Interview de Daniel  Gerino : Président, directeur de la gestion et RCCI de Carlton Selection

Daniel Gerino

Président, directeur de la gestion et RCCI de Carlton Selection

Nous pourrions retrouver un Cac 40 à 5000 points d'ici la fin de l'année, ce qui suppose une performance de 10%

Publié le 04 Mai 2016

Quel regard portez-vous sur l’évolution du marché des actions européennes depuis le début de l’année ?
Le parcours du marché peut paraitre surprenant au regard de l’amélioration de la toile de fond macroéconomique. La reprise au sein de la zone euro est confirmée. La consommation demeure solide. Le crédit a connu un certain redémarrage. Les résultats des entreprises sont globalement en ligne avec les attentes.
On s’aperçoit que la baisse a été tirée en majeure partie par certains secteurs, en particulier comme les assurances et les banques. Si l’on retire ces deux pans de l’activité économique des indices, les valorisations apparaissent clairement moins affectées.

Comment interprétez-vous la rotation sectorielle qui s’est dessinée en faveur des valeurs du secteur des ressources de base et du secteur énergétique ?

La déflagration sur les matières premières a été poussée à l’extrême en 2015. Une récupération a été amorcée en début d’année si bien que le secteur des ressources de base et le secteur énergétique affichent les meilleures performances depuis janvier, autour de 25% et 50%.
L’environnement actuel se caractérise par ailleurs par une forte dispersion de performances à l’intérieur des secteurs. Qu’en pensez-vous ?
Dans ce contexte perturbé, les opérateurs s’intéressent de plus près à la valorisation et aux fondamentaux propres à chaque société. Un travail de stock picking est réellement effectué.

D’aucuns accueillent favorablement le regain de volatilité que l’on connait depuis le début de l’année, indiquant que nous sommes revenus à une situation normalisée compte tenu du caractère risqué du marché ?

Je n’accueille pas aussi favorablement ce regain de volatilité qui traduit selon moi une certaine défiance des opérateurs de marché compte tenu des éléments de risque existants et en l’absence d’une arrivée de flux de capitaux massive supplémentaire de la part de la BCE. Cette dernière qui a déjà beaucoup agit sur le niveau des taux et sur la quantité d’actifs rachetés tous les mois a davantage vocation à intervenir à l’avenir sur la durabilité de son programme de quantitative easing plutôt que sur son volume.
Cette situation donne au marché l’impression d’être abandonné et le rend plus craintif face aux éventuels chocs qui peuvent provenir de l’extérieur, ce qui explique la tentation de prendre des bénéfices tout de suite après des légères remontées.

Vous estimez que nous sommes dans une phase de transition qui ne se veut pas durable ?

Selon nous il n’y a pas objectivement de raisons pour que le marché demeure dans une configuration de tôle ondulée. Dit autrement nous tablons sur une baisse à venir de la volatilité.

Quel regard portez-vous sur la valorisation du segment ?

Les prix ne sont pas excessifs si l’on se fie aux perspectives des marges bénéficiaires des sociétés.
Un niveau moyen de PE (price/earnings) n’a pas grand sens dans le reflet de la réalité car il intégre des valeurs qui ont un PE très élevé et des valeurs qui ont au contraire un PE très faible susceptible d’augmenter significativement.

Une certaine prudence est affichée par les analystes s’agissant des prévisions de hausse de bénéfices pour les entreprises européennes. Est-il vraisemblable que nous ayons de bonnes surprises aussi bien concernant les chiffres de 2016 que les guidelines données pour 2017 ?
Il y a effectivement un excès de prudence du fait du plafonnement de la profitabilité des entreprises américaines et de leur perte importante de productivité. Or les entreprises européennes ne se trouvent pas dans le même stade du cycle des profits. La place aux mauvaises surprises ainsi bien plus ténue devrait permettre de soutenir la dynamique haussière sur le marché. En outre, les attentes étant moins élevées, la pression est atténuée sur l’équipe de management des sociétés pour délivrer à court terme, et l’opportunité est donnée pour concevoir une stratégie de plus longue durée.

Le consensus table plutôt sur une croissance des profits autour de 3%. Quel niveau peut-on escompter ?

