Interview de Christopher Dembik : Economiste chez Saxo Banque France

Christopher Dembik

Economiste chez Saxo Banque France

Ukraine : parler d'une intervention militaire de la Russie à court terme est hors de propos

Publié le 12 Août 2014

Un convoi d'aide humanitaire russe composé de 280 camions a quitté la région de Moscou pour rejoindre les régions de l'est ukrainien ce jeudi. Moscou donnant comme justification à son agissement son inquiétude du sort des populations russophones locales. L’OTAN ainsi que plusieurs autres responsables redoutent cependant une invasion russe de l'est de l'Ukraine, sous prétexte humanitaire. Qu’en pensez-vous ?
Il est indéniable que Vladimir Poutine cherche à contrôler une partie de l’est de l’Ukraine. Il y a cependant bien d’autres moyens d’y parvenir que d’envoyer des troupes sur le territoire ukrainien.
Il pourrait continuer son soutien aux rebelles, accentuer son aide militaire, de manière à aboutir à un renversement de tendance qui avantagerait les séparatistes.
Il pourrait également attendre que l’hiver arrive, couper l’approvisionnement en gaz de l’Ukraine par Gazprom. L’incident entrainerait très probablement une multiplication des manifestations à Kiev et favoriserait la chute du gouvernement. Dans ce cas, le nouveau gouvernement mis au pouvoir pourrait être davantage partisan à la Russie.
Envoyer directement des troupes russes en Ukraine en vue de déstabiliser le pays entrainerait indubitablement une exacerbation des tensions avec les Etats-Unis et l’Europe.

L’aide humanitaire ne serait donc pas qu’un simple prétexte ?

Par cette aide, Vladimir Poutine veut redorer son image à l’international en montrant qu’il est une force stabilisatrice en Ukraine et non l’inverse.

Nous pouvons tout de même nous interroger sur l’ampleur du convoi humanitaire ?
Nous n’avons vraisemblablement pas dans ce convoi que des humanitaires, mais également des agents du FSB.

Vous ne le voyez pas d’un mauvais œil ?
Il est logique que la Russie ait des agents sur le terrain comme il est logique que les pays de l’OTAN aient également des agents sur le terrain.

Anders Fogh Rasmussen, le secrétaire général de l'OTAN, a ouvertement déclaré d'après France 24 « qu'il existait une forte probabilité pour que Moscou intervienne militairement en Ukraine ». Ce d’autant plus que 20 000 soldats russes auraient été envoyés le long de la frontière orientale de l'Ukraine, prêts au combat.
Nous sommes dans un bras de fer, dans lequel il est normal que la Russie veuille montrer ses muscles.
Le rôle du secrétaire général de l’OTAN est de mettre en garde les pays de l’OTAN pour que ceux-ci apportent leur soutien militaire à l’Ukraine en envoyant par des canaux non officiels des armes ou des assistants techniques.
L’armée légaliste du pays n’a clairement pas les moyens de se défendre seule.

Parler d’un affrontement militaire à court terme est hors de propos ?
Nous sommes dans un bras de fer qui rappelle la guerre froide. Il n’y a pas un risque d’escalade très élevé dans l’immédiat.
Vladimir Poutine à l’inverse des dirigeants occidentaux s’inscrit dans la durée. Il a encore vocation à rester au pouvoir en 2020.
Il veut ainsi constituer son glacis stratégique conformément à la pensée traditionnelle russe sans intégrer territorialement la région de Donetsk à la Russie.

Il y a tout de même un élément d’incertitude qui persiste sur l’issue de ce conflit ?
Bien entendu.

Cela ne vous empêche pas d’admettre qu’il est temps de se réintéresser de près au marché boursier russe ?
Il faut déconnecter les tensions palpables au niveau géopolitique de la réalité du marché boursier russe et de la réalité des entreprises russes cotées. Des opportunités d’investissement se sont crées sur des valeurs qui à terme devraient s’avérer très intéressantes, en particulier dans le secteur bancaire et le secteur énergétique.

Il y a notamment sur ces valeurs une décote qui va de 20% à 50% ?
Effectivement par rapport aux profits que l’on peut attendre nous faisons face à des décotes considérables. En cela nous pouvons parler d’une période de soldes sur le marché. Ce d’autant plus que les sociétés ont des fondamentaux plutôt sains.

Vladimir Poutine et le Kremlin ont la mainmise sur une bonne partie de ces entreprises ?
Cette mainmise garantie une relative stabilité en termes de management. Cela donne une certaine visibilité.

Ne peut-on pas craindre un gel de la participation des investisseurs étrangers dans le capital de ces sociétés en tant que sanction de riposte ?
Si cela devait arriver- je ne pense pas que cela sera le cas- nous atteindrions un niveau de degré dans le conflit très élevé dont il sera difficile de descendre sans passer par l’affrontement.
Si Vladimir Poutine bloque les avoirs des investisseurs étrangers, alors cela supposera qu’il accepte que la Russie s’enfonce dans la récession pendant plusieurs années dans la mesure où les entreprises russes ont absolument besoin d’investisseurs étrangers. Ainsi, il se saborderait.
La sanction infligée sous la forme d’embargo sur les importations de fruits et de légumes provenant des Etats-Unis et de l’Europe a été prise car elle est très populaire. Elle n’est pas de nature à changer de manière importante le quotidien des russes et surtout elle n’a pas d’impact très négatif sur l’économie.

In fine, vous n’alimentez pas d’inquiétude particulière par rapport à un dérapage découlant de ce conflit ?
La principale préoccupation est celle de savoir si du jour au lendemain Vladimir Poutine perdra le contrôle sur les séparatistes.
Même si nous ne connaissons toujours pas les exactes circonstances du crash de la Malaysia Airlines, on peut se douter qu’il a s’agit d’une perte de contrôle de Vladimir Poutine par rapport aux séparatistes.

Propos recueillis par Imen Hazgui