Interview de Antoine  Brunet : Président d'AB Marchés, Coauteur avec Jean-Paul Guichard de ''La visée hégémonique de la Chine''

Antoine Brunet

Président d'AB Marchés, Coauteur avec Jean-Paul Guichard de ''La visée hégémonique de la Chine''

Chute de l'indice de Shanghai : c'est la réalité d'une hausse du PIB de la Chine de 3% à 4% cette année qui modifie profondément la perspective pour la Bourse locale chinoise

Publié le 28 Juillet 2015

Quel regard portez-vous sur l’effondrement de la Bourse locale chinoise ces dernières semaines ?
Il y a lieu de replacer la forte baisse de la Bourse locale chinoise dans son contexte, à savoir celui d’une montée des tensions entre la Chine et les Etats-Unis. Celle-ci est palpable à divers égards. En premier lieu, au travers de la confrontation entre les deux pays du fait de la construction d’iles artificielles par Pékin en mer de Chine du sud pour mieux mettre les pays d’Asie du sud est dans son orbite. Ensuite, par l'affrontement cybernétique et enfin par l'affrontement autour de la monnaie du monde et du FMI.

Que voulez vous dire ?

La Chine a créé l’AIIB et la Banque commune aux cinq pays des BRICS afin d’intimider les Etats-Unis et leur faire comprendre que s'ils continuaient à minimiser sa présence au sein du Fonds Monétaire International, elle avait la capacité de transformer l'AIIB en un FMI bis dont elle prendrait la tête.

En quoi la confrontation entre la Chine et les Etats-Unis a-t-elle eu un impact sur la Bourse locale chinoise ?

La Chine souhaite obtenir que le yuan entre dans le club des monnaies qui définissent le droit de tirage spécial au sein du FMI- à coté du dollar, du yen, du sterling et de l’euro- avec un poids relativement important.
Par ailleurs une fois rénové, la Chine veut que le DTS devienne progressivement la monnaie du monde à la place du dollar.

Afin d’aboutir à cet objectif la Chine devait se doter d’un certain nombre d’atouts avant la réunion du FMI qui doit avoir lieu en octobre 2015, date à laquelle le FMI doit, impérativement selon ses statuts, redéfinir le DTS (liste des monnaies admises dans le DTS, poids dévolu à chacune des monnaies).

Ainsi, depuis le début de l’année la Chine multiplie les initiatives en vue de ce rendez-vous crucial. Parmi celles-ci, figure l’ouverture de son marché boursier local. Les autorités chinoises ont commencé par accepter en novembre 2014 la connexion entre le marché de Shanghai et le marché de Hong Kong de manière à faciliter les entrées et sorties des investisseurs étrangers sur la Bourse locale.
Assez rapidement, sur fond d’une crainte que cette connexion donne lieu à des sorties de fonds vers l’extérieur, la Chine a adopté des mesures pour orienter le marché boursier local à la hausse. C’était par ailleurs et surtout un moyen d’augmenter la capitalisation boursière de la Chine en regard de la capitalisation boursière des Etats-Unis (18% seulement en novembre 2014).

La Chine a donc cherché à gonfler délibérément la Bourse locale…
Tout à fait, en particulier en encourageant les banques et autres officines à pratiquer le prêt sur marge auprès des ménages chinois désireux d’investir en Bourse, si bien qu’en juin, la capitalisation boursière a atteint 40% de la capitalisation boursière américaine. L’indice composite de Shanghai avait été multiplié en huit mois par 2,5, du jamais vu y compris en 1929 aux Etats-Unis. Le nombre de compte actions ouverts s’est élevé à 80 millions. Par ailleurs, grâce à l’euphorie des investisseurs, de nombreuses nouvelles sociétés ont pu être introduites sur le marché.

De là, les autorités chinoises ont fait le choix de prendre de nouvelles mesures pour modifier la direction de la tendance boursière afin de limiter les débordements d’une bulle boursière incontrôlable…

Absolument. Les autorités chinoises ont annoncé des décisions draconiennes visant à ralentir le rallye sans l’arrêter ou l’inverser. En réalité, le marché est passé directement de la bulle au krach

La maitrise de cette Bourse chinoise n’apparait pas aussi évidente au regard de la chute de l’indice composite de Shanghai ces derniers jours, en particulier ce lundi 27 juillet…

L’environnement est devenu délétère pour le marché. De nombreux investisseurs, notamment étrangers, veulent en sortir. L’intervention de l’Etat pour porter le marché à bout de bras n’est pas très rassurant.

Au-delà, trois autres points ont contribué à la chute de l’indice composite de Shanghai de plus de 8%. Tout d’abord, les cours des principales matières premières ont atteint de nouveaux points bas depuis 2009. Alors qu’il y a six ans le krach des commodities avait été temporaire, il apparait présentement que la tendance baissière s’inscrit dans la durée. Ceci suppose que la croissance mondiale est encore moins vigoureuse qu’on ne le pensait. Cette anémie de la croissance mondiale suggère implicitement que le ralentissement de la dynamique économique chinoise est plus prononcé que ne l'annonce Pékin. Très probablement, la cible de 7% de hausse du PIB chinois que Pékin maintient pour l'année 2015 ne sera pas du tout atteinte. La réalité sera bien plutôt une progression de 3% à 4%, ce qui modifie profondément la perspective pour la Bourse locale chinoise.

