Interview de Philippe Waechter  : Responsable des études économiques chez Natixis Asset Management

Philippe Waechter

Responsable des études économiques chez Natixis Asset Management

Nous pouvons espérer que la dépréciation récente de l'euro se prolonge et modifie la trajectoire de la croissance de la zone euro

Publié le 13 Août 2014

Que vous inspire l’économie allemande à ce stade de l’année ?
Nous constatons que la dynamique de l’économie allemande est moins vive aujourd’hui qu’en début d’année, que l’on considère les enquêtes IFO et Zew ou encore les commandes de biens industriels.
Le point haut de l’activité a probablement été touché en janvier-février. Depuis, l’horizon s’est obstrué, les anticipations se sont dégradées, et la prise de risque s’est s’amoindrie.

Comment l’expliquez-vous ?
La lecture de l’économie allemande s’est brouillée par épuisement de la dynamique cyclique en zone Euro et plus récemment du fait d’une dimension géopolitique plus préoccupante.

Certains analystes tempèrent l’aspect inquiétant de ce ralentissement en disant qu’il est en partie dû à un ajustement saisonnier, l’activité au premier trimestre ayant été particulièrement bonne en raison d’un hiver doux ?
Cela est un argument qui peut jouer, mais qui n’explique pas tout.

D’autres atténuent le caractère sérieux de l’affaiblissement de la croissance allemande en indiquant que la Russie n’est pas le partenaire le plus important de l’Allemagne ?
Concrètement, la Russie n’a que peu d’effet pénalisant sur l’activité de l’Allemagne. En 2013, les exportations allemandes vers la Russie se sont élevées à 3,3% de l’ensemble des exportations allemandes.
Cependant avec ce qui se passe actuellement entre l’Ukraine et la Russie, une nouvelle dimension politique réapparait brutalement. Elle s’était estompée depuis le début des années 90. Elle change le cadre dans lequel les entreprises, allemandes notamment, étaient habituées à fonctionner.

Quel regard portez-vous sur le relâchement de la dynamique de l’ensemble de la zone euro et sur l’entrée en récession de l’Italie ? Cela pourrait-il avoir une conséquence plus néfaste sur l’Allemagne ?
Alors que l’Italie est entrée en récession, la France devrait connaitre de nouveau une quasi-stagnation de son PIB. Ainsi entre 35% et 40% de la zone euro avancent très lentement. Non seulement, il n’y a pas d’effet positif, de rôle moteur, découlant de ces pays, mais en plus leur faible expansion pénalise les exportations allemandes et des autres pays de la zone.
L’Allemagne devrait s’en tirer un peu mieux que la moyenne car elle a une source d’impulsion qui n’est pas seulement intérieure à la zone euro. Elle tire sa dynamique aussi de ses exportations vers les émergents et notamment l’Asie.

Vous attendiez-vous à l’entrée en récession de l’Italie ?
Nous n’avions pas de raisons d’être particulièrement enthousiastes malgré des enquêtes plutôt positives. Nous attendions une croissance nulle.
L’entrée en récession constitue une mauvaise surprise mais pas un changement marqué par rapport à nos prévisions de départ.

Peut-on craindre qu’à l’instar de l’Italie d’autres pays entrent en récession ?
La menace pèse essentiellement sur le Portugal et les Pays-Bas. Le Portugal a comme l’Italie retrouvé un PIB proche de celui de 2000.

Quelle est votre nouvelle perspective de croissance pour l’Allemagne ?
Aux alentours de 1,7%.

Qu’est-ce qui pourrait modifier la trajectoire de la croissance de la zone euro ?
Le problème de l’économie de la zone euro c’est l’absence d’impulsion sur la demande interne. La consommation des ménages et l’investissement des entreprises manquent de dynamisme et des aides apportées par les gouvernements restent limitées. Dès lors la demande adressée aux entreprises est limitée

Nous pouvons espérer que la dépréciation récente de l’euro se prolonge redonnant de la compétitivité aux économies européennes. Cela pourrait être le catalyseur attendu et permettrait d’avoir des perspectives plus positives.

Qu’attendez-vous comme soutien du côté de la politique monétaire de la BCE pour aider la croissance de la zone euro ?
Nous pourrions envisager le lancement d’un programme de rachat d’ABS qui donnera à la BCE une capacité d’intervention continue.
L’économie de la zone euro est très dépendante du financement bancaire. Procéder à un quantitative easing à l’américaine n’est pas une bonne idée, alors qu’agir via les ABS peut être d’une réelle efficacité.

Escomptez-vous ce lancement à la rentrée ?
Je l’espère dans les prochains mois. Toutefois, le problème est que l’encours des ABS disponibles en Europe est limité. Il y a la nécessité, avant de lancer un programme de grande ampleur, de changer les règles d’émission des ABS pour voir un redéveloppement du marché et permettre à la BCE d’avoir une force de frappe plus puissante.

Ce rachat d’ABS est la seule chose à attendre de la BCE ?
Vraisemblablement. Les réticences persisteront à l’égard du QE, ce d’autant plus qu’il n’y a pas de certitude quant à ses mérites.

Quelle évolution voyez-vous pour les taux d’intérêt de référence de la zone euro-à savoir les taux à dix ans allemands-et pour les actions de la zone euro ?

Je n’ai pas vraiment de conviction marquée sur le chemin que prendront les actions de la zone euro.
Il n’est pas exclu que les taux à dix ans allemands qui sont historiquement bas descendent encore. Il est néanmoins difficile de donner un objectif de fin d’année.

Propos recueillis par Imen Hazgui