Interview de Philippe Delienne  : Sous Titre de l'interview

Philippe Delienne

Sous Titre de l'interview

Nous voyons deux principaux risques pour la France dans notre écran radar

Publié le 04 Novembre 2014

De quelle manière avez-vous accueilli les propos de la présidente de la Réserve fédérale américaine, Janet Yellen, mercredi 29 octobre ?
Sans surprise Madame Yellen a fait état de l’interruption du programme de quantitative easing lancé deux années auparavant.
S’agissant de la remontée des taux, les propos sont nuancés. Madame Yellen soutient que si l’économie se reprend plus rapidement que prévu, les taux seront relevés avant la date anticipée par les marchés. En revanche, si pour une raison ou pour une autre, la conjoncture aux Etats-Unis venait à ralentir, la hausse sera reportée à plus tard.
Cela me semble logique. Au sein de la Fed les partisans (non votants) d’une hausse accélérée des taux n’ont pas réussi à faire pencher la balance en faveur de leurs arguments.

Comment expliquez-vous la prudence affichée par Madame Yellen ?
Le principal facteur explicatif de cette prudence est l’évolution de la macroéconomie au sein de la zone euro.

Un autre facteur réside dans les craintes de la Fed d’assister, à la suite d’une augmentation de son taux directeur, à un retrait brutal des flux de liquidité abondants qui se sont orientés vers les obligations à haut rendement et les titres des pays émergents. Des perturbations violentes pourraient se matérialiser et compromettre la bonne santé de l’économie américaine.
Avant d’agir, la Fed veut adopter des mesures réglementaires en vue de limiter ces sorties de flux qui se sont concentrés au sein de quelques sociétés de gestion. Plusieurs pistes ont été étudiées mais rien n’a été achevé.

Ce risque vous parait-il important ?
Ce risque n’est pas nul, comme en témoigne ce qui s’est passé au printemps 2013.
De plus, au mois d’octobre de cette année des sorties conséquentes ont été constatées sur les obligations des entreprises américaines à haut rendement.
Cependant dès lors que toutes les autorités de tutelle sont en alerte, que les grandes sociétés de gestion sont conscientes du problème, que les investisseurs sont avisés sur la question, le risque semble limité dans son ampleur.

Pour quand tablez-vous sur la première remontée des taux directeurs aux Etats-Unis dans votre scénario central ?
Le milieu d’année prochaine. La Fed devrait commencer par augmenter ses taux de 0,25%.

En quoi consiste votre hypothèse de travail de ce côté-ci de l’Atlantique ?
Plusieurs points positifs se profilent à l’horizon.

Tout d’abord, le couple franco allemand parait fonctionner de nouveau. Deux économistes de part et d’autre du Rhin ont été nommés par les gouvernements français et allemand en vue de déterminer les actions communes susceptibles d’être prises sur le plan des réformes structurelles et des investissements. Un montant de 50 milliards d’euros a été évoqué.
Un document devrait être présenté à la mi-novembre avec des lignes directrices et des décisions devraient suivre, lors du Conseil des ministres de l’économie franco-allemand du 1er décembre.
Qui plus est, la BCE devrait intervenir davantage sur les marchés. Une nouvelle opération de refinancement ciblée des banques européennes est envisagée pour début décembre. La volonté est affichée d’agir en vue d’augmenter le bilan de 1000 milliards d’euros dans les deux ans à venir.
Par ailleurs, le plan Juncker prévoyant un investissement de 300 milliards d’euros sur trois ans devrait voir pouvoir voir le jour en dépit des deux contraintes fortes posées, à savoir l’absence d’augmentation des déficits budgétaires des Etats, et le maintien de la note triple A de la Banque européenne d’investissement. Les voies qui sont explorées semblent concrétisables, autrement dit une utilisation des fonds structurels européens et de la BEI comme garanties à des opérations de financement avec l’appui des banques pour porter des projets définis qui tourneraient autour des infrastructures et de l’innovation.

Ces trois éléments réunis devraient permettre à la zone euro d’éviter la récession et la déflation. A cela s’ajoutent la baisse du prix du pétrole et la dépréciation de l’euro.
Selon vous, nous devrions avoir une meilleure visibilité sur les chances qu’a la zone euro de s’en sortir d’ici la fin de l’année.
Effectivement.

Quels principaux risques avez-vous dans votre écran radar aujourd’hui ?
Deux interrogations majeures peuvent être soulevées au sein de l’Hexagone.
Le premier ministre Manuel Valls se positionne dans le rôle de réformateur et de modernisateur du parti socialiste. Il y aura lieu de surveiller de près si François Hollande assumera l’orientation de la politique du chef du gouvernement ou s’il voudra y mettre un terme en procédant à la dissolution de l’Assemblée.
La CGT et la CFDT prennent de plus en plus de la distance par rapport au gouvernement en place. Il sera crucial de s’assurer que nous n’aurons pas le développement d’une crise sociale accentuée.

Au niveau de la zone euro, nous sommes indéniablement au bord d’un risque grave, celui de la déflation. Même un pays comme la Belgique affiche aujourd’hui une inflation négative.
Si la déflation se généralise et s’installe, cela deviendra insoutenable pour les pays qui ont une dette significative et une productivité faible.

Quelles sont les principales caractéristiques de votre allocation d’actifs actuellement ?
Au-delà de notre retour sur les obligations d’entreprises à haut rendement américaines, nous sommes aussi sur les obligations émergentes.
Sur le front des actions, nous sommes investis sur les actions américaines, les actions japonaises et les actions émergentes, en particulier sur les actions indiennes.
Nous sommes pour l’instant attentistes s’agissant des actions françaises et des actions de la zone euro. Nous reviendrons si notre hypothèse de travail se vérifie et que les actions de la zone euro se mettent à surperformer les actions américaines.

Propos recueillis par Imen Hazgui