Interview de Eric Rosaz : président des Vignerons indépendants de France

Eric Rosaz

président des Vignerons indépendants de France

L’avenir du vin français est lié à l’équilibre entre le savoir-faire traditionnel et le développement du marketing

Publié le 30 Octobre 2007

Qu’est-ce qu’un vigneron indépendant ? Quelles en sont les particularités ?
Le vigneron indépendant assure la production de son vin, du cep de vigne à la mise en bouteille, en passant par la vinification.

A lui tout seul, le vigneron indépendant représente l’ensemble de la filière viticole. Cet homme que l’on retrouve à tous les stades de la vigne et du vin, a un métier très complet et applique en tout point la charte du vigneron indépendant.

Que représentent les vignerons indépendants en termes de part de marché et de chiffre d’affaires ?
Les vignerons indépendants produisent à eux seuls 50% des vins en France. Ils commercialisent une part importante de leur production en bouteille, ce qui apporte une meilleure valorisation. Cependant, nous ne sommes pas en mesures de fournir des données exactes quant au chiffre d’affaires qu’ils peuvent générer.

Quel constat tirez-vous de l’évolution du vin en France en matière de types d’exploitations, modes de commercialisation et de consommation…
En l’espace de 20 ans, le nombre d’exploitations de vignerons indépendants a été quasiment divisé par deux (62 000 en 1988 contre 37 000 en  2000), mais la surface exploitée est restée la même. Cela confirme donc le phénomène de concentration qui s’observe dans l’agriculture en général. Les exploitations de vignerons indépendants sont désormais plus grosses, et plus professionnalisées, avec une meilleure segmentation de leurs circuits de distribution.  En 1979, la vente en vrac représentait 80% des volumes, et le principal circuit était celui du négoce, la vente directe ne s’effectuant que pour 19% des volumes.

En 2000, le vrac ne représente plus que 66% des volumes et la vente directe est passée à 34% des volumes. Les vignerons indépendants ont donc compris l’intérêt de la valorisation en bouteille, ainsi que les gains supplémentaires que peut lui apporter la vente en direct.

Pour ce qui est de la consommation, il est clair que les français consomment de moins en moins de vin, mais pour des occasions particulières. Ils sont donc plus exigeants sur la qualité de leur produit et aussi sur leur provenance. C’est pourquoi le contact direct avec le producteur est de plus en plus apprécié par les consommateurs, sur les exploitations ou sur les salons.

Qu’est-ce que la réforme des AOC ? Qu’en attendez-vous, quelle est votre position vis-à-vis de l’Etat ? Sur quels points de cette réforme êtes-vous en désaccord avec l’INAO ?
La réforme s’inscrit dans un cadre à la fois mondial, européen et national (OMC, droit communautaire – AOP/IGP). Le dispositif français actuel est inadapté (absence de lisibilité pour le consommateur, complexité du système, doute sur la neutralité des structures de contrôle). La réforme était donc nécessaire afin de simplifier et clarifier un dispositif qui s’est opacifié au cours des années et, s’agissant des structures, de le mettre en conformité avec les standards internationaux. Cette réforme est marquée par une volonté d’apporter plus de lisibilité et de crédibilité auprès des consommateurs. Cette volonté se traduit par la consécration du principe de séparation entre les organismes de contrôle et les organismes de défense et de gestion (ODG). En effet, avant la réforme, les mêmes personnes assuraient la gestion de l’appellation et effectuaient les contrôles, ce qui n’était pas de nature à rassurer les consommateurs. De plus, la réforme prévoit la suppression de la délivrance des certificats d’agrément au profit d’un système de contrôles renforcés.

Notre mouvement a toujours jugé nécessaire une réforme des AOC. Si les objectifs de la réforme nous paraissent pertinents, leur transposition sur le terrain pose de nombreux problèmes et a fait apparaître différentes craintes, dont les suivantes :
- la séparation entre les missions d’intérêt général et les missions syndicales des ODG est clairement prévue dans les textes, toutefois certains statuts d’ODG sont beaucoup plus flous. Tandis que le paiement d’une cotisation à l’ODG est obligatoire pour le vigneron revendiquant l’appellation, il y a un risque que cette cotisation finance des missions syndicales, ce que l’ordonnance rejette. Des missions syndicales peuvent être menées par les ODG, sous réserve qu’elles soient financées par une autre cotisation que la cotisation obligatoire
- la représentativité des déclarants de récolte au sein des ODG est remise en cause pas certains statuts d’ODG qui ne sont pas les garants d'une juste représentativité entre les différents opérateurs (vignerons indépendants et vignerons coopérateurs). Dès lors, nous nous inquiétons du fonctionnement démocratique de ces organismes.

