Interview de Juan Nevado : Gérant chez M&G Investments

Juan Nevado

Gérant chez M&G Investments

Nous avons identifié de multiples opportunités sur les marchés à partir de notre philosophie d'investissement basée sur la finance comportementale

Publié le 08 Octobre 2015

De quelle manière définiriez-vous simplement l’approche basée sur la « finance comportementale » qui constitue le cœur de votre philosophie d’investissement au sein de l’équipe actions diversifiées de M&G ?
Nous cherchons essentiellement à exploiter les opportunités ou à éviter les risques générés par des investisseurs qui laissent leurs émotions obscurcir un jugement rationnel dans leurs décisions d’investissement. Nous pensons, que lorsque ces « erreurs » sont répétées au sein de l’ensemble de la communauté d’investissement, les actifs peuvent devenir temporairement mal évalués. Ainsi nous cherchons à éviter de détenir des actifs devenus trop chers, ou des actifs devenus bon marché, par rapport à leur juste valeur, du fait d’une évaluation de ces actifs basée sur des ressentis plutôt que sur des facteurs fondamentaux.

Selon vous, les investisseurs n’agissent pas toujours de manière rationnelle et logique sur les marchés financiers. En conséquence ces mêmes investisseurs commettent systématiquement des erreurs de jugement lorsqu’ils prennent des décisions d’investissement. Pensez-vous qu’une proportion importante des mouvements de marché soit effectivement causée par ces erreurs de jugement ?

Nous sommes d’avis que les moteurs comportementaux constituent un élément crucial des mouvements de marché. Selon Robert Shiller, qui a remporté le prix Nobel de l’économie en 2013, les fondamentaux n’expliqueraient que 20% des mouvements de prix des actifs tandis que les facteurs comportementaux et le risque endogène expliqueraient les 80% restants.
En effet, si nous regardons en arrière, nous pouvons nous apercevoir que des phases de volatilité irrationnelle sont survenues tout au long de l’histoire des marchés financiers, depuis la formation et l’éclatement de la bulle Internet en 2000, en passant par le krach de Wall Street de 1929, et même en remontant à la bulle des tulipes hollandaise au cours du 17ème siècle.

Lorsque les erreurs sont répétées au sein de la communauté d’investisseurs, ils causent des mouvements de prix des actifs illogiques. Pensez-vous que les mouvements violents constatées depuis le début de l’année sur les marché financiers, dans les actions, les obligations, les matières premières, les taux… s’expliquent par ce phénomène ?
La relation entre les mouvements de marché, les fondamentaux, et les facteurs comportements est complexe. Il peut être très difficile de démêler précisément l’interaction alambiquée qui existe entre la myriade de facteurs qui dirigent le prix des actifs sur différentes périodes.
La volatilité n’est pas toujours simplement la résultante de facteurs comportementaux. Parfois les mouvements de marché sont justifiés par un véritablement changement des fondamentaux sous jacents, mais souvent, nous considérons que les impulsions émotionnelles des investisseurs jouent un certain rôle.
Depuis le début de l’année, nous avons pu percevoir un surcroit de volatilité à travers l’ensemble des marchés financiers dans le monde. Cependant, de notre point de vue, peu de choses ont réellement été modifiées ces derniers mois dans le tableau général de l’économie mondiale. La tendance des données économiques pour la plupart des pays développés continue à poindre vers une reprise graduelle, alors que la politique menée au sein de la plupart des régions reste très accommodante. Rationnellement, cela devrait constituer un soutien pour les actifs risqués comme les actions. Or, les actions ont subit d’importants sursauts de volatilité.
Parallèlement, la plupart des actifs dits « refuges » comme les obligations gouvernementales des pays développés demeurent survalorisés, selon nous. Nous admettons que cette configuration est largement attribuable à un changement de sentiment plutôt qu’à un changement de faits, dès lors que les investisseurs sont encore endigués dans le traumatisme de la crise de 2008 et ne croient pas dans leur grande majorité qu’une reprise durable, bien établie soit en cours.

