Interview de Charlie Carré : Economiste spécialisée sur l'Asie au sein de la Coface

Charlie Carré

Economiste spécialisée sur l'Asie au sein de la Coface

L'effondrement de la Bourse chinoise est un problème pour l'agenda des réformes de Pékin

Publié le 03 Août 2015

Quels commentaires vous inspirent l’état de la croissance chinoise actuellement ?
L’atterrissage de l’économie chinoise se poursuit en 2015. Les autorités apparaissent enclines à laisser l’économie ralentir pour permettre le rééquilibrage de la croissance au profit de la consommation.
Nous observons un ralentissement plus marqué de l’activité dans les secteurs présentant d’importantes surcapacités, notamment les secteurs liés à la construction et les secteurs fortement intensifs en matières premières. De plus, les profits des entreprises de ces secteurs sont affectés.
La consommation des ménages reste relativement soutenue. Cependant, la progression du revenu disponible a ralenti ces derniers trimestres et la confiance des consommateurs chinois s’est légèrement dégradée. Les ventes au détail, qui sont le principal indicateur proxy de cette consommation, restent bien orientées mais on observe une progression moins rapide.

Portez-vous un regard inquiet sur cette tendance ?

Nous avons modifié l’évaluation pays de la Chine en juin dernier. Nous avons déclassé le pays de la catégorie A3 à la catégorie A4. Cette décision n’a pas tant été motivée par le caractère plus prononcé du ralentissement macroéconomique mais par l’accentuation du risque microéconomique du fait de l’endettement élevé des entreprises et de leur surcapacité dont la résorption est compliquée par l’essoufflement de la dynamique de croissance.
Il s’agit d’un ralentissement structurel et bien que le rééquilibrage de la croissance au profit de la consommation et des services constitue un défi pour de nombreux secteurs, il devrait permettre à la Chine de développer une croissance plus soutenable à moyen terme. Les autorités affirment qu’elles sont prêtes à laisser l’économie ralentir pour permettre ce rééquilibrage et elles n’ont pas mis en place de plan de relance de l’ampleur de celui décidé en 2009. Néanmoins, la banque centrale chinoise assouplit régulièrement sa politique monétaire depuis novembre 2014 et les autorités mettent en place des mesures ciblées visant à atténuer les effets du ralentissement. De plus, le gouvernement a les moyens d’intervenir, notamment en cas de choc de grande ampleur sur le marché de l’immobilier.

S’agissant du risque microéconomique, comment avez-vous accueilli l’effondrement de la Bourse chinoise ces dernières semaines ?
L’effondrement récent de la Bourse locale chinoise a des répercussions différentes sur les ménages chinois, les entreprises chinoises, et l’Etat. S’agissant des ménages chinois, une incidence est à prévoir dans la mesure où 80% des investisseurs sur le marché local seraient des petits porteurs. L’effet richesse sur les ménages devrait, néanmoins, rester limité dans la mesure où le nombre de ménages concernés reste encore limité et le taux d’épargne des ménages chinois reste très élevé. On s’attend davantage à un effet lié à une dégradation de la confiance des consommateurs. De plus, la présence importante de petits porteurs est de nature à augmenter la volatilité des cours et à favoriser la spirale baissière dans la mesure où ces investisseurs n’anticipent plus de hausse des cours.

Quid des répercussions de cet effondrement boursier pour les entreprises chinoises ?

Les entreprises devraient être peu affectées. Le financement par le marché boursier est resté marginal et les entreprises ont peu investi en bourse ce qui devrait permettre de limiter l’impact sur les profits des entreprises. Par ailleurs, la décision prise par les autorités chinoises de ralentir le rythme des introductions en bourse devrait être atténuée par des mesures d’assouplissement de la politique monétaire de la Banque centrale de Chine.

Selon vous l’effondrement boursier devrait se faire davantage ressentir au niveau du calendrier des réformes du gouvernement et de la crédibilité de celui-ci dans son discours de réformes ?
La nouvelle équipe dirigeante indique clairement vouloir libéraliser davantage les échanges financiers. De plus, des discussions sont ouvertes avec le FMI en vue d’intégrer le yuan dans le panier des devises qui définissent le DTS.
L’interventionnisme récent des autorités pour juguler la chute de la Bourse, destiné à rassurer les investisseurs, n’a pas permis, pour le moment, d’enrayer les mouvements baissiers mais il a amené le FMI à réagir vendredi 24 juillet.
Une plus grande convertibilité du yuan et une plus large libéralisation de la finance chinoise sont de nature à pousser davantage d’investisseurs internationaux à s’orienter vers le marché boursier local et à accentuer le risque de voir la volatilité croitre et les variations de cours devenir plus erratiques.
Pour l’instant, les autorités continuent d’affirmer que le processus de libéralisation est toujours en cours et que les mesures prises restent ciblées. Néanmoins, le FMI devrait rester attentif à l’évolution des interventions des autorités sur le marché.

La Chine pourrait donc se retrouver face à un dilemme : intervenir davantage pour soutenir son marché boursier ou laisser faire afin de conserver sa crédibilité et de parvenir à faire intégrer le yuan dans le panier des devises servant à définir le DTS au sein du FMI. Qu’est ce qui selon vous devrait l’emporter ?
Nous considérons que l’Etat chinois interviendra le cas échéant pour piloter l’atterrissage en cas de choc de grande ampleur sur l’activité. Ainsi, il me paraît peu plausible que l’Etat chinois laisse le marché boursier local s’effondrer. Les autorités chinoises ont tenté d’alléger leur appui mais les cours ayant de nouveau fortement chuté, elles ont renouvelées leur soutien.

Est-ce que l’avertissement du FMI vous parait sérieux ? Y a-t-il vraiment un risque que si une intervention de l’Etat chinois persiste et s’amplifie, la décision soit prise de ne pas intégrer le yuan dans le panier de DTS.

Dans la mesure où les discussions entre l’Etat chinois et le FMI ne sont pas terminées sur ce point, je pense qu’il n’y a pas de raison de ne pas prendre au sérieux cet avertissement.

Est-ce que cette décision de ne pas intégrer le yuan dans le panier des monnaies qui définissent le DTS pourrait avoir une influence quelconque dans votre appréciation du risque pays ?

Notre analyse de risque ne prend pas en compte l’intégration du yuan dans le panier des monnaies qui définissent le DTS. Nous attachons davantage d’importance à l’endettement des entreprises ou les surcapacités qui touchent de nombreux secteurs. Le refus éventuel d’intégrer le yuan dans le panier du DTS n’empêcherait pas la progression du yuan dans les échanges internationaux mais l’intégration de la devise chinoise au panier du DTS permettrait de renforcer la position de la Chine au sein des organisations internationales.

Aucun élément ne vous pousse à ce jour à envisager une appréciation du risque plus élevée pour le pays ?

Pas à ce stade. Nous surveillons toutefois de très près l’évolution de la dette et des surcapacités. Par ailleurs, nous regardons également la confiance des ménages et l’état de la consommation. Nous n’anticipons pas d’effet marqué de la baisse de la bourse sur le moral des ménages, l’envolée de la bourse depuis la mi-2014 n’ayant pas eu d’impact sur la confiance des consommateurs et la consommation.

Propos recueillis par Imen Hazgui