Que pensez-vous des propositions relatives à la réforme de l’organisation commune du marché vitivinicole en Europe ?
L’Organisation Commune du Marché vitivinicole (OCM), adoptée en 1999 dans un contexte d’équilibre structurel apparent entre la production de vins et les débouchés, nécessite aujourd’hui, de l’avis de tous, une réforme en profondeur. La nouvelle OCM doit se placer dans une nouvelle perspective dynamique et ambitieuse :
- en prenant en compte la situation mondiale du marché du vin, telle qu’elle se présente réellement aujourd’hui
- en offrant aux entreprises et aux vignerons européens les moyens d’assurer la compétitivité et la pérennité de leurs exploitations
- et en permettant de gérer de manière durable les territoires viticoles de l’Union Européenne

Pour notre organisation professionnelle, l’articulation de la nouvelle OCM doit tourner autour de 4 axes :
- Améliorer la segmentation de l’offre européenne en tenant compte des attentes des consommateurs
- Faire reconnaître la spécificité du métier de vigneron indépendant et de leurs Très Petites Entreprises
- Améliorer la compétitivité des exploitations viticoles et des entreprises européennes
- Maintenir (voire développer) le potentiel global (productif, économique, financier...) de la viticulture européenne, tout en laissant davantage de souplesse aux Etats et aux entreprises

Pour cela, nous souhaitons une nouvelle segmentation des vins européens en distinguant deux logiques différentes de production :
- d’un côté les vins de terroirs et de territoires (AOP/IGP), avec maintien du système d’interdiction de plantation
- et de l’autre, les vins relevant d’une logique de marché au sein desquels doivent pouvoir être identifiés et valorisés les vins issus à 100% d’un Etat membre

Les Vignerons Indépendants de France, qui privilégient une adaptation progressive du secteur viticole, estiment que la position adoptée par la Commissaire européenne constitue une base de négociation intéressante. Nous veillerons toutefois à une meilleure prise en compte des besoins des vignerons.

Comment évaluez-vous la concurrence des nouveaux pays producteurs ?
Historiquement grande productrice de vin au monde, les vins français sont très appréciés. Toutefois, cette suprématie est sérieusement remise en cause depuis une quinzaine d’années par les vins du Nouveau Monde. Il s’agit des vins provenant d’Afrique du Sud, d’Argentine, d’Australie, du Chili, des Etats-Unis et de Nouvelle Zélande. Ainsi, la part de marché des vins de ces pays dans les échanges mondiaux, a connu une forte progression. Tous les marchés sont concernés : les marchés découvrant le vin (Royaume-Uni, pays Scandinaves, Japon…) comme les pays traditionnellement consommateurs (France, Espagne, Italie et Allemagne). Cette concurrence touche surtout les vins de milieu de gamme, c’est-à-dire entre 4 et 8 euros, dont la cible est immense.

Les nouveaux pays producteurs ont une vision productiviste de la viticulture. Ils produisent d’importantes quantités de vins en se basant sur les modes (vins boisés…) et sur un fort développement du marketing.

La production française, si elle doit conserver la valeur ajoutée de son savoir-faire, doit très certainement bien mesurer l’enjeu du marketing et se moderniser sur la question. De même, elle doit renforcer son appréhension du consommateur en essayer de coller au plus près à ses attentes (aujourd’hui, la tendance est par exemple aux vins fruités).

Quelle est l'image des vins français à l’étranger ?
Les vins français jouissent toujours d’une forte renommé internationale liée à son savoir-faire historique. De plus, la grande diversité de la production française est un atout certain.

Toutefois, certains consommateurs développent un goût pour les vins plus légers, bons, mais sans prétention. Une image de snobisme peut parfois accompagner certains vins français.

