Interview de Alain  Pitous : Directeur général adjoint - Associé chez Talence Gestion

Alain Pitous

Directeur général adjoint - Associé chez Talence Gestion

De quelle manière se profile le quatrième trimestre 2015 sur les marchés financiers ?

Publié le 06 Octobre 2015

Le troisième trimestre a été particulièrement négatif pour un certain nombre de marchés actions. Que ce soit l’Eurostoxx 50, Cac 40, le Dax, le S&P 500, l’ensemble de ces indices enregistrent une performance négative entre juillet et septembre. Quels commentaires cela vous inspire-t-il ?
Nous nous attendions à une consolidation des marchés actions en Europe et aux Etats-Unis compte tenu de leur début en fanfare. Après avoir performé de plus de 20%, les actions de la zone euro ne pouvaient pas continuer à monter en ligne droite toute l’année compte tenu de l’état de la conjoncture et des risques existants. Une respiration était donc prévue dans notre scénario central. Nous avions donc allégé la voilure dans nos portefeuilles.
Pour autant, nous ne savions pas par avance ce qui provoquerait précisément cette consolidation et de quelle ampleur serait la correction. La violente remontée des taux allemands au printemps ou les négociations en Grèce ont finalement été bien absorbées par contre les questions sur la conjoncture en Chine ou encore le scandale Volkswagen avec son incidence sur le secteur automobile européen ont provoqué des remous dont l’ampleur a pu surprendre.

De quelle manière se profile le quatrième trimestre selon-vous ?

La situation sur les marchés est très disparate. Alors que certains actifs sont clairement survalorisés, d’autres affichent une notable décote par rapport aux fondamentaux sous jacents. La question est celle de savoir si une déroute des actifs excessivement chers aujourd’hui pourrait entrainer les autres actifs dans leur mouvement défavorable.

Plusieurs points majeurs ont évolué dans le mauvais sens par rapport au début d’année. Ainsi alors que nous étions il y a quelques mois sur des anticipations de croissance positives dans de nombreux pays, à l’exception de certaines économies émergentes, nous avons vu régulièrement les prévisions être corrigées à la baisse. Aussi, alors que la croissance mondiale était initialement attendue à 3,8%, l’estimation est descendue autour de 3,3%. En cela l’essoufflement devrait être plus prononcé dans les pays émergents, la reprise devrait rester modérée dans la zone euro, et la dynamique aux Etats-Unis devrait demeurer tout juste correcte.
L’affaiblissement de la croissance mondiale suppose des anticipations de résultats d’entreprises moins bonnes que prévues.

Un autre changement de perception a concerné la politique des banques centrales. Etait attendue la poursuite d’une politique très accommodante de la part de la Banque centrale européenne et de la Banque centrale du Japon. Parallèlement, était escomptée la persistance d’une normalisation de la politique conduite par la Fed et la Banque centrale d’Angleterre. Au fil du temps, les doutes s’accentuent sur le timing et sur le rythme de la remontée des taux directeurs aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, l’inflation demeurant très basse du fait du vif repli des cours des matières premières. L’atonie de cette inflation influe négativement les rentrées fiscales et renchérit le cout réel de l’endettement.

Or il y a encore beaucoup trop de levier financier dans le monde. Le niveau de dette des Etats et des entreprises a massivement augmenté. Le volume de dette au niveau mondial a pratiquement doublé depuis huit ans. L’impression est donnée que les cures d’austérités mises en œuvre par certains gouvernements, comme au Portugal ou en Espagne, n’ont pas ou peu eu d’effet sur ce point.

L’ensemble de ces considérations conduisent à fortement s’interroger sur la pertinence de revenir dès maintenant sur les actifs risqués, notamment sur les actions, pour profiter des corrections d’Août et Septembre.

Sans compter, d’autres facteurs défavorables, résidant en premier lieu dans le net recul des cours des métaux et du pétrole qui a des retombées sur différentes parties prenantes (les pays producteurs, les sociétés minières, les entreprises partenaires, les banques exposées à ce secteur) et qui contribue à ébranler davantage la confiance sur les marchés.
Par ailleurs, l’intervention de la Banque centrale de Chine sur sa devise qui a entrainé sa dévaluation a alimenté des craintes non encore évincées de voir se concrétiser une guerre des changes dans le monde.
Au-delà, le statu quo de la Fed sur ses taux en septembre justifié par les menaces qui existent sur la scène internationale n’a pas été de nature à rassurer. Enfin, une inquiétude grandissante porte sur le développement du segment des obligations d’entreprises risquées, notamment américaines et sur la multiplication des défauts qui pourrait être constatée.
Des prémisses de la dégradation de la situation dans ce dernier compartiment peuvent être relevées à travers l’exemple de Glencore contraint à céder une partie conséquente de ses actifs. De même devrait-il en être d’autres grands noms de l’industrie énergétique et minière, comme Petrobras.
Enfin, l’histoire Volkswagen a non seulement heurté le secteur automobile mais a également jeté l’opprobre sur la qualité de toute la production manufacturière allemande.