Ainsi, les marchés sont actuellement très sensibles à toute forme d’incertitude, particulièrement celles créées par les grandes banques centrales de la planète, qui depuis 2008, ont eu un rôle sans précédent dans l’évolution des marchés. Aussi, les marchés sont devenus très sensibles à la manière dont les opérateurs perçoivent les développements des politiques conduites-comme l’éventuelle prochaine remontée des taux de la Fed, ou l’ action surprenante de la Banque centrale de Chine qui a entrainé une dévaluation de la devise domestique- et moins concentrés sur les réelles conditions économiques.

Les inefficiences offrent ainsi une fenêtre d’opportunités à ceux qui savent reconnaitre ce qui dirigent les mouvements des prix des actifs et conçoivent des stratégies pour en bénéficier. Quelles sont les stratégies que vous avez récemment déployées pour tirer avantage des inefficiences observées dernièrement ?
Le focus mis sur le ralentissement économique de la Chine et la persistance des faibles cours des matières premières ont conduits à des hausses significatives de la volatilité ces dernières semaines. Notre sentiment est que ces facteurs, bien qu’étant importants pour certains marchés spécifiques, ne devraient pas avoir un fort impact sur les fondamentaux au niveau global. Il existe en effet de véritables risques macroéconomiques en Chine, cependant, nous ne tablons pas sur le fait que les sorties massives auxquelles nous avons assisté sur les marchés actions des pays développés aient été dans une certaine mesure l’aboutissement d’une réflexion rationnelle concernant la détérioration des fondamentaux observée aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou en Europe. De ce fait, nous voyons les fortes corrections qui sont survenues comme des sources d’opportunités pour augmenter notre exposition au marché actions dans ces régions.

Vous admettez que les inefficiences corrigeront dès lors que les fondamentaux constituent le moteur clé de la véritable valorisation d’un actif et qu’ils finissent tôt ou tard par prendre le dessus. Est-ce toujours exact ? Combien de temps est requis pour assister à la correction de ces inefficiences ? Combien de temps êtes-vous en capacité d’attendre pour assister à cette correction ?
Lorsque nous essayons d’identifier les différentes phases d’une volatilité induite par des émotions, nous considérons généralement trois principaux facteurs. Les gros titres qui se focalisent excessivement sur une histoire en particulier. Les mouvements de prix étranges qui se dessinent indépendamment des tendances observables sur la base d’éléments fondamentaux. Les mouvements de prix très rapides.
Nous pensons que ce sont trois bons indicateurs pour déterminer si des sentiments et non les fondamentaux sont à l’origine des mouvements de marché. A présent, il n’y a pas de période préétablie pour voir ces phases se corriger. Cela peut prendre quelques jours, quelques semaines ou quelques mois.
Néanmoins, comme j’ai pu le mentionner, occasionnellement des mauvaises évaluations peuvent refléter en réalité un changement dans les fondamentaux que nous n’aurions pas perçu. Si les mauvaises évaluations ne sont pas corrigées dans un laps de temps de 18 mois, nous pouvons être amenés à admettre que cette mauvaise appréciation n’est pas in fine le fruit de biais comportements.

Pour avoir une philosophie d’investissement basée sur la finance comportementale qui ait des résultats positifs, il est vital selon vous de savoir reconnaitre que nous pouvons savoir très peu de choses à propos de l’avenir et d’éviter de tenter de prédire ou de prévoir les mouvements de marché. Que penser alors de toutes les prévisions faites par les économistes, les analystes, les stratégistes…Comment doit on considérer les études réalisées par ces derniers ?
Dans le cadre de notre processus de prise de décisions d’investissement, nous nous efforçons d’éviter de tenter de faire des prévisions économiques ou de market timing. Nous sommes d’avis que ces paramètres sont très difficiles à anticiper avec justesse de manière cohérente, et que chercher à le faire peut s’avérer être une distraction inutile.
Nous préférons ainsi réserver notre énergie et nos ressources sur ce que nous pouvons savoir réellement, autrement dit ce que nous dit la valorisation d’un actif sur son attractivité dans le contexte économique qui prévaut.
Cependant, cela ne veut pas dire que nous ignorons ce que les autres investisseurs tentent de prévoir. Les prévisions effectuées sont importantes à prendre en compte pour essayer de comprendre quels facteurs sont susceptibles d’influencer la valorisation des actifs à tout moment et comprendre comment les autres évaluent des actifs en fonction de ce que devraient être leur prix d’un point de vue consensuel.

