Interview de Sébastien Thevoux-Chabuel :  Gérant et Analyste ESG chez Comgest

Sébastien Thevoux-Chabuel

Gérant et Analyste ESG chez Comgest

Quelle évolution de la réglementation autour de l'Investissement socialement responsable ?

Publié le 12 Décembre 2019

Quel regard portez-vous sur la réglementation régissant l’investissement socialement responsable ?
La réglementation régissant l’investissement socialement responsable a débuté avec de la « soft law » ou « droit mou ». Dit autrement, un certain nombre d’acteurs de l’industrie de l’asset management se sont accordés pour déterminer de grands standards servant de repères afin d’encadrer la matière et d’aider le discernement des clients finaux. Dans cette logique, nous pouvons mentionner les normes ISR lancées par le Forum de l’Investissement Responsable (FIR), la label ISR octroyé par Novethic, ou encore le Code de transparence européen conçu par l’Association Française de la Gestion Financière, l’European Sustainable Investment Forum (EUROSIF) et le FIR.

Dans ce processus de réglementation dont le respect est basé sur le volontariat, une étape importante a été marquée avec les PRI (Principes pour l’Investissement Responsable). L’ONU a cherché à décliner du côté des investisseurs ce qui a été défini du côté des entreprises avec le Global Compact, une initiative proposée en 2000. Pour rappel, ce corpus de 10 principes visait à inciter les entreprises du monde entier à adopter une attitude socialement responsable, en particulier par rapport aux droits humains, la protection de l’environnement et la lutte contre la corruption. Dans le cas des PRI, il est question de 6 principes phares.

Une démarche similaire a été suivie en France avec l’Article 173 de la Loi de transition énergétique qui était le reflet des Articles 224 et 225 de la loi Grenelle II dans le but d’aligner le compte-rendu exigé auprès des entreprises et des investisseurs sur la manière dont ils considèrent le développement durable d’un côté et l’investissement socialement responsable de l’autre côté afin d’éviter les figures libres rendant aléatoire et incomparable le contenu des reportings.

L’Article 173 a ensuite donné lieu à l’adoption de dispositions par décret visant à englober les dimensions sociales et de gouvernance et donc à dépasser la dimension purement environnementale.

Cet article 173 a été le point de départ d’un droit plus dur…
Si elle n’est pas très poussée dans sa dimension prescriptive sur la forme et sur le fond, cette réglementation a le mérite d’être suffisamment explicite sur l’obligation de s’emparer du sujet ESG.

Il était entendu qu’il y aurait une période probatoire au cours de laquelle seraient repérées les meilleures pratiques déployées pour définir plus finement ce que devait contenir un reporting ESG. Ce bilan est intervenu en juillet 2019 et devrait donner lieu à davantage de coercition sur ce que doit contenir un reporting extra-financier.

Avec l’article 173, la directive sur les droits des actionnaires dans sa version 1 et 2 et la taxonomie envisagée par la Commission européenne, nous avons clairement changé de braquet...
Le régulateur ne laisse plus le choix aux opérateurs d’appliquer les règles édictées. Ce qui relevait au départ d’une logique commerciale pour appeler l’épargne avec de simples codes de transparence prend une autre ampleur avec la volonté de refondre la finance ou le capitalisme tel qu’il fonctionne. On s’est orienté vers la remise en cause de tout un système.

La Loi Pacte adoptée en France, centrée sur les entreprises, a eu un réel écho sur ce que l’Union européenne cherche à faire avec la taxonomie et son plan d’action pour rendre la finance plus verte et plus encline à aider à la participation de la transition écologique et énergétique.

Cette taxonomie a pour objet en toile de fond de donner un autre sens au rôle et à l’activité d’un investisseur eu égard à la finance verte.

Ce projet a été reporté de 2020 à 2021...

