direct.
S'agissant des investisseurs institutionnels, ces derniers voient les obligations HY comme une source d'investissement rentable avec un risque maitrisé. La réglementation à laquelle ils sont soumis, notamment les compagnies d'assurances, est également un facteur porteur pour la poursuite d'une demande soutenue. En effet, les règles de Solvency II prévoient des exigences d'immobilisation de fonds propres en fonction du risque que présentent les instruments de marché. Typiquement, alors que les actions des pays développés supposent la constitution d'un matelas de capital de 39%, les obligations d'entreprises requièrent un coussin de fonds propres compris entre 15% et 25% en fonction de la durée des titres. Par ailleurs, la volatilité des obligations d'entreprises est bien moindre que celle des actions, 7% en moyenne contre environ 20%. Cette plus faible fluctuation des prix des actifs permet un meilleur pilotage du rapport actif-passif.

L'intervention massive des banques centrales est favorable au marché du HY ?
Oui, dès lors qu'elle suppose un afflux massif de liquidités et le maintien des taux à de très faibles niveaux.

De quelle manière voyez-vous évoluer la performance de ce segment de marché à l'avenir ?
La performance à venir devrait être moins liée à un mouvement sur les taux ou à un resserrement des spreads qu'à des considérations extérieures : croissance du marché, environnement macroéconomique « challenging » et volatilité des taux d'intérêts.
Les taux ont baissé à des niveaux historiquement bas. Les spreads se sont normalisés.
Pour l'ensemble du marché européen, le spread moyen se situe à 300 points de base , dans la moyenne de la période 2004-2007 contre plus de 1000 points de base en 2008, en ligne avec le taux de défaut anticipé à 2% contre plus de 15% en 2009.

Un upgrade pourrait cependant contribuer à un resserrement supplémentaire de ces spreads ?
Le retour d'un drift positif n'est pas à exclure. Actuellement le ratio (notes relevées-notes abaissées) sur l'ensemble des notes des émetteurs est négatif en Europe, soit de - 5,6% contre -2,2% pour le marché globalement et 2% pour le marché américain. Après avoir atteint un pic des dégradations a -25% avec la crise des dettes souveraines. L’amélioration de la notation des Etats des pays du sud de l’Europe ne peut que favoriser l’amélioration des notations des entreprises de ces pays.
En cas d'upgrade, le marché pourrait fortement performer. Le passage entre la catégorie BB à BBB d’une obligation pourraient se rétrécir de 117 points de base, celui des obligations notées B de 145 points de base

Quels pourraient être les facteurs déclenchant de ce retour de drift positif ?
La forte activité des fusions-acquisitions. C'est ce qui s'est passé pour Lafarge à la suite de l'annonce de son alliance avec Holcim. Lafarge qui était moins bien noté qu'Holcim a tiré avantage de l'opération dans le resserrement de son spread. Celui-ci est descendu de 200 à 160 bp.
Nous pensons que nous devrions avoir une multiplication de ce cas de figure. Les grands groupes veulent consolider leurs parts de marché pour accroitre leur couverture et leur compétitivité en achetant des compétiteurs plus petits Nombreuses de ces proies potentielles évoluent dans le marché du HY.
Une autre possibilité pour une entreprise est de s’introduire en bourse et de choisir de rembourser ses dettes.

Cette vision des choses implique de bien analyser les entreprises qui ont le plus de potentiel de faire l'objet d'une offre d'achat ou d'une introduction en bourse (IPO).

Toutes les fusions-acquisitions ne sont pas à mettre à la même enseigne ?
Doivent être privilégiées celles qui conduiront à une nouvelle structure oligopolistique et donneront un plus fort pricing power à la nouvelle entité créée.

Quelle performance supplémentaire pourrait délivrer le marché au cours des prochains mois ?
Depuis le début de l'année, la performance a été de 4 %. A partir de maintenant nous pourrions encore avoir entre 5% et 6% de performance sur les 12 mois glissants. Les deux tiers de cette performance devraient émaner de la réalisation d'opérations capitalistiques.

De quelle manière appréhendez-vous la remontée des taux ?
Historiquement, une hausse de 70 points de base ou plus des taux américains à 5 ans conduit à un resserrement des spreads HY dans une période glissante de 3 mois. Sur les 16 dernières remontées des taux souverains américains, le resserrement des spreads a été relevé 12 fois. Uniquement en mars 1990 (tensions inflationnistes aux Etats-Unis), en avril 1994, en novembre 1994 (krach obligataire), et en juillet 2013 (annonce d'une sortie possible du quantitative easing par la Fed), les spreads se sont écartés de respectivement 4 points de base, 9 points de base, 8 points de base et 25 points de base.
Ainsi, hormis les périodes de choc extrême, une période de tension sur les taux est favorable au crédit HY qui connait une réduction des spreads.

Quel regard portez-vous sur les incidences découlant du déséquilibre entre offre et demande : l'arrivée d'entreprises non notées, l'allégement des convenants ?
Ces incidences ne sont pas à nier mais elles sont à relativiser. Les entreprises non notées peuvent être des entreprises connues par les investisseurs sur le marché boursier. Une discipline doit scrupuleusement être suivie. En cela une analyse crédit approfondie s’impose. Il y a lieu de ne pas aller vers des sûretés (les covenants ) trop légères et pas assez protectrices.

Face à ces anomalies, la sélection nécessite d'être plus rigoureuse et la gestion se doit d'être plus dynamique. En raison du rapport de force qui leur est favorable, beaucoup d'émetteurs s'aventurent sur le marché par pur opportunisme, pour lever des fonds dans de bonnes conditions, sans présenter les garanties fondamentales suffisantes sur leur solvabilité et leur capacité de remboursement.

Quels sont les principaux risques auxquels est confronté le marché aujourd'hui ?
Deux principaux risques pourraient entrainer de vives perturbations sur le marché. Tous deux sont liés à la macroéconomie.
Une déflation et une récession seraient très néfastes malgré une intervention massivement de la BCE et une abondante injection de liquidité. Un tel environnement compromettrait l'aptitude de certaines entreprises à rembourser leurs dettes et remettrait en cause la rentabilité espérée des fusions acquisitions réalisées.
Parallèlement une accélération trop robuste du PIB aux Etats-Unis et en Europe au-delà du potentiel de croissance de ces pays pourrait entrainer une reprise forte de l’Inflation, source de tensions importantes sur les taux poussant les banques centrales principalement concernées à réagir en durcissant leur politique monétaire. Ceci occasionnerait des dérèglements sur le marché des obligations d'entreprises.

Propos recueillis par Imen Hazgui