De quels moyens disposez-vous -ou devrait être mis en œuvre- pour lutter efficacement contre cette tendance ? Pensez-vous que les vins doivent correspondre aux attentes des consommateurs actuels et potentiels quelque soit le continent ?
Les vins français rencontrent très certainement des difficultés à s’adapter aux goûts du consommateur. Le vigneron indépendant est garant d’une signature qui lui est propre, ce qui ne le rend pas tributaire des effets de mode. Toutefois, cette typicité peut l’éloigner de certains consommateurs recherchant un vin se buvant facilement.

La France devra certes faire des efforts pour se rapprocher du consommateur. Un équilibre doit cependant être trouvé. Il serait excessif et contre-productif de sacrifier le savoir-faire des vignerons français sur l’autel du tout marketing.

Quel rôle joue votre syndicat dans le paysage vitivinicole français et communautaire ?
Les Vignerons Indépendants de France sont aujourd’hui un acteur syndical reconnu. Répartis sur l’ensemble des régions viticoles françaises, les fédérations départementales et régionales apportent puissance au mouvement et renforce son identité. La Confédération qui siège à Paris est leur émanation nationale. Historiquement plus récent que les autres syndicats, les Vignerons Indépendants de France ont su développer leur importance et devenir un interlocuteur important des pouvoirs publics. De par les salons qu’ils organisent, notre mouvement œuvre par ailleurs pour le rapprochement entre le vigneron et le consommateur.

Enfin, sa présence au sein de l’Association Générale des Producteurs de Vins (réunissant les Vignerons Indépendants de France, la Confédération des Coopératives Vinicoles de France, la Confédération Française des Vins de Pays et la Confédération Nationale des AOC) participe à l’unité de la filière sur les questions déterminantes pour l’avenir de la viticulture.

Les vignerons indépendants européens présentent des problématiques professionnelles communes, à plusieurs niveaux :
- production (traçabilité, environnement...)
- réglementation (étiquetage, formalités douanières...) 
- commercialisation (différenciation par rapport aux vins du nouveau monde, oenotourisme...)

La prise de conscience de ces points communs s’est faite au fil des rencontres, au cours de différents congrès, manifestations et salons. Les vignerons indépendants européens ont alors réalisé combien ils pouvaient s’enrichir mutuellement, en unissant leurs forces et en partageant leurs expériences. La synergie ainsi créée permet aux vignerons indépendants de développer la réactivité et le poids de leurs entreprises, et de les placer à l’avant-garde de la viticulture européenne, aussi bien en terme de production que de réglementation et de commercialisation. La CEVI, Confédération européenne des vignerons indépendants, a été créée le 3 décembre 2002 à Bordeaux (France).

Ses membres sont des fédérations nationales de vignerons indépendants :
- Vignerons Indépendants de France (VIF) 
- Association Suisse des Vignerons Encaveurs (ASVE) 
- Federação Nacional de Viticultores Independentes de Portugal (FENAVI) 
- Organisation Professionnelle des Vignerons Indépendants de la Moselle Luxembourgeoise (OPVI) 
- Association Hongroise des Vignerons Indépendants (Vindependent) 
- PROVIR-Bodegas familiares de Rioja 
- United-Kingdom Vineyards Association (UKVA)

La CEVI établit des contacts étroits et privilégiés avec les vignerons indépendants de tous les pays d’Europe. Ces contacts se formaliseront au fur et à mesure de la création de structures nationales de vignerons indépendants dans chacun de ces futurs membres.

Quel est, selon vous, l’avenir du vin français ?
L’avenir du vin français est intimement liée à la recherche de l’équilibre entre le savoir-faire traditionnel et le développement du marketing. Les atouts de la production française sont assez conséquents pour permettre à la filière de sortir de la période difficile que rencontre certains vignobles.

Si le regroupement de l’offre est clairement souhaité par les pouvoirs publics, les petites exploitations, comme les Vignerons Indépendants, apportent une plus-value qu’il serait néfaste de perdre. Là encore un équilibre doit être trouvé.

Quel commentaire vous inspire la récolte de l’année 2007 ?

En raison des difficultés climatiques (grêle, humidité entraînant le développement de champignons…), la récolte 2007 sera la plus faible depuis 2000. Toutefois, le bilan est très positif d’un point de vue qualitatif. Les vignerons indépendants ont ainsi su adapter leur récolte et tirer profit  de ces difficultés.

Propos recueillis par Nicolas Sandanassamy