Interview de Dominique Barbet : Responsable de la recherche économique de marché de BNP Paribas

Dominique Barbet

Responsable de la recherche économique de marché de BNP Paribas

Le ralentissement de l'Allemagne ne signifie pas nécessairement le ralentissement de la zone euro

Publié le 16 Juillet 2014

Pour le 7ème mois consécutif, au mois de juillet, l’indice de confiance des investisseurs allemands a perdu de l’élan. Celui-ci a décliné de 2.7 points, baissant à 27.1, son taux le plus bas depuis la fin de l’année 2012. Qu’en pensez-vous ? Comprenez-vous notamment qu’il y ait eu autant d’effervescence médiatique sur la publication de cet indice?
Cette effervescence s’explique pour deux raisons oui. Tout d’abord, l’actualité européenne était très peu fournie en chiffres économiques, d’où l’attachement à commenter le chiffre dont les médias disposaient. Ensuite, nous faisons face à mouvement de déclin prolongé de l’indicateur prévisionnel pour l’économie leader de la zone euro. L’indice Zew relatif à la situation actuelle n’a amorcé sa baisse que ce mois-ci, cela pose des questions sur la pérennité de la reprise. Enfin, certains jugent que cet indice est un indicateur plus avancé que d’autres en ce qui concerne le cycle économique et qui permet d’entrevoir plus tôt les fluctuations de l’activité économique. Dans ce cas, il serait à craindre que les autres indices économiques allemands suivent le même chemin, comme on l’a vu le mois dernier avec l’IFO qui a commencé à fléchir.

Ces baisses consécutives étaient elles attendues ?
Pas vraiment, nous pensions avoir une phase de reprise dans l’ensemble des pays de la zone euro. La croissance était déjà forte en Allemagne, le potentiel d’accélération était donc plus faible, d’autant plus que l’économie allemande tourne pratiquement à pleine capacité. Néanmoins, aucun repli des indices avancés n’était anticipé, y compris de l’indice Zew. Ce ralentissement du cycle économique est donc quelque peu une surprise, mais surtout une déception.

Cet enchaînement de baisses de l’indice peut-il être perçu comme un cercle vicieux, une baisse en ayant entrainé une autre et ainsi de suite ?

Le principe de cercle vicieux n’est pas vraiment applicable aux indices économiques. L’indice ZEW toutefois peut être une exception dans la mesure où il est spécifique dans sa catégorie. Les personnes interrogées ne sont pas des industriels ou des acteurs de la vie économique en général mais des financiers qui suivent la situation économique. En outre, la communauté des interviewés est assez restreinte, environ 300 personnes.
Ces deux caractéristiques introduisent un biais qui peut pousser l’indice à émettre de faux signaux.

Pour autant, dès lors que l’on fait face à plusieurs mois de baisses régulières, il est peu probable que le signal donné soit erroné.
C’est ce qui explique que les marchés commencent à douter de la solidité de la croissance allemande sur les mois à venir et l’année prochaine et les récentes corrections observées.

Si ce déclin était inattendu, le comprenez-vous à postériori ?
Les tensions géopolitiques en Europe sont toujours relativement cantonnées dans une partie de l’Ukraine, mais on voit l’impact économique dans l’ensemble de la région, avec une baisse des investissements dans l’Europe de l’Est, Russie comprise. Il y a ainsi une inquiétude qui a pris une ampleur qui dépasse le conflit géopolitique russo-ukrainien.

Ces tensions géopolitiques sont elles la principale explication de la dégradation de l’indice Zew ?
C’en est une partie. Ces tensions ont contribué à l’amoindrissement du commerce international qui avait été initié par l’essoufflement de la dynamique dans certains grands pays émergents comme le Brésil ou la Chine.
Par ailleurs, un autre élément d’explication réside dans le fait qu’il est très probable que l’Allemagne soit en train de butter sur le plein emploi des capacités de production dans un certain nombre de secteurs. Or pour générer un surplus de croissance il faudrait que le pays procède à des investissements importants et embauche alors que la main d’œuvre commence à se raréfier. Cependant, face aux multiples incertitudes économiques, financières, politiques, qui dominent l’environnement, les investisseurs allemands ne sont pas enclins à se lancer dans de grands projets de développement.
L’économie allemande sature un peu et risque de continuer à afficher une moindre vitalité dans les trimestres à venir.

