Interview de Bruno Ducros : Gérant actions chez Camgestion

Bruno Ducros

Gérant actions chez Camgestion

Dans le cas où la Grèce venait effectivement à sortir de la zone euro, la correction sur le Cac 40 pourrait avoisiner les 10% à 15%

Publié le 23 Avril 2015

Quel regard portez-vous sur le rebond du Cac 40 de plus de 20% à l’issue des trois premiers mois de l’année ?
Il est indubitable que la force du mouvement est à relier au quantitative easing de la Banque centrale européenne. Pendant plusieurs mois, le président de l’institution Mario Draghi a préparé le marché à cet évènement. L’assèchement attendu puis effectif du marché obligataire a conduit à un affaiblissement plus prononcé des rendements procurés par les actifs obligataires, ce qui a poussé les investisseurs à se rabattre massivement sur le marché des actions dans l’expectative de récupérer plus de revenus. Pour rappel le rendement procuré par les actions françaises est aujourd’hui en moyenne de 3% à comparer avec 0,3% pour le taux à dix ans français.

Le QE de la BCE est-il le seul facteur explicatif ?
L’embellie perçue sur le front de la macroéconomie de la zone euro ainsi que les révisions à la hausse des prévisions de croissance pour la région par les grandes institutions internationales, singulièrement le FMI, ont sans doute renforcé le sentiment de confiance des investisseurs pour se repositionner plus abondamment sur les actions de la zone euro et les actions françaises. L’estimation de hausse du PIB est passée de 0,8% à 1,5%.
D’aucuns indiquent que l’essentiel du parcours haussier a été alimenté par les investisseurs étrangers, en particulier américains ?
Je crois que le rebond est à la fois la résultante du retour d’investisseurs étrangers et d’investisseurs européens. Pour les deux types d’investisseurs, ce retour n’a pas été total. Il demeure, de part et d’autre, un potentiel de rattrapage des flux important.

Une pause s’impose-t-elle à ce stade du rallye ?
Il semble que nous nous inscrivions déjà depuis quelques jours dans une zone de turbulences vraisemblablement du fait du dossier grec et de l’approche des élections britanniques début mai.

Jusqu’où pourrait aller cette phase de turbulences ?
Dans le cas où la Grèce venait effectivement à sortir de la zone euro, la correction pourrait avoisiner les 10% à 15%. Si le dossier ne présente pas d’enjeu financier majeur du fait de la détention de 90% de la dette grecque par des institutions publiques ou parapubliques, il revêt cependant une dimension politique cruciale. La sortie de la Grèce pourrait ouvrir la porte à une dislocation de la zone euro.
Si le cas grec venait à se résoudre par un compromis relativement équilibré, une vive correction de 10% nous parait hors de propos. La différence de rémunération entre les actifs obligataires et les actions demeura tellement considérable qu’elle incitera les investisseurs à continuer à vouloir rechercher de la diversification en rachetant des actions. Toute baisse sera alors perçue comme l’occasion de revenir, davantage pour profiter du surplus de performance à venir.

Vous escomptez une poursuite du rallye pour le reste de l’année ?
Au regard de l’impact que le QE de la Fed a eu sur les actions américaines la première année de son déploiement, nous pouvons légitimement penser que nous ne sommes pas au bout du rallye sur les actions de la zone euro et notamment des actions françaises du fait du QE de la BCE.
Une progression des profits de 15% est escomptée pour les sociétés du Cac 40, hors Total. Cela me parait tout à fait atteignable. Ce qui est rassurant, c’est que le momentum des révisions des analystes est manifestement positif.

Une expansion des multiples additionnelle pourrait-elle se dessiner ?
Je le pense en effet. Cette expansion des multiples devraient être davantage relevée sur les valeurs de croissance qui offrent une visibilité sur l’amélioration de leurs résultats et sur la pérennité de la distribution de leur dividende.

Après 20% de progression, à combien jugez-vous le potentiel de rebond complémentaire pour le Cac 40 cette année ?
Par rapport à son niveau actuel, l’indice pourrait encore croitre de 10% à 15% avec une correction à plat en dehors de tout évènement d’ampleur défavorable.

Dans la cartographie des risques phares identifiés, que décelez-vous hormis une potentielle sortie de la Grèce ?
Je suis d’avis qu’il ne faut pas trop s’inquiéter de la mauvaise évolution des indices PMI d’aujourd’hui. Il y a incontestablement un problème de croissance dans la zone euro. Ce qui explique la massive intervention de la BCE. Cela ne fait cependant qu’un mois à peine que le programme de QE a été activé. Il est donc encore trop tôt pour s’en faire.
Le relèvement des taux directeurs par la Fed est un évènement à surveiller. Ceci étant, historiquement, on s’aperçoit que les premières remontées de taux n’ont pas négativement pesé sur les marchés actions. Qui plus est, la présidente de la Fed, Janet Yellen s’efforce de tout mettre en œuvre pour ne pas générer de brusques variations sur les marchés. Cette préoccupation plaide davantage pour dire que la probabilité d’un retournement est limitée outre la mauvaise humeur du premier moment. Même si un peu de nervosité apparait à la suite de la décision de la Fed, nous pouvons penser qu’assez rapidement le calme sera rétabli car les investisseurs auront à l’esprit que la hausse était nécessaire à la fois compte tenu de la solidification de la reprise aux Etats-Unis et pour redonner de la marge de manœuvre à la Fed en cas d’une nouvelle crise.

Quid du référendum qui pourrait être lancé au Royaume-Uni sur le maintien du pays au sein de l’Union européenne ?
La sortie du Royaume-Uni de l’UE, tout comme celle de la Grèce de la zone euro, pourrait bien entendu entrainer des soubresauts sur les marchés.
L’absence de réformes du gouvernement français pourrait-il devenir un sujet d’inquiétude de nature à chahuter la Bourse de Paris ?
Cette absence de réforme n’est pas nouvelle. Elle ne devrait pas être une menace pour cette année.

Quelles sont vos principales thématiques d’investissement ?
Nous mettons l’accent sur les valeurs de croissance moins susceptibles de souffrir d’un retournement de cycle, dans des secteurs clés comme l’agroalimentaire avec Danone, la santé avec Sanofi, le luxe avec LVMH.
Ces sociétés sont certes chères mais elles sont en mesure d’avoir du cash flow récurrent et de distribuer leur dividende.

Quels sont les derniers ajustements apportés à votre portefeuille ?
Nous nous sommes dernièrement renforcés sur Biomérieux, spécialisée dans l’analyse médicale. La société a une présence à l’internationale, notamment aux Etats-Unis. Elle est en mesure de traiter l’analyse moléculaire et de répondre à la médecine personnalisée.
Nous nous sommes allégés sur Alstom. A la suite de son alliance avec General Electric, la société était censée se retrouver avec un surplus significatif de cash qui devait être retourné à l’actionnaire. Tel ne devrait plus être le cas.

Propos recueillis par Imen Hazgui