Une grande ambition est affichée par rapport à un projet relativement complexe. Il est difficile de présager si ce projet aboutira concrètement et quels en seront les impacts essentiels

Si le projet aboutit, il faut s’attendre à un corpus réglementaire très important. Une chose inédite au niveau mondial.

Un scénario dit de « inevitable policy response » sur les impacts potentiels des futures réglementations climatiques visant à endiguer le réchauffement climatique a récemment été établi.
Quelle probabilité donnez-vous à la concrétisation de ce scénario ?

Selon ce courant de pensée, dans la course contre la montre que nous connaissons actuellement pour relever les défis du changement climatique, il va probablement y avoir à court terme une multiplication de réponses réglementaires très impactantes sur certaines industries dont les investisseurs doivent se saisir pour tenter de percevoir les secteurs et entreprises gagnantes et perdantes.

L’analogie peut être faite avec l’établissement des quotas des émissions à effet de serre visant à permettre à certaines entreprises l’émission de gaz à effet de serre à raison de leur quota. Celles qui avaient un quota trop élevé étaient à même de revendre le « trop perçu » à celles qui n’avaient pas un quota suffisant. Un mécanisme de marché avait alors été établi pour fixer le prix du carbone.
Les entreprises non préparées à l’apparition de cette nouvelle réglementation avaient été touchées de plein fouet et dû essuyer une ardoise très élevée. Les investisseurs exposés à ces entreprises ont connu des déconvenues.

En conséquence, d’autres réglementations avec des objectifs similaires dans leur approche et leur outillage sont susceptibles d’être édictées avec des répercussions dans des secteurs autres que ceux affectés par l’établissement des quotas des émissions à effet de serre.
Certains de ces secteurs sont devinables comme l’automobile. Dès 2020, une réglementation sévère devrait s’appliquer sur la flotte de véhicules vendus par les constructeurs. Ceux qui ne sont pas prêts pourraient devoir s’acquitter de pénalités d’un montant s’élevant à plusieurs milliards d’euros.

Dans ce courant de pensée, il est question d’une vague réglementaire d’ici 2023-2025.

Plus les agents économiques et les régulateurs attendent pour agir, et plus les réglementations qui s’imposeront seront disruptives, potentiellement destructrices de certains équilibres.

Cette vague réglementaire sera le reflet des préoccupations des parties prenantes de la société civile dont s’emparent les autorités publiques et le corps législatif avec l’inspiration d’autres pratiques adoptées par ailleurs.

Cette réglementation devrait favoriser la multiplication d’alternatives basées sur de nouvelles technologies…
Les initiatives pour substituer le moteur électrique au moteur thermique seront favorisées. Les projets visant à développer les énergies solaires ou éoliennes pour remplacer progressivement les énergies très carbonées comme le charbon, le nucléaire, ou les centrales à gaz seront encouragés.

De quelle manière Comgest prend-il en compte ce scénario dans le cadre du stock picking réalisé pour les différents fonds ?

Nous ne sommes quasiment pas exposés aux secteurs susceptibles d’être impactés.
Cependant nous restons attentifs sur ce sujet qui pourraient concerner indirectement des sociétés que nous détenons dans nos portefeuilles ou que nous pourrions vouloir détenir.
Des effets positifs pourraient en découler. Ainsi en est-il de Chr. Hansen, une entreprise de bioscience internationale qui met au point des solutions naturelles pour les industriels du secteur alimentaire. La société a su développer des solutions qui préservent la biodiversité en milieu rural et agricole. Elle pourrait tirer avantage d’une réglementation ayant pour finalité de réduire certains entrants pétrochimiques dans les exploitations agricoles européennes.
Une autre société potentiellement « gagnante » d’une vague de durcissement réglementaire serait Dassault Systèmes qui propose des logiciels de conception assistée par ordinateur pour quasiment tous les industriels du monde qui permettent d’optimiser les circuits électroniques ou le fonctionnement mécanique et de ce fait la consommation énergétique. La société pourrait clairement participer à la mutation vers un monde moins carboné.

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Imen Hazgui