Interview de Dimitri Meyer : Gérant d'un fonds spécialisé sur les ressources naturelles au sein de la société SPGP

Dimitri Meyer

Gérant d'un fonds spécialisé sur les ressources naturelles au sein de la société SPGP

Parmi nos principales convictions dans le secteur énergétique : Keyera et Anadarko Petroleum

Publié le 27 Août 2014

Quel regard portez-vous sur l’évolution du cours du baril de pétrole depuis le début de l’année ?
Si nous considérons l’évolution du Brent depuis le début de l’année, nous constatons une baisse de près de 7%. Cependant sur un historique un peu plus long, la stabilité prévaut.
Cela va faire près de quatre ans que nous évoluons dans un canal compris entre 100 et 120 dollars sur le prix du baril Brent. La moyenne est de 110 dollars, c’est exactement le niveau auquel nous nous trouvions il y a quelque semaines.
Nous ne voyons pas de raison fondamentale pour que cela change.

Selon vous, c’est une histoire inhabituelle si l’on considère l’Histoire du pétrole ?
Effectivement.

Les amplitudes observées cette année sont moins importantes ?
Ce qui peut paraitre surprenant compte tenu de l’accentuation des tensions géopolitiques.
Le pic atteint cette année a été de 115 dollars et le niveau plancher a été de 101 dollars.
Nous étions montés ponctuellement à 125 dollars en 2011 et nous étions descendus brièvement sous les 90 dollars en 2012.

Plusieurs risques baissiers sont identifiés pour l’évolution du cours du baril durant les prochains mois à venir. Le premier de ces risques réside dans une augmentation plus importante que prévu de la production pétrolière américaine
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Qu’en pensez-vous ?
La hausse de la production pétrolière américaine est sans doute la plus grosse thématique du moment sur le marché. Cette production a augmenté de 65% depuis 2008.
Nous pourrions avoir une inflexion de la réglementation sur l’interdiction des exportations de pétrole des Etats-Unis d’ici 9 à 12 mois. Cela ne changerait cependant pas grand-chose ponctuellement pour le cours du baril Brent.
Parallèlement la diminution des importations permise par le surplus de production ne devrait pas non plus être suffisamment abondante pour peser significativement sur le prix mondiaux du pétrole brut.

Quels commentaires vous inspire la probabilité d’un accroissement de la production pétrolière en Libye ?
Il persiste beaucoup d’instabilité dans le pays. De nombreux sabotages ont encore lieu sur des opérations pétrolières et des réseaux de transport. Si d’un point de vue purement technique nous pourrions envisager une amplification de la production, de multiples raisons militent pour que cela n’arrive pas. Nous ne voyons donc pas de pression baissière pour le cours du baril de ce coté là.

Quid de la levée de l’embargo des exportations pétrolières iraniennes ?
L’Iran fait partie de l’OPEP. Le pays, à l’instar de tous les membres du cartel, est soumis à des quotas de production. Le retard pris dans les exportations ne devrait pas conduire à un rattrapage dans les quotas imposés. Par ailleurs, l’Iran est confronté sur un horizon de moyen terme à un manque significatif d’infrastructures. Les autorités iraniennes vont devoir convaincre les investisseurs étrangers de l’opportunité de revenir pour remettre en marche la production. Une opération séduction a débuté mais cela va prendre du temps. Aussi, je ne pense pas que l’Iran est susceptible de faire sensiblement reculer les cours du baril.

Croyez-vous à la levée de cet embargo ?
Compte tenu du changement d’attitude des dirigeants iraniens, je pense que nous pouvons l’envisager.

Un quatrième risque évoqué pour le cours du baril réside dans l’appréciation du dollar ?
L’évolution du dollar est très difficile à prévoir. Il est très probable que si le dollar continue à s’apprécier durablement cela finira par peser sur le cours de la matière première. D’ailleurs, nous avons récemment pu constater un recul du prix du baril parallèlement à une appréciation de la valeur du dollar.
Par rapport au pic de l’année, le fléchissement du prix du pétrole Brent est de 8,7 % en euros et de 11% en dollars.
Le consensus table sur une poursuite de la revalorisation du dollar mais il n’y a aucune garantie. Ce sera un point à surveiller très attentivement.
Le cas échéant, si la remontée du cours du billet vert venait à être très importante, cela agirait sur le prix affiché du pétrole en dollar mais pas sur notre raisonnement sous-jacent concernant la matière première.

Hormis ces quatre principaux facteurs, voyez-vous une autre cause potentielle de repli du cours du baril ?
Nous ne sommes pas à l’abri d’une nouvelle détérioration de la situation en Europe. Nous pourrions faire face à une nouvelle phase de doute sur la solidité de certaines économies de la zone euro.

Quelles sont à présent selon vous les opportunités haussières pour la matière première ?
De manière générale, nous pouvons avancer le risque lié à une accentuation de l’instabilité politique. Il y a plusieurs régions productrices de pétrole ou proches de régions productrices dans lesquels les perturbations pourraient s’intensifier : en Irak, en Libye, en Ukraine, en Angola, au Nigéria…
Il n’est pas exclu que les troubles conduisent de nouveau le prix du baril vers le haut du canal et que l’on revoit un cours à 115 dollars comme au mois de juin.
De plus, l’Arabie Saoudite n’hésitera pas à intervenir en réduisant sa production pour maintenir un cours supérieur à 95 dollars qu’elle estime être nécessaire à son équilibre budgétaire.

