Interview de Jean-Pierre Valensi : Associé chez KPMG

Jean-Pierre Valensi

Associé chez KPMG

J'ai rarement vu en 20 ans autant de mobilisation au sujet des introductions en bourse en Europe

Publié le 30 Mars 2015

Quel regard portez-vous sur la dynamique des IPO en Europe en ce début d’année 2015 ?
Nous avons une vision positive de cette dynamique. Le pipeline des sociétés qui souhaiteraient s’introduire est important ce qui est aisément compréhensible compte tenu de l’environnement favorable dans lequel nous nous trouvons.

Le programme d’assouplissement quantitatif de la BCE, la faiblesse des taux d’intérêt, la dépréciation de l’euro, le fort repli du cours du pétrole constituent autant de sous-jacents économiques favorables. A cela s’ajoute les besoins d’investissement. Pendant de nombreuses années, les entreprises ont retenu leurs souhaits en la matière. Qui plus est, une multitude de fonds de capital risque et de capital investissement sont désireuses de tourner leurs lignes de participation.

Une douzaine d’opérations ont été recensées rien que sur le marché d’Euronext. Quels commentaires cela vous inspire-t-il ?

L’ordre de grandeur est indéniablement très significatif. Ce qui est encore plus notable c’est le fait que ces opérations se sont très bien déroulées dans l’ensemble. Cela renforce notre sentiment de confiance pour le reste de l’année avec l’idée tout de même que certains mois seront plus propices que d’autres. Ainsi, le mois de mai du fait des ponts, les mois d’été, ou encore la fin de l’année sont moins favorables.

A-t-on une idée de l’importance du pipeline ?
Il est difficile d’avoir une image précise, peut être une cinquantaine.
L’ordre de grandeur officiel au regard du nombre de documents de base visés par l’AMF représente une proportion assez faible de ce qui se passe. Ce n’est donc pas un critère représentatif de la réalité de terrain.
Ce qui est avéré c’est que nous sommes présentement de plus en plus contactés sur des projets d’introduction.

Hormis les considérations macroéconomiques et financières, des considérations d’ordre juridique militent pour une prolifération des IPO en Europe ?
Un certain nombre d’actions ont été prises au niveau national et au niveau européen pour simplifier le parcours d’introduction en bourse des petites et moyennes entreprises. L’AMF a lancé un groupe de réflexion sur les introductions en bourse en 2014 dont ont découlé six propositions phares.
Des modifications ont par ailleurs été apportées aux directives européennes portant sur la transparence et le prospectus. C’est ainsi que l’obligation de publication trimestrielle a été supprimé. De la souplesse a par ailleurs été apportée dans l’exercice de marketing du titre avant l’introduction.

J’ai rarement vu en 20 ans autant de mobilisation au sujet des IPO des parties prenantes du marché, en premier lieu desquels les autorités de régulation et les opérateurs de bourse.

Ces mesures simplificatrices ont-elles eu un réel effet ?
Vraisemblablement. Certaines obligations réglementaires étaient perçues comme des contraintes qui freinaient l’entrain des dirigeants d’entreprises d’aller en bourse. C’est une bonne chose que certains de ces freins aient été levés.
Parallèlement il semble qu’il y ait un changement d’état d’esprit chez beaucoup de dirigeants au profil plus jeune et au sujet des obligations imposées aux sociétés cotées. Un plus grand confort est affiché dans l’exercice de la communication.

D’autres actions allant dans la même direction pourraient-elles voir le jour cette année ?
Probablement. Nous participons à des groupes de travail qui visent à rendre plus lisibles les positions et les recommandations de l’AMF.
A la fois les dirigeants et directeurs financiers des entreprises, les cabinets de conseils, les autorités font le constat d’une accumulation et d’une sédimentation de ces positions et recommandations et identifient un impératif à rationnaliser pour donner plus de clarté, effacer les intersections voire les contradictions. Un travail de recensement et d’amélioration de la lisibilité est donc en cours.
Un travail est également effectué sur la communication au sujet des rémunérations des mandataires.
Une chose à suivre au niveau européen concerne la réforme de l’audit qui devrait avoir des conséquences sur la relation auditeur-audité. Un renforcement de la transparence pourrait avoir une influence dans les comportements.

Ces IPO ont pour point commun de s’inscrire dans une logique industrielle ?

Les entreprises que l’on rencontre sur le terrain ne viennent pas uniquement sous la contrainte d’un refinancement ou forcées par les fonds private equity auxquels elles sont adossées. Elles viennent pour développer des projets très structurants.

Pour certaines entreprises plus matures une autre motivation peut résider dans la recherche d’une notoriété pour être plus visible auprès de certains investisseurs étrangers.

Quelle vision avez-vous des secteurs impactés par ces opérations d’introduction ?
Le marché d’Euronext a su attirer beaucoup de sociétés biotechs y compris étrangères. Cela va se poursuivre. Le medtech va également beaucoup se développer. La technologie (Internet, l’électronique, le digital) reviendra de plus en plus à la charge.
Nous avons une base robuste d’ingénieurs en France en capacité de développer de nouveaux produits aussi performants que les ingénieurs américains mais avec malheureusement des moyens financiers moindres. Si la bourse parvient à financer ces projets nous pourrions avoir de nouvelles très belles entreprises.

Une concurrence semble s’accentuer entre Euronext et le London Stock Exchange pour attirer les nouvelles IPO en Europe. Pensez vous que cette concurrence pourrait avoir un effet stimulant sur la dynamique des opérations ?
La concurrence est généralement positive. Elle amène de l’innovation, une optimisation opérationnelle, une diminution des coûts.
Des avantages indéniables pourraient en découler pour les entreprises. A présent, il me semble qu’Euronext a les moyens de défendre ses territoires comme d’autres entreprises françaises dans d’autres secteurs.
Il n’est pas dit que le LSE va réussir à étendre son emprise au-delà de ses marchés naturels. D’importantes ressources commerciales sont nécessaires pour convaincre les entreprises.
Des arguments différenciateurs devront être mis en évidence, comme la base d’investisseurs, la liquidité ou d’autres modalités de fonctionnement de marché. La marge de manœuvre est néanmoins limitée par les directives européennes. La qualité des prestations et la visibilité donnée aux entreprises et à certains secteurs compteront de plus en plus également.

Quels risques pourraient mettre un terme à la dynamique ?

Un incident politique ou un début d’alerte sur les performances d’une entreprise peuvent assez rapidement gripper le marché.
C’est ce que nous avons connu en 2014. Dès le mois de mai nous avons eu quelques alertes sur résultats qui ont amené les investisseurs à se retirer, et qui ont bloqué par la même occasion les autres opérations d’introduction envisagées. Cela a été particulièrement vrai pour le marché français.


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Propos recueillis par Imen Hazgui