Dans ces conditions, peut-on considérer que l’Allemagne est toujours la locomotive indiscutable de la zone euro ?
Après un bon premier trimestre, il est acquis que le deuxième trimestre sera correct, sauf pour le secteur du bâtiment. Aujourd’hui les doutes planent sur l’évolution des troisième et quatrième trimestres.
Le rôle de locomotive de l’Allemagne peut s’entendre dans deux sens. Tout d’abord, au niveau de la production, de l’offre. De ce point de vue, indiscutablement l’Allemagne ne tire plus la zone euro comme elle le faisait auparavant.
L’autre aspect est celui de la demande. Avec une économie qui tourne à plein régime, des augmentations de salaires un peu plus soutenues que par le passé, nous pouvons légitiment penser que la demande allemande continuera sur une bonne lancée, ce qui constitue une bonne nouvelle pour la zone euro.
Qu’entendez-vous par là ?
Cette demande accrue devrait induire davantage d’importations et donc d’exportation de la part des pays partenaires de la zone euro qui fabriquent des biens substituables à la production allemande.
Par voie de conséquence, le fait que l’Allemagne ne soit plus la locomotive de la croissance de la production en Europe ne signifie pas qu’elle cesse de tirer les autres économies.

La dégradation de l’indice ZEW ne serait donc pas un élément d’inquiétude en tant que tel ?
La dégradation de l’indice Zew reflétant une demande mondiale moins soutenue, mais non une demande allemande moins forte, elle est un élément d’inquiétude pour l’Allemagne, mais pas pour le reste de la zone euro.
Sur ce plan, les marchés boursiers ont peut-être un peu sur réagi à la publication de l’indicateur.

A quelle suite des évènements peut-on s’attendre pour l’indicateur ZEW ?
Nous ne faisons pas de prévisions sur cet indice en raison de son biais.
En revanche nous nous attachons à regarder de très près l’indice IFO qui sera publié la semaine prochaine. Il devrait nous donner une information plus concrète car sont sondés des professionnels des différents secteurs économiques sur leur activité propre. Ces derniers ont une vision bien plus claire de leur situation.

Quel est le parallèle entre ces deux indices ?
Dans les grandes tendances, ces deux indices suivent le cycle économique. L’indice ZEW est en revanche plus volatile, de par le caractère restreint de son échantillon, et parce que l’opinion relevée est celle d’analystes qui travaillent dans le monde financier, qui ont un comportement moutonnier.
L’indice IFO ne baisse que depuis deux ou trois mois, dans des proportions modérées et à un niveau absolu élevé. Sa légère pente descendante n’a pas lieu d’inquiéter pour le moment.

Si le ralentissement de l’économie allemande venait à se confirmer avec l’indice IFO, quelles pourraient être les répercussions sur la zone euro et sur la politique de la BCE ?
Si le ralentissement se fait plus au niveau de l’offre, les répercussions sur la zone euro seront limitées.
En revanche si l’impact est négatif autant du coté de l’offre que de la demande, les effets de contagion seront plus significatifs sur l’ensemble de la zone.

En toute état de cause, s’agissant de la politique de la BCE, un ensemble de mesures phares ont été avancées au début du mois de juin pour relancer le crédit dans la zone euro, telles que la baisse des taux d’intérêt, nouvelles opérations de refinancement des banques.
L’institution monétaire devrait désormais attendre les résultats de ces mesures. Ce n’est qu’au fil du temps qu’elle pourra vérifier si le taux de dépôt négatif a permis d’aboutir à une dépréciation de l’euro et si les opérations de refinancement ont permis de relancer durablement le crédit. Il est peu probable qu’elle intervienne avec de nouvelles mesures au cours de ces prochains mois.

La victoire allemande en coupe du monde pourrait-elle avoir un impact sur l’économie nationale ?
Il ne faut pas compter là-dessus. L’impact économique peut se faire ressentir dans le pays organisateur et surtout s’il gagne. Mais dans ce cas précis, il n’y aura pas de répercussion visible et mesurable.


Imen Hazgui et Aurélien Barbet