Quelle analyse faites-vous de l’évolution du cours de l’or ?
J’ai une vision plutôt baissière sur l’or si l’on doit raisonner sur le plan fondamental.
Toutefois un certain nombre d’éléments se sont accumulés pour soutenir artificiellement le cours de l’once : la crise sur les devises des émergents de ce début d’année sur fond d’une contraction des opérations d’achat de titres de dette par la Réserve fédérale américaine, les incertitudes concernant la dynamique économique en Chine, le conflit entre l’Ukraine et la Russie, l’avancée des islamistes en Irak. Quasiment à chaque fois, l’or a joué son rôle de valeur refuge face à la recrudescence de l’instabilité.
Indépendamment de ces différents épisodes, le prix de l’or devrait varier à la baisse. D’autant qu’est de plus en plus évoqué la question d’un relèvement des taux directeurs par la Fed. Cela pourrait peser sur le métal jaune car cela aurait un effet sur les taux d’intérêt réels.

Qu'entendez-vous ?
En raison de la crise financière de 2008 et de la politique très accommodante de la Fed, cela fait plusieurs années que nous avons des taux d’intérêt réels négatifs aux Etats-Unis. Le coût de détention de l’or est alors plus intéressant.
Une hausse des taux par la Fed conduirait à des taux d’intérêt réels positifs et retirait un aspect relativement attractif de la matière première qui elle ne verse pas de coupons.

Quand voyez-vous la tendance baissière être amorcée ?
Le repli a déjà été amorcé depuis septembre 2011, moment auquel avait été touché le plus haut historique à plus de 1920 dollars l’once d’or. Sur la période le métal jaune a perdu 34% de sa valeur. Rien que sur 2013, la correction a été de 28%.

Depuis fin décembre, le rebond est de 16% ?

Considérer comme date de départ le 1er janvier est totalement artificiel. Entre juin et août 2013, l’or avait récupéré 20%. Cela est cependant passé inaperçu car l’évolution depuis janvier était négative.

A l’instar du pétrole, ce qui compte pour l’or c’est la tendance sur plusieurs années. Celle-ci est clairement défavorable.

Quelle suite des évènements escomptez-vous ?
Depuis fin mars, le cours de l’once tourne autour de 1300 dollars. Le marché cherche une direction. Lorsque celle-ci sera trouvée, elle sera probablement baissière.

Quel est le prix d’équilibre de l’or selon vous ?
Le prix d’équilibre théorique correspond au coût marginal de production de l’industrie aurifère, qui est de l’ordre de 1100 dollars. Ce niveau pourrait être cassé à la baisse. Cependant c’est le prix qui devrait prévaloir à long terme.

Hormis la remontée progressive des taux d’intérêt réels aux Etats-Unis, quelles autres considérations devraient peser à la baisse sur le cours de l’or ?

La moindre précipitation des pays émergents à acheter dès qu’il y a un creux sur l’or.

Que voulez-vous dire ?

L’or s’est inscrit dans une trajectoire haussière pendant 12 années consécutives. Aussi, dès qu’il y avait un repli, les opérateurs notamment des pays émergents se hâtaient pour acheter de peur que le prix ne remonte rapidement.
Ces derniers se sont progressivement aperçus que la donne a changé depuis fin 2011 et que l’or n’avait pas vocation à monter en permanence.

Qu’en est-il de votre allocation d’actifs ?
Sur le secteur pétrolier, notre stratégie d’investissement intègre plusieurs autres facteurs en plus du simple prix du Brent, comme la courbe du prix des futures, ou encore l’écart existant entre le prix du baril Brent et le prix du baril WTI.

Les grandes thématiques que nous jouons sont, dans l’ordre de leur importance en termes de pondération dans le portefeuille, le domaine pétrolier aval (infrastructures (pipelines, gazoducs, usines de traitement du gaz…), transport, chimie) ; le domaine de l’exploration/production et les servies pétroliers; le secteur des métaux industriels ; le secteur des énergies renouvelables et le secteur des métaux précieux.

Nous aimons la visibilité, la stabilité, l’opportunité de croissance et d’investissement liés à la recherche de l’indépendance énergétique des Etats-Unis. D’ici 20 ans la première puissance mondiale devrait être auto suffisante en énergie grâce notamment à l’essor des hydrocarbures de schiste.

Pourriez-vous nous donner des exemples de convictions ?

La première ligne de notre fonds est Keyera spécialisé dans le traitement et la distribution du gaz. Nous détenons la valeur depuis longtemps. Il nous arrive d’alléger nos positions mais simplement en raison de la bonne performance boursière du titre, de manière à éviter que la pondération ne devienne excessive.

Une autre de nos convictions est la société Anadarko Petroleum, connue pour avoir été impliquée malgré elle dans la fuite de pétrole de BP au sein du Golfe du Mexique.
De plus, la société était en proie à un litige du fait de mauvais agissements d’une entité rachetée en 2006. Une solution à l’amiable a été trouvée avec les plaignants. L’épée de Damoclès a donc disparu.
Sa gestion est saine et sa stratégie est bonne. 65% de ses investissements en capital sont réalisés aux Etats-Unis onshore dont 45% dans un seul champ de pétrole où Anadarko a un avantage compétitif énorme. Elle pourrait faire l’objet d’un rachat à tout moment.

Deux autres noms intéressants que nous pourrions mentionner sont Fission Uranium dont l’activité est de l’exploration pure et Tesla Motors, leader technologique mondial en matière de voitures électriques. Cette dernière valeur est certes chère mais nous sommes toujours convaincus par le management et par le plan de développement.

Qu’en est-il de votre positionnement sur l’or ?
Nous avons allégé nos investissements sur l’or. Sur un plan purement trading, nous pouvons citer la société Detour Gold.


Propos recueillis par Imen Hazgui