Interview de Bernard Magrez : Propriétaire de vignobles

Bernard Magrez

Propriétaire de vignobles

Mon objectif est, avec mes vignobles de part le monde, d’avoir la réponse la plus large

Publié le 26 Octobre 2009

Quelles sont les particularités de votre activité de vigneron ?
J’habite Bordeaux et je suis propriétaire de 35 vignobles dans 8 pays différents : la majorité se trouve à Bordeaux, et j’en possède également en Languedoc-Roussillon, en Espagne (2), au Portugal, en Uruguay, en Argentine, au Chili, en Nappa Valley et au Japon. Je ne vends que les vins de mes vignobles avec mon équipe commerciale -je ne suis donc pas négociant-, et je signe tous mes vins de mon nom…

Pourquoi avoir acquis ces vignobles hors de France ?
Jusqu’à il y a une dizaine d’années, les amateurs de vins dans le monde étaient assez fidèles à 2 ou 3 types de vins. Et puis petit à petit, les amateurs ont cherché à découvrir de nouveaux vins pour avoir de nouvelles émotions. Or comme le vin est un produit subjectif très compliqué, celui qui prouvait qu’il savait choisir de nouveaux vins, flattait ainsi son égo…

Mon objectif est donc, avec mes vignobles de par le monde, d’avoir la réponse la plus large en la matière, avec des terroirs différents, des spécificités de vins différentes, afin de répondre à cette mode qui se développe de plus en plus, pas seulement en France mais dans le monde entier.

Comment évolue le secteur vinicole en France ?
Mon expérience, de près de 50 ans, m’a permis de constater que pendant de très longues années dans le monde, on ne parlait que de Bordeaux. Puis au fur et à mesure des années, on a commencé à planter de la vigne dans différents pays, notamment dans ceux que j’ai évoqués [mais également en Australie, en Espagne et en Italie], avec des progrès qualitatifs qui ne se sont jamais arrêtés et qui ont permis de produire des vins qui plaisent aujourd’hui, c’est-à-dire des vins ronds, sans aspérité ni tanin…

En revanche en France, et à Bordeaux en particulier, l’approche consistait à dire que si les acheteurs ne venaient pas à nous, c’est parce qu’ils ne comprenaient rien…

Depuis 15 ans environ, la part de marché des vins français dans le monde s’est donc érodée, mais ce discours reste le même. Or les parts de marché perdues, on ne les reprend pas : nous étions premier importateur de vins en Angleterre, nous sommes maintenant au quatrième rang… Plus généralement, à cause de cette autosatisfaction française, et bordelaise en particulier, il n’y a plus d’affect fort vers les vins français comme il pouvait y en avoir il y a 30 ans.

A cela s’ajoute le fait que, dans tous ces pays que je vous ai cités, il existe des structures financières qui sont propriétaires de vignobles, et qui ont des fonds propres et des résultats qui sont bien plus conséquents qu’à Bordeaux par exemple, où l’on trouve 12 000 châteaux et 400 négociants. Le chiffre d’affaires et les bénéfices des 10 premiers négociants sont ridicules par rapport aux sociétés importantes que l’on trouve aux Etats-Unis, au Chili, en Italie, en Espagne etc.

C’est pour ces raisons que dans le bas de gamme à Bordeaux, nous avons perdu d’énormes parts de marché, et que dans le haut de gamme, à Bordeaux et ailleurs, ça va devenir de plus en plus difficile…

Comment répondez-vous à cette apathie commerciale combinée à une concurrence de plus en plus soutenue ?
Nous nous situons tout d’abord comme un autre bordelais : nous sommes spécifiques dans la mesure où nous détenons des vignobles dans le monde entier et aussi dans le Languedoc-Roussillon.

Ensuite, nous répondons par une offre qualitative qui correspond à la vraie demande de l’amateur de vins. J’ai par ailleurs des fonds à disposition qui me permettent d’être à peu près au niveau des grands concurrents dont je vous ai parlé.

C’est peut-être une vision un peu pessimiste, mais dont nous tenons compte dans notre stratégie parce qu’avoir une vision optimiste sur Bordeaux aujourd’hui, est à mes yeux une erreur. Bordeaux conserve une image, mais le problème n’est pas de travailler dans l’immédiat, c’est de créer les entités qui seront solides dans 5 à 10 ans. 

Quid de la spéculation sur les vins ?
Il y a eu en fait de la spéculation sur le millésime 2005 principalement par des fonds de pension. Ces derniers ont donc acheté beaucoup de cet excellent millésime, ils l’ont stocké, et est arrivée la crise. A ce moment, ils les ont remis sur le marché ce qui a provoqué une chute brutale des prix.

Mais la baisse dure moins parce que, d’abord, le vin se détruit tous les jours, puisqu’on le boit, donc les volumes diminuent mécaniquement. Et puis, il y a eu ensuite les millésimes 2006, 2007 et 2008, or en 2008, les fonds de pensions se sont désintéressés des vins…

Quelles sont les raisons d’acheter en «primeur» ?
C’est acheter juste après la vendange parce qu’on espère acheter au meilleur prix et que ce dernier va augmenter. Il y a certains grands châteaux qui, même dans des années moyennes, voient leurs prix augmenter, mais ce n’est pas le cas des autres.

Nous disposons nous de cinq châteaux classés et qui prennent de la valeur au cours du temps, parce que nous faisons un travail de communication important.

Quels sont vos conseils pour se faire une bonne cave ?
Je mettrai un an à me préparer en faisant des dégustations, en allant au restaurant et dans des vignobles, en prenant des notes, ensuite j’irai les acheter là où c’est meilleur marché, donc dans les foires aux vins en France, et sur les sites marchands très généralistes qui ne font donc pas que du vin, comme Cdiscount.com qui est d’ailleurs devenu le premier vendeur de vins en France.

Propos recueillis par Nicolas Sandanassamy

francois