Il est crucial de distinguer quelle part de nos vues d’investissement sont attribuables aux éléments de fait que nous pouvons connaitre et quelle part sont attribuables à nos émotions. Comment faire la distinction ? Pourriez-vous illustrer votre réponse avec un exemple concret lié à ce qui s’est passé dernièrement ?

Considérons les récents mouvements de marché en réponse aux derniers développements survenus en Chine. Le tableau économique de la Chine n’a pas foncièrement changé (le mouvement survenu sur la devise devrait être un bienfait après tout). Bien qu’il existe des risques fondamentaux importants dans le pays, ce n’est pas exactement un choc soudain de croissance qui a poussé la plupart des mouvements baissiers à la mi-aout. Il était évident qu’un ralentissement de la croissance en Chine était en œuvre depuis le début de l’année. Cependant, la Banque centrale de Chine a brusquement décidé de dévaluer le yuan au début du mois d’août, surprenant ainsi les marchés et attirant l’attention.
En conséquence, il semble que davantage un changement de perception qu’un changement dans les fondamentaux a conduit aux mouvements baissiers constatés.
Nous disons souvent que les marchés ne répondent pas nécessairement aux développements qui ont lieu au moment le plus logique. Il a y a toujours un grand nombre de choses qui se passent au sein de l’économie mondiale, que les investisseurs peuvent à n’importe quel moment décider d’avoir dans leur collimateur. Souvent lorsque les investisseurs ont un sentiment négatif, ils vont chercher à se concentrer sur les éléments qui vont renforcer leur impression et vice-versa. De ce fait, la majeure partie de la complexité des marchés est distillée dans une seule histoire qui conduit à de soudains basculements dans les sentiments qui peuvent prendre de l’ampleur.
Bien que nous ne puissions pas dire que les problèmes que connaissent la Chine ne sont que de simples bruits, il y a récemment eu beaucoup plus de bruits autour du sujet qui s’est reflété par des gros titres sur des choses de moindre importance comme la baisse de certains indices vers certains niveaux.
Ainsi nous avons identifié des opportunités intéressantes sur d’autres marchés qui sur le long terme devraient être moins directement affectés.

Les investisseurs restent traumatisés par leur expérience de 2008, sont encore très averses au risque et demandent de la sécurité à tout prix. Quelles conséquences cela implique-t-il ? Qu’est ce qui pourrait amener à faire évoluer cette situation ? Peut-on escompter cette évolution bientôt ?
Nous sommes effectivement convaincus que de nombreux investisseurs restent profondément traumatisés par la crise de 2008. Ainsi nos analyses suggèrent que de nombreux « actifs risqués » restent sous évalués et que de nombreux « actifs refuges » sont sur évalués. Selon nous, cela signifie que certains marchés actions offrent encore de multiples opportunités actuellement alors que d’autres segments, comme celui des traditionnelles obligations d’Etat apparaissent en réalité trop risqués. Le défi émotionnel auquel nous faisons face aujourd’hui est qu’alors nos convictions de long terme vont dans le sens d’une rectification éventuelle de cette situation, il est impossible de savoir quand aura lieu cette rectification et nous devons accepter qu’elle pourrait prendre plus de du temps que prévu pour survenir.
Nous allons avoir principalement besoin de voir une forte évidence d’une reprise soutenable dans davantage de zones économiques dans le monde afin d’alimenter le sentiment que l’environnement est bien moins fragile qu’il ne l’a été ces dernières années.

Propos recueillis par Imen Hazgui