Ceci étant, si je ne pense pas que nous soyons entrés dans un bear market, j’ai la conviction que les risques se sont accentués, et qu’il y a lieu d’être beaucoup plus sélectifs dans son allocation. Autrement dit, des endroits sont à éviter.
Raisonnablement, une poche de liquidité plus importante doit être conservée dans les portefeuilles. Même si le monétaire ne rapporte rien, au moins il permet d’avoir un point fixe dans son investissement.

Le risque lié à l’évolution du segment des obligations d’entreprises risquées est selon vous, à ce stade, le principal risque identifié ?

Le montant de la dette des entreprises américaines est évaluée à 7 800 milliards de dollars, dont 2500 milliards correspond à du « high yield ». Une large partie des sociétés concernées vont être amenées à devoir se refinancer dans les deux à trois ans à venir. Ce risque commence à être grandement intégré dans le marché mais n’a pas fini de l’être. Alors que certaines entreprises pouvaient se contenter d’offrir des taux de 5%-6%, ces mêmes entreprises doivent à présent proposer des taux de 8%-9%.

Pourrait-on craindre une crise du high yield américain comme nous avons pu avoir une crise des subprimes américains ?

Une différence de taille réside dans le fait que dans le compartiment du high yield nous n’avons pas, contrairement à ce que nous avons pu avoir dans celui subprimes, une ribambelle de parties prenantes qui aurait des conséquences en cascade sur tous ces intervenants.
Néanmoins, énormément d’encours se sont dirigés vers le high yield américain. Le marché n’est pas en mesure, en l’état, d’absorber des sorties violentes dans le cas d’un phénomène de panique. Il y a une probabilité non négligeable que le marché soit poussé à se refermer. Dans un tel scénario le stress de marché augmenterait nettement, nous n’en sommes pas là mais regardons ce segment avec attention.

Quels sont les principaux biais de votre allocation actuellement ?
Les actions de la zone euro continuent à avoir notre préférence en raison de la légère amélioration de la toile de fond macroéconomique qui devrait avoir des répercussions positives sur le plan microéconomique. Nous continuons également à être positionnés sur les actions américaines qui constituent un socle solide. Nous restons à l’écart du Japon et des émergents.
Nous évitons les obligations d’entreprises risquées et les obligations des pays émergents. Nous sommes assez courts dans la duration des obligations de qualité.

Notre poche de liquidité représente 20 à 25% de nos encours afin de pouvoir saisir les opportunités intéressantes créés par les phases de stress. Nous avons récemment renforcé la partie libellé en dollar : la FED devrait finir par monter ses taux ce qui impactera positivement la devise américaine.

Vous pressentez d’autres soubresauts d’ici la fin de l’année ?
Il n’est pas exclu que nous atteignons de nouveaux plus bas, avant de regagner de la hauteur. Je ne vois pas d’élément déclencheur d’un véritable redémarrage des marchés actions des pays développés à très court terme. Même si les résultats des entreprises seront à en ligne avec les anticipations, il est vraisemblable que les directions feront preuve d’une approche très prudente s’agissant des perspectives pour 2016.

Est-ce que la BCE pourrait être source de salut ?

Une intensification du programme de quantitative easing pourrait aider temporairement. Cependant assez rapidement les risques qui dominent sur le plan macro et micro reprendront le dessus.

Pourriez-vous nous livrer des exemples de valeurs décotées sur lesquels vous être revenus ou sur lesquels vous vous être renforcés à la suite des fortes fluctuations de cet été ?
Ingenico, une société très bien gérée, avec de bons résultats, un business model solide. La valeur est descendu de près de 130 euros à 100 euros du fait d’incertitude portant sur une forte acquisition.
Korian, une entreprise spécialisée dans les maisons de retraite est un autre exemple que l’on peut citer : l’activité est centrée sur l’Europe et la valorisation n’est pas excessive.




Propos recueillis par Imen Hazgui