Interview de Rémi Lelu De Brach : Gérant taux chez Quilvest Gestion

Rémi Lelu De Brach

Gérant taux chez Quilvest Gestion

Nous voyons le taux directeur de la Fed à 1,125% fin 2015

Publié le 19 Décembre 2014

De quelle manière avez-vous accueilli le communiqué de la Fed ainsi que le discours de la présidente de la Banque centrale, Janet Yellen ce mercredi ?
Nous n’avons pas été très surpris par les éléments de communication. L’économie américaine s’inscrit sur une voie pratiquement tracée depuis un an et demie. La Fed a fait état de sa capacité à maintenir le cap qu’elle a défini au moment de l’enclenchement du processus de normalisation de sa politique monétaire.

Que voulez-vous dire ?
Au printemps 2013, l’ex président de la Fed, Ben Bernanke a signalé l’intention de la Banque centrale de se lancer dans la réduction du programme d’assouplissement quantitatif lancé en 2012 avant la fin de l’année. C’est ce qui s’est effectivement produit à partir de décembre 2013.
En 2014, Janet Yellen a pris la relève en indiquant au préalable une remontée des taux environ six mois après la fin du quantitative easing. Face à l’agitation des marchés qui se sont mis à penser alors que le relèvement pourrait avoir lieu plus tôt que prévu, Janet Yellen a apaisé les craintes en faisant mention d’une «période de temps considérable». Finalement la remontée des taux aura vraisemblablement lieu 6 mois après la fin des rachats d’actifs, exactement comme prévu dès le départ.

Dans quelle démarche s’inscrit selon vous la Fed actuellement ?
Historiquement nous pouvons distinguer deux grandes phases pour les banques centrales, une phase de crise et une phase d’expansion.
Pendant la phase de crise, les banques centrales se doivent de renforcer leur crédibilité et de donner des gages au marché. C’est ce que nous avons observé de la part de la Fed fin 2008 à fin 2012. De manière à donner le plus de visibilité possible au marché et de montrer sonaptitude à rester à la manœuvre, la Fed s’est appuyée sur une série de durées et d’objectifs chiffrés en termes de taux de chômage et d’inflation.
En phase de reprise, le maintien de la crédibilité des banques centrales est tout aussi important. Cependant celui-ci se fait de manière différente. La raison principale résidant dans le fait que la Fed doit faire attention à ne pas se retrouver contrainte par son propre discours.
La communication devient alors moins claire.
C’est dans cette phase et dans cette démarche que s’inscrit présentement la Fed. Celle-ci veut limiter la visibilité en méconnaissance de l’exacte évolution de la conjoncture économique aux Etats-Unis.

Le but recherché est celui de ne pas affoler le marché ?
Absolument. Dans le cas où la Fed venait à avancer une prévision de remontée de taux dans un laps de temps précis, deux choses pourraient arriver. Soit au fil du temps l’inflation se met à progresser de manière bien plus vigoureuse qu’attendu, une hausse des taux s’impose plus tôt qu’anticipé, et les marchés sont amenés à penser que la Fed a perdu le contrôle de l’inflation et est contrainte à réagir dans l’urgence.
Soit la conjoncture économique s’avère moins forte qu’escompté, la Fed se doit de patienter davantage avant de procéder à une augmentation de ses taux directeurs, le marché ne comprend pas ce qui se passe, s’inquiète de la situation.
Dans les deux scénarii, une panique en découlerait vraisemblablement.

Qu’est ce qui justifie l’enthousiasme des marchés après la publication du communiqué et la conférence de Yellen ?

Si l’on examine le communiqué, la Fed énonce que l’action du resserrement monétaire sera conçue avec patience et ajoute que cette démarche sera en accord avec la position précédente qui était de conserver les taux bas pendant une période de temps considérable.
Ces indications tendent à témoigner au marché que non seulement la Fed a le contrôle de sa politique monétaire mais que celle-ci entend conserver une allure prudente. C’est ce qui explique le repli notable de l’euro face au dollar de 1,24 à 1,22.

Indépendamment du facteur lié au processus d’ajustement des taux, n’y a-t-il pas d’autres données qui ont contribué à rassurer le marché et à conduire les investisseurs à se repositionner sur les actifs risqués ?
La Fed a révisé quelque peu négativement sa perspective de variation de l’inflation. Cela suppose qu’il ne devrait pas y avoir de hausse non controlée des prix et des salaires aux Etats-Unis. Ainsi non seulement la Fed ne se voit pas pressée outre mesure de changer son fusil d’épaule, mais en plus les marges des entreprises américaines devraient continuer à être confortables.
Janet Yellen a également minimisé la portée que pourrait avoir la crise que vit actuellement la Russie sur l’économie américaine et a mis en lumière le bénéfice procuré par la chute du cours du pétrole sur les agents privés américains l’assimilant à une diminution de taxe.

Vous envisagez un premier relèvement des taux par la Fed en avril. Pourquoi ?

Plusieurs commentaires nous amènent à cette déduction. La Fed a fait état du fait qu’elle n’agirait pas au cours des deux prochaines réunions. Elle également noté que le marché, qui intègre aujourd’hui une première hausse des taux en septembre, n’était pas dans la même trajectoire d’anticipation que les membres du FOMC.

Quelle rythmicité de hausse des taux pressentez-vous ?
Historiquement la Banque centrale a toujours procédé à un premier relèvement de 25 points de base. Le rythme devrait être ensuite de 25 bp supplémentaire à l’issue de chaque réunion du FOMC. L’idée étant de parvenir à un taux directeur de 1,125% (le taux directeur étant actuellement compris entre 0 et 0.25%) en fin d’année afin de ne pas entretenir outre mesure la formation d’une bulle sur les marchés.

Jusqu’où voyez-vous ces taux s’élever ?
Nous ne voyons pas les taux aller au-delà des 2,5%. La Fed aura à cœur de ne pas casser la dynamique en mettant à mal la capacité d’endettement des ménages. Dans cette optique les taux à dix ans américains pourrait se rehausser à 3,5%.

Présumez-vous un effet de contagion sur les taux européens ?
La hausse des taux américains et l’appréciation du dollar devraient avoir pour effet d’amoindrir l’attrait d’un positionnement sur les taux européens.

Ne pensez-vous pas que le quantative easing tant attendu de la BCE permettra de capper la hausse des taux européens ?

Nous sommes d’avis que la BCE sera contrainte à faire plus de stimulus monétaire en début d’année prochaine pour garder une certaine crédibilité et montrer que la zone euro n’est pas un bateau ivre. Un deuxième programme de rachat d’actifs sera probablement annoncé impliquant probablement dans un premier temps des obligations d’entreprises, puis des obligations d’Etat. Ceci étant nous appréhendons le fait que la réticence de l’Allemagne, confortée par la baisse de l’euro et du prix du pétrole, sera tellement virulente que le programme conçu sera a minima. Par ailleurs, les effets potentiels découlant de ce quantative easing ont été largement intégrés par le marché. Le taux à dix ans allemand est à 0,60%, le taux à dix ans italien en dessous de 2%.

Propos recueillis par Imen Hazgui