Quels sont les deux autres points ?

Le deuxième point réside dans le fait que le PE a atteint 68 au plus haut de l’indice de Shanghai. Or, le Bureau national des statistiques a signalé lundi matin que les profits des sociétés du secteur industriel étaient en repli en juin de 0,3% sur un an glissant. Ceci implique que la normalisation du PE ne pourra certainement pas se faire par une hausse des bénéfices mais plutôt par une baisse des cours de bourse.

Enfin, le troisième point est lié à une information relayée par Bloomberg vendredi soir selon laquelle le FMI aurait mis en garde la Chine sur le fait que les mesures aussi extrêmes adoptées jusqu’ici pour soutenir le marché boursier ne pouvaient à ses yeux se justifier seulement si la Chine se reconnaissait dans une crise majeure, ce qui aurait pour conséquence de remettre en cause l’intégration du yuan dans le panier des devises qui définissent le DTS. Ce message a eu un effet négatif dans l’esprit des investisseurs. Ces derniers se sont dit que comme la Chine veut absolument que sa devise entre dans le panier des devises du FMI, elle pourrait être amenée à alléger assez prochainement le dispositif de soutien au marché de Shanghai.

Portez-vous un regard inquiet sur la situation ?

Quelque peu.

La visibilité est-elle suffisamment bonne pour présager de ce que sera la suite des évènements ?
Il serait très hasardeux de dire ce que sera cette suite. Ce qui est très perturbant pour les investisseurs c’est le changement d’inflexion que les autorités chinoises ont voulu donner au marché depuis novembre 2014. D’abord, les mesures ont été prises pour doper le marché. Puis, en juin, d’autres mesures ont été annoncées pour ralentir le rallye. Et début juillet, une fois le krach boursier amorcé, des mesures en sens diamétralement opposées ont été actées pour à nouveau soutenir le marché. Le parti est allé jusqu’à menacer de prison les investisseurs qui jouaient le marché à la baisse.

Il me semble, ce faisant, que les investisseurs étrangers n’ont pas encore cessé de se retirer du marché. Ce d’autant plus qu’un autre sujet préoccupant est relatif au fait que de plus en plus d’institutions étatiques sont acheteuses sur le marché. De plus en plus de sociétés sont implicitement en cours de nationalisation. Il est assez logique de penser que les investisseurs étrangers ne veuillent pas se retrouver piégés dans la détention de titres de sociétés dont le capital serait majoritairement entre les mains du gouvernement.

Probablement, une accalmie pourrait être retrouvée lorsqu’il n’y aura que des investisseurs chinois sur le marché chinois.

Que pensez-vous des investisseurs étrangers encore positionnés dans le marché qui se targuent d’avoir une approche stock picking basée sur les fondamentaux des sociétés chinoises ?
Le PE moyen du marché est actuellement revenu de 68 à 50. A un tel niveau pour le PE moyen, on peut gager qu'il n’y a pas beaucoup d’entreprises chinoises qui ont un PE très attractif.

Dans votre scénario central, vous attendez-vous à ce que les autorités budgétaires et monétaires apportent de nouveaux soutiens à la Bourse locale ?

Toutes les mesures de soutien adoptées jusque là n’ont pas déployé leur plein effet. La Banque centrale a annoncé qu'elle mettait à disposition une enveloppe globale d’environ 450 milliards de dollars pour les officines qui pratiquent le prêt sur marge en faveur des particuliers.

Les autorités chinoises vont probablement limiter l'utilisation des munitions qu'elles ont mises sur la table jusqu’à ce que l’indice composite de Shanghai descende à un niveau plus défendable. Le niveau de 3000 points pour l'indice de Shanghai serait clairement plus facile à défendre que le niveau de 4000 points qu'elles ont en vain tenté de défendre.

Dernière précision : pensez-vous que les perturbations que l’on a connues sur la Bourse locale pourraient affecter davantage l’économie chinoise déjà relativement en souffrance ?
La Bourse locale chinoise ne constitue qu’une petite partie de l’économie chinoise. L’effet richesse négatif qui a été induit ne devrait pas être très important : le mouvement de hausse puis de baisse aura été trop rapide pour induire un impact négatif sur la conjoncture chinoise.

Ceci étant, comme je l’ai signalé précédemment, ce qui me parait plus inquiétant c’est l’évolution très préoccupante des prix des matières premières. Il indique un essoufflement de l’économie chinoise plus sérieux qu’attendu. Il donne la perspective d'une spirale dépressive de l'économie internationale dont on n’a pas encore tiré toutes les conséquences. Il n’est pas exclu que l’on assiste à davantage de tourmente dans les pays grands producteurs de matières premières comme l'Australie, le Brésil et plus généralement l'Amérique du sud, la Russie et l'Asie centrale, l’Afrique du Sud et toute l'Afrique.


Propos recueillis par Imen Hazgui