Si l’on parvient à atteindre les 5%, c’est une bonne chose. La rémunération de tout autre investissement, est largement inférieure.
Le retour sur dividende d’une société comme Natixis se situe autour de 7% sur un note de crédit de A, simplement parce que l’entité appartient au secteur bancaire qui est très désavoué. Cela équivaut au rendement que peut offrir une société de pétrole de schiste américaine proche du chapter 11.

Quels principaux risques identifiez-vous à ce stade pour la classe d’actifs ?

Je ne conçois par de dérapage provenant de Chine à court terme. Les autorités chinoises sont à la manoeuvre du changement de modèle de développement du pays qui vise à mettre l’accent sur la consommation domestique et les services au lieu des exportations et de la production purement manufacturière.
Je n’escompte pas non plus de mauvaise surprise émanant des Etats-Unis. La Fed est en train de réaliser qu’elle ne peut pas avoir un rythme soutenu de remontée de ses taux directeurs du fait des fragilités qui existent au niveau international. Tout au plus, devrions nous avons une hausse de taux cette année afin d’éviter une vive appréciation du dollar.
Je suis davantage inquiet par la menace du Brexit. La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne pourrait affecter grandement l’Europe sur le plan politique et sociétal, bien plus que maintenant. Cet évènement marquerait un début de détricotage de tout de système européen.

Le Brexit pourrait être précipité par les négociations tendues qui ont lieu entre la Grèce et ses homologues européens ?

Si nous ne parvenons pas à régler d’ici la fin du mois de mai le problème du troisième plan de soutien à la Grèce, le risque sera bien plus élevé non seulement pour le Brexit, mais aussi pour la montée en puissance des partis extrémistes, notamment Podemos en Espagne et le Front national en France, et au final un terrible retour en arrière.
Sous l’impulsion de l’Allemagne, qui a 54 milliards d’euros d’engagements sur la Grèce, la Troïka réclame à Athènes un solde budgétaire primaire de 3,5% alors qu’elle est présentement à 1.50%. Jugeant quasi impossible l’atteinte d’une telle cible, le FMI menace de ne plus honorer sa part du financement. Pour cadrer les choses, et rassurer le FMI, un nouveau plan d’austérité est sollicité auprès d’Alexis Tsipras alors que celui-ci respecte à la lettre son cahier des charges et n’a plus qu’une très faible majorité en sa faveur au Parlement.

Quelle lecture faites-vous des a-coups de stress qu’engendrent les mauvaises nouvelles économiques portant sur l’économie chinoise ?
Les marchés se sont focalisés sur la Chine de manière totalement démesurée. Hier, des tensions se sont fait sentir en raison de l’indice Caixin qui s’est établi à 49,4 au lieu de 49,8.
Les réactions sont basées sur un raisonnement très courtermiste sans considération du chemin que la Chine a décidé de parcourir sur le long terme.
Pour rappel le pays est la deuxième puissance économique mondiale. Il représente, avec près de 1,3 milliard d’habitants, près de 60% du PIB américain et continue d’afficher un taux de croissance de 6,5% quand les Etats-Unis sont à 2,5% et se dirigent vers 2%.

Les grands indices actions européennes enregistrent une correction entre 5% et 10% depuis janvier. Quelle variation peut-on espérer pour le reste de l’année ?

Je suis optimiste s’agissant des perspectives d’évolution des marchés d’ici la fin de l’année. Je suis d’avis que nous pourrions retrouver un Cac 40 à 5000 points, ce qui suppose une performance de 10% d’ici la fin de l’année.
Le Stoxx 600 devrait pouvoir compenser la perte qu’il a subie jusqu’ici.

Avez-vous des biais sectoriels ou géographiques dans votre allocation ?

Nous sommes majoritairement investis sur la France. Nous sommes sortis de l’Italie qui été grande victorieuse l’année dernière. Nous regardons de près l’Espagne mais attendons encore pour y aller.
Nous aimons bien l’immobilier. Nous sommes positionnés sur de grandes foncières comme Unibail, Klepierre. Nous avons entamé une exposition sur les biotechnologies.
L’échec de l’opération entre Orange et Bouygues nous a incités à nous renforcer sur les valeurs télécoms, notamment sur Orange et Iliad. Nous avons pris nos bénéficies sur le premier titre, et avons pour l’instant conservé le second.

Nous restons à l’écart des valeurs utilities très dépendantes des finances publiques. Nous préférons travailler sur les matières premières et le pétrole que sur la chimie.

Propos recueillis